« Nous devons nous battre très dur pour que nos continuent d’exister »

« Nous devons nous battre très dur pour que nos continuent d’exister »
« Nous devons nous battre très dur pour que nos livres continuent d’exister »

hebdomadaires : Vous venez de gagner le prix du vendredi. Comment accueillez-vous ce prix littéraire ?

Maureen Desmailles : Je ne m’attendais pas du tout à recevoir ce prix. C’est mon premier roman et je ne suis pas originaire du milieu de l’édition. Pour moi, le Prix du Vendredi est plutôt un prix qui récompense une carrière et dans la littérature jeunesse, il a une très grande réputation, donc c’était absolument inattendu.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Je m’intéresse beaucoup aux questions de genre et d’orientation sexuelle. Ce sont des thèmes qui m’ont beaucoup animé lors de mes études de cinéma et de ma thèse, bien avant que je me lance dans l’écriture de fiction. À l’époque, je pensais qu’il serait intéressant d’avoir une histoire qui ignore le sexe du personnage principal. J’ai donc fait un premier essai de nouvelle, une histoire de « traque ». Plus tard, j’ai découvert la collection « L’Ardeur » des éditions Thierry Magnier au salon de Montreuil, l’année Hélène Vignal a remporté la pépite d’or pour Reine Kong (Thierry Magnier). C’est là que mon idée originale est revenue. C’est un peu une façon de couper l’herbe sous le pied de toutes les questions de binarisme et de contraintes sur l’hétérosexualité. Et cela permet aussi de déplacer le débat vers des questions plus émotionnelles, ce qui est justement ce qui me tenait le plus à cœur.

“Je voulais que le héros puisse exister au-delà de son genre”

Avez-vous rencontré des difficultés à déjouer les codes classiques de la narration ? ?

C’était un peu compliqué sur les premières pages. Il fallait trouver l’angle du personnage, ce qui arrive dans tous les romans, quel que soit le profil du héros. Je voulais qu’il puisse exister au-delà de son genre. En réalité, c’est déjà ce que l’on fait en tant qu’auteur : on ne pense pas forcément à un personnage comme un homme ou une femme quand on le construit. J’ai choisi d’ignorer cette caractéristique comme on pourrait ignorer la couleur des yeux ou la taille des cheveux. J’ai également choisi une conjugaison simple au passé, ce qui m’a permis de surmonter certaines contraintes grammaticales. Je crois qu’à partir du moment où l’on décide de faire une histoire qui ne soit pas hétéronormative, il faut s’efforcer de penser au-delà du binarisme. La binarité est l’hétérosexualité.

Cela donne-t-il au lecteur plus de liberté d’imagination ?

Dans tous les cas, cela demande un effort de collaboration, de coopération avec le lecteur. Lorsqu’un livre est publié, il n’appartient plus à son auteur. Il devient la propriété de ceux qui le lisent, qui s’en emparent et qui « braconnent », comme on dit. Michel de Certeauce qui les intéresse dans le livre.

“En tant qu’auteur, vous ne pouvez pas vous fier à vos peurs de ne pas être lu”

En 2023, un des titres de la collection « L’Ardeur »Beaucoup trop petit par Manu Causse, a été interdit de vente aux mineurs par le ministère de l’Intérieur, au motif qu’il constituait « contenu pornographique ». Que dites-vous à ceux qui ne voient pas d’un très bon oeil le thème de la sexualité dans les livres destinés au public des enfants ?

« L’Ardeur » est un recueil qui porte un regard critique sur les sexualités au pluriel. Il n’a pas vocation à être pédagogique ou didactique. Il s’agit plutôt de donner aux adolescents des outils pour qu’ils puissent réfléchir à leurs propres désirs et désirs. Et Dieu sait que c’est une question compliquée à cet âge-là ! À l’adolescence, les injonctions sociales sont très fortes, même si l’on tente de s’imposer en tant qu’individu. S’emparer de cette période de la vie en abordant les sexualités ouvre aussi tout un champ de réflexions nouvelles. Il y a encore beaucoup de résistances lorsqu’on aborde la sexualité destinée aux enfants et encore plus lorsqu’on combine cette problématique avec les questions de genre, d’identité, d’orientation sexuelle. En tant qu’auteur, vous ne pouvez pas vous fier à vos propres peurs de ne pas être lu, de ne pas être compris, surtout dans le climat actuel. Au contraire, je pense qu’il faut se battre très fort pour que nos livres continuent d’exister, surtout dans un espace comme celui des éditions Thierry Magnier. Mais il faut aussi qu’ils puissent exister dans de nombreuses autres maisons d’édition qui peuvent avoir des lignes éditoriales plus générales.

En savoir plus: « Roman jeunesse censuré : « Nous n’avons pas pu faire valoir nos arguments », déplore l’auteur Manu Causse. »

En parlant de ça, quels sont vos projets futurs ?

J’ai publié il y a trois semaines un deuxième livre, toujours aux éditions Thierry Magnier. Son nom est Aux candidats et c’est un livre sur la télé-réalité, dont je suis très fier et que j’ai beaucoup aimé écrire. C’est un sujet sur lequel il y a beaucoup de discours moralisateurs, mais très peu de critiques, notamment dans la fiction. En ce moment, je travaille sur un troisième titre, donc on peut dire que les choses avancent !

« La Chasse » (Thierry Magnier) de Maureen Desmailles

Avec ce premier roman pour adolescents, qui réussit la prouesse littéraire de ne jamais évoquer le sexe du narrateur, Maureen Desmailles explore et interroge les premiers pas vers la sexualité et le désir. Alors que le mois d’août commence, Max, tout juste 17 ans, lutte contre le sentiment d’être invisible. Dans la maison voisine, Ellie, la fille des nouveaux arrivants, et Cosme, son petit ami, sont venus passer l’été à la campagne. Pour la première fois depuis longtemps, Max ressent l’intensité des regards. Mais comment aimer sans blesser, sans jalousie, sans posséder quand nos schémas relationnels héritent de modèles passés, soumis à une société qui ne s’imagine pas en dehors de sa binaire ?

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