Livre –
Bernadette Murphy nous invite à nous asseoir au « Café de Van Gogh »
L’historien anglais livre un travail fascinant (et surprenant) sur la sociabilité du peintre lors de son séjour à Arles.
Publié aujourd’hui à 9h14
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C’était avant le Covid, c’est-à-dire pour certains d’entre nous avant Jésus-Christ. Inconnue du bataillon, Bernadette Murphy a publié son essai sur « L’oreille de Van Gogh » en 2017 chez Actes Sud. Ayant vécu des décennies en Provence, l’historienne anglaise a publié son premier ouvrage à l’âge de 54 ans. Il portait sur un sujet que l’on croyait épuisé par tant de titres sur le peintre. Il fallait sans doute une femme anglo-saxonne pour revenir aux archives au lieu de se lancer dans des illusions spéculatives sur l’œuvre et son auteur. Jusqu’à elle, ce qu’on disait biographique dans la première moitié du XXe siècle avait pris valeur d’évangile. N’avions-nous pas des centaines de lettres envoyées par Vincent à son frère Théo ?
Cependant, en creusant beaucoup, l’auteur a découvert que tout était factuellement faux dans le cas de l’oreille coupée. Elle avait été « romantisée ». Bernadette Murphy y voit aujourd’hui un effet pervers de la biographie d’Irving Stone à l’époque où elle était portée à l’écran en 1956 par Vincente Minnelli avec Kirk Douglas dans le rôle de Van Gogh. Un excellent film sinon. La légende a alors remplacé une réalité plus simple et triviale. L’oreille amputée n’avait pas été confiée à une fille de bordel, mais à une jeune serveuse que Vincent connaissait un peu. Et c’était encore un fragment sanglant. Tout le reste était conforme. Bernadette, qui habite la région, a mis des années à constituer un fichier regroupant tous les habitants d’Arles en 1888. Quelque 20 000 fiches… Les lecteurs n’ont pas ignoré le livre qui a fait un carton. Une icône de l’histoire de l’art s’est révélée à eux sous un nouveau jour.
Bernadette Murphy a pu ressortir ses dossiers pour « Le Café de Van Gogh », qu’Actes Sud lance ces jours-ci. Elle les peaufine au prix d’un travail considérable afin de prouver que le peintre vivait en réseau dès son arrivée en train à Arles. Les personnages représentés par un Néerlandais que personne n’avait jamais vu ici se connaissaient. Ils développèrent des liens familiaux ou des relations commerciales. Beaucoup partageaient des idées politiques, davantage à gauche. Vincent se voyait donc recommandé l’un par l’autre. Cela a joué un rôle dans les changements de logement que Van Gogh a trouvé facilement. Elle lui permet de planter son chevalet en plein champ, ce qui nécessite l’autorisation des propriétaires. Ou peindre une jeune fille de treize ou quatorze ans. Même s’il a commencé à avoir peur après l’affaire de l’oreille et l’internement, Van Gogh s’est fait quelques amis après un bon premier contact. Certains restèrent en contact avec lui jusqu’à son suicide en 1890. L’alphabétisation de masse, très récente en France, avait rendu possible le courrier (1). Il y avait enfin le lien avec le curé d’Arles, qui comptait alors une forte communauté protestante, et le lien avec un médecin d’exception. Non seulement le docteur Félix Rey l’a sauvé de la mort par infection, mais il a écrit à Théo pour lui donner des nouvelles.
Tout cela ne constitue que la partie relief d’un très bon (et très long) livre sur un homme célèbre. En arrière-plan, Bernadette Murphy nous montre une ville pauvre, assez isolée, dont le principal employeur est le chemin de fer. Tout le monde le sait, même si les gens ne quittent pratiquement pas leur quartier. Il y a les contraintes de la bienséance. Personne n’oserait y contrevenir. Le lecteur le ressent clairement dans cette œuvre où chaque personnage peint par Van Gogh fait l’objet d’une biographie approfondie. Ce sont de petites vies, sans véritable horizon. Cependant, ce sont parfois de longues existences. Si Van Gogh n’a jamais peint le portrait de l’arlésienne supercentenaire Jeanne Calment, le dernier de ses modèles est décédé à 90 ans en 1980. Van Gogh nous l’a montrée bébé. Bernadette Murphy nous raconte comment elle est allée visiter sa tombe après avoir eu du mal à la localiser. « Le Café de Van Gogh » est aussi un livre sur l’auteur au travail. La femme écrit en anglais. Lentement, dit-elle. Il doit donc parfois expliquer à ses compatriotes dans quelle profondeur fonctionne la France. Arles redevient Arles lorsque les touristes estivaux sont partis.
A la dernière page, le lecteur en sait un peu plus. Le personnage central a pris corps grâce à la présence d’un décor fascinant. Van Gogh ne reste pas seul sur scène. Sa voix fait désormais partie d’une polyphonie. Y a-t-il encore quelque chose à dire maintenant ? Ou le sujet serait-il inépuisable ?
(1) Une de ses connaissances a fait tenir la plume à son jeune fils. Camille Roulin avait une belle écriture. Ce petit fermier n’a fait quasiment aucune faute de grammaire ou d’orthographe…
Pratique
« Le Café de Van Gogh », de Bernadette Murphy, traduit par Marie Chabin, Editions Actes Sud, 400 pages serrées.
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Né en 1948, Etienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations
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