Comment regarder les images de l’indicible et l’œuvre du peintre allemand ? C’est la question que pose ce livre qui déconstruit savamment l’œuvre du peintre allemand.
Le prix Pierre Daix a été décerné cette année à Éric de Chassey, pour son travail Montrer. Images de Birkenau, du Sonderkommando à Gerhard Richterpublié chez Gallimard en mai 2024.
Créé par François Pinault en 2015, en hommage à son ami écrivain et historien de l’art Pierre Daix, décédé en 2014, le prix récompense, chaque année, une œuvre consacrée à l’histoire de l’art moderne ou contemporain.
Pour l’édition 2024, les membres du jury saluent le «enquête remarquable
d’Éric de Chassey qui met en lumière une part méconnue de l’œuvre du peintre allemand Gerhard Richter» (né en 1932), notamment son cycle Birkenau (2014). « Grâce à une rédaction concise et analytique, Montrer. Images de Birkenau, du Sonderkommando à Gerhard Richter s’impose comme une œuvre percutante et incite à une lecture exigeante du sens des images.
Il reflète un modèle engagé du genre, à l’image des convictions de Pierre Daix. »souligne ce prix qui récompensait des livres pointus, voire austères, souvent engageants et à haute densité intellectuelle.
Le prix Pierre Daix a déjà été décerné à Paula Barreiro López en 2023 (Amis combattants. Avant-garde et critique d’art en Espagne pendant la Francoism, Éditions de la Maison des sciences de l’homme); has
Jérémie Koering en 2022 (Les iconophages. Une histoire de l’ingestion d’images Actes Sud, “Les Apparences” collection): to Germain Viatte in 2021 (Le revers de la médailleL’Atelier Contemporain ; à Pascal Rousseau en 2020 (Hypnose. Art et hypnotisme de Messmer à nos joursENSBA-Musée des Beaux-Arts de Nantes) ; à Rémi Labrusse en 2019 (Préhistoire. L’autre côté du tempsHazan, collection « Beaux-Arts ») ; à Pierre Wat en 2018 (Pérégrinations. Des paysages entre nature et histoireHazan, collection « Beaux-Arts ») ; à Elisabeth Lebovici en 2017 (Ce que le SIDA m’a fait. Art et militantisme à la fin du XXe siècleJRP Ringier avec La maison rouge — Fondation Antoine de Galbert2017) et de loin celui qui a eu le plus de résonance ; à Maurice Fréruchet en 2016 (Effacer. Paradoxe d’un geste artistiqueLes Presses du Réel); to Yve-Alain Bois (Ellsworth Kelly. Catalogue raisonné des peintures et sculptures, 1940-1953, Tome 1 Cahiers d’art) and Marie-Anne Lescourret (Aby Warburg ou la tentation du regardHazan, collection « Beaux-Arts ») en 2015.
En 2014, le peintre Gerhard Richter a réalisé quatre tableaux abstraits qu’il a appelés Birkenau. Elles sont le résultat de sa longue confrontation avec quatre photographies prises au cours de l’été 1944 près du crématorium V d’Auschwitz-Birkenau par des membres du Sonderkommando affectés à la préparation des victimes et au traitement de leurs cadavres, qui sont les seules images documentant directement l’histoire. processus d’extermination des Juifs d’Europe par gazage et destruction de leurs dépouilles.
Éric de Chassey, né en 1965 à Pittsburgh (États-Unis), est directeur de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) à Paris et professeur d’histoire de l’art moderne et contemporain à l’École supérieure normale de Lyon. Entre 2009 et 2015, il a été directeur de l’Académie française de Rome – Villa Médicis.
« Depuis les années 1960, Gerhard Richter, qui a vécu enfant sous le régime nazi et dont la famille a été affectée de diverses manières par celui-ci et par la guerre, a tenté à plusieurs reprises d’aborder le sujet de l’extermination des Juifs, souvent implicitement et franchement. , en oblique, même si des images s’y rapportant figurent dans son Atlas, c’est-à-dire la collection d’images de presse qu’il a rassemblée au fil des années 1960. Certains de ses portraits en grisaille les plus connus des années 1960 montrer, sans que des spectateurs imprudents puissent s’en rendre compte, victimes, bourreaux et acteurs passifs du nazisme, auxquels il est personnellement lié »explique cet auteur prolifique et commissaire d’exposition toujours en activité. Il est le commissaire de « Parade, une scène française. Collection Laurent Dumas» qui se tient actuellement au MO.CO de Montpellier jusqu’au 12 janvier.
« Ce n’est qu’au début des années 2010 qu’il décide de consacrer spécifiquement un ensemble de peintures à la Shoah, à partir de quatre photographies prises par autant de membres du Sonderkommando d’Auschwitz-Birkenau — Alberto Errera, Alter Fajnzylberg, Abraham
et Shlomo Dragon —, qui documente une opération visant à tuer par gazage un convoi de Juifs déportés. Après avoir commencé par reprendre l’iconographie de ces photographies, il décide de transformer ces peintures en abstractions. C’est leur titre… Birkenau— ce qui vous permet de savoir qu’ils traitent de ce sujet. Cela lui a pris beaucoup de temps et de réflexion,
mais je pense que l’admiration que peut susciter son entreprise ne doit pas nous rendre aveugle à certaines apories et contradictions de sa démarche. »détaille ce professeur dans l’âme.
« Pour les peintures, j’ai délibérément choisi de ne pas poser de questions directement à l’artiste, dans la mesure où je souhaitais conserver une distance critique, qui me semblait avoir généralement manqué à ceux qui avaient écrit sur ces œuvres. Mais au fil des années Richter a fourni une documentation photographique sur les différentes étapes de son travail, accompagnée de commentaires : il suffisait de reprendre ce dossier avec
méthode et précision. Lorsque je me suis rendu compte – alors que rien ne l’indiquait et que personne ne l’avait remarqué – que les tirages photographiques présentés à côté des œuvres avaient en réalité été manipulés – et en grande partie – par Richter, malgré ses déclarations, j’ai retracé quelles avaient été ces manipulations, et quelles en étaient les conséquences. effets de ces derniers »explique l’auteur. Les peintures de Gerhard Richter ont notamment été exposées en février 2020 au Met Breuer de New York (avec photos), et en 2026 à la Neue Nationalgalerie de Berlin dans « Gerhard Richter : 100 Works for Berlin ».
« Nous vivons à une époque où les images circulent de manière aléatoire, notamment sur les réseaux sociaux, ce qui en fait des instruments de propagande ou de publicité, plutôt que des instruments libérateurs de réflexion et d’émotion. Les images ne peuvent pas être affichées de manière aléatoire ; il ne suffit pas de les accompagner de commentaires, quelle que soit leur forme, pour qu’ils soient effectivement vus, c’est-à-dire vus pour ce qu’ils sont et ce qu’ils montrent »il analyse. « C’est une règle qui ne s’applique pas seulement aux images qui traitent de la violence, mais à toutes les images : elles ne peuvent pas être considérées uniquement d’un point de vue esthétique, mais nécessairement en tressant ce point de vue esthétique avec un point de vue éthique. C’est ce qui m’a choqué lorsque j’ai vu les tableaux de Richter accompagnés d’une soi-disant documentation : les spectateurs ne les voyaient tout simplement pas, car tout tendait vers le spectaculaire et non vers la captation complexe des images, qui prend forcément du temps.