L’Oratorio Furtif, un livre hybride pour une expérience sensorielle innovante

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L’Oratorio furtif. Musique dessinée par Xavier Charles d’après le roman « Les Furtifs » d’Alain Damasio. Livret réalisé par Laëtitia Pitz et Benoit di Marco. La Compagnie Roland Furieux. Livre et album de 15 titres à télécharger via une carte incluse. Éditions La Volte. 80pages. 20 €. Janvier 2024.

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La magie. Voilà comment résumer ce livre-partition-peinture-disque initié par la Compagnie Roland Furieux, qui, dans un premier temps, a porté sur scène ce best-seller de science-fiction sorti en 2019, Les Furtifs, d’Alain Damasio.

Les notes d’intention à la fin de l’œuvre permettent de comprendre qu’avant de concevoir cet objet totalement hybride, le compositeur Xavier Charles et la réalisatrice Laëtitia Pitz ont proposé un spectacle vivant, créé à la Cité Musicale de Metz en 2021, qu’ils ont ensuite souhaité à adapter en livre. C’est déjà la première originalité du projet, les œuvres littéraires étant plus généralement sources d’inspiration pour la scène ou le cinéma que l’inverse, même si la Compagnie Roland Furieux s’inscrit bien dans ce schéma à l’origine de cette production. En tout cas, cet ouvrage publié aux Éditions La Volte se suffit pleinement à lui-même, et apporte même de nouveaux éléments capitaux à cette approche de la création multi-artistique.

La première prouesse réside dans l’adaptation en 55 pages (si l’on ne compte pas les éléments de composition de Xavier Charles) d’un ouvrage de 700 pages d’Alain Damasio. Laëtitia Pitz et Benoit di Marco ont ainsi réussi à retranscrire avec une évidence impressionnante l’essence même de cet univers imaginaire qui se déroule en 2040 et où l’auteur a un engagement politique fort et puissant et pousse les piliers de notre système sociétal actuel. Les villes se privatisent grâce à une politique étatique extrêmement libérale (la Ville d’Orange rachetée par la société du même nom, tandis que les grandes villes françaises sont réputées pour leurs salles de spectacle : Paris-LVMH, Lille-Auchan, AlphaBrux, Nestlyon, etc.), le monde de la technologie domine à l’image d’un taxiile équipé d’un lecteur d’émotions qui permet au héros de briser son ennui grâce à l’IA et une discussion – génial ! – autour de « la ville intelligente, l’informatique omniprésente, les objets connectés » avec le mannequin qui en est équipé… L’ubérisation massive de cette société asservie et aliénée est parfaitement retranscrite de telle sorte que le lecteur n’éprouve aucune frustration de ne pas avoir lu l’ouvrage qui inspiré ce projet artistique.

La qualité de cette adaptation littéraire saute également aux yeux à l’écoute des 15 titres de l’album disponibles grâce à une carte de téléchargement insérée dans le livre, la narration s’effectuant comme dans un livre audio. Au-delà de l’écriture musicale annotée, une multitude d’accents (occidentaux ou non), de nombreux signes connus (parenthèses mais non utilisées selon leur fonction initiale) ou inconnus (sortes de virgules par exemple), directement insérés dans le texte, apportent leur part de mystère et imaginaire à une lecture néanmoins fluide et facilement compréhensible. La prosodie est également reconsidérée, cette inventivité linguistique trouvant son apothéose dans un « mantra insurgé » anthologique.

L’hybridation se poursuit puisque la notion de « partition musicale » se mêle à la création graphique proche des peintures d’art contemporain. La maison d’édition n’a pas lésiné sur la qualité du papier, la place accordée aux « illustrations », la vivacité des couleurs, le dessin des pages avec une fusion entre texte et « annotations » musicales. L’objet livre, ainsi mis en valeur, s’apparente à un livre d’art, parfaitement manipulable. Ces éléments visuels restent cependant indissociables du texte et de la lecture, comme une association idéale et amusante.

Cette hybridation va encore plus loin lorsque cette partition musicale graphique fait émerger une musique multiforme : la musique devient matière dans la « Philosophie du Vivant » (plage 8) ; la musique devient geste dans « Batara Kala » (piste 9) ; la musique devient des lignes dans « Maman Amour Papa » (piste 11) ; la musique devient un tableau aux lignes rouges de « L’invocation » (piste 13) ; la musique devient rébus dans « Le Mantract des Insurgés & la Fanfare Furtive » (piste 15)… Durant 1h40 de musique naturellement atonale portée par un renouvellement du langage musical, les neuf musiciens du Furtive Orchestra, créé pour l’occasion, interprètent en direct avec leur propre créativité la composition musicale de Xavier Charles, qui s’appuie régulièrement sur leur capacité d’improvisation pour un rendu vivant de chaque interprétation. Le compositeur utilise un procédé d’écriture musicale proche d’une vignette de bande dessinée – et donc idéalement visuelle pour les non-initiés ! -, avec une grande part de recours à des dessins, peintures, plans, et divers autres éléments graphiques, où la temporalité est régie selon un instant, une scène, une action, une parole et non plus un battement ou une pulsation. Les hauteurs existent mais ne sont pas toujours définies – les notes de musique sur la portée sont pourtant régulièrement présentes -, les rythmes vivent mais ne sont pas contraints, les durées sont présentes mais restent aléatoires… Le résultat d’ensemble désoriente, amuse, surprend, interroge, vibre…

Une œuvre artistique absolument foisonnante et passionnante. Une merveille à ne pas manquer.

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L’Oratorio furtif. Musique dessinée par Xavier Charles d’après le roman « Les Furtifs » d’Alain Damasio. Livret réalisé par Laëtitia Pitz et Benoit di Marco. La Compagnie Roland Furieux. Livre et album de 15 titres à télécharger via une carte incluse. Éditions La Volte. 80pages. 20 €. Janvier 2024.

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