garanti sans fiction

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Bleus blancs

Le roman de Claire Vesin, qui nous emmène au cœur de l’hôpital public de banlieue, vaut toutes les expertises.

Nos critiques littéraires de la semaine

Quand on commence à lire de la fiction dans le monde hospitalier, on s’attend à du sang, du drame, « NFS, chimie, iono » crié par des médecins sexy et héroïques, aux collisions de civières et aux internes qui entrent en collision dans les toilettes. Calmons-nous : Blanc n’est pas la version papier d’une série télévisée. Claire Vesin ne cède pas aux clichés et aux émotions faciles dans ces salles d’attente, centres de société où la vie et la mort se jouent chaque jour. Et pourtant, c’est tout aussi captivant. Médecin de profession, elle détaille avec finesse la fragilité du système de santé et du personnel hospitalier. Ce qui aurait pu être un documentaire se transforme en pur roman grâce à la profondeur de ses personnages.

Lors du stage d’une interne bien née, la fragile Aimée, on découvre Jean-Claude, le vieux et brillant chirurgien torturé par ses démons, Laetitia, la trop jeune infirmière en première ligne à l’accueil des urgences, ou encore Fabrice, le solide Médecin du Samu qui perd confiance en lui et son sex-appeal lorsqu’il enlève son uniforme. Et puis il y a ce bâtiment. Le centre hospitalier de Villedeuil, une banlieue imaginaire à 4 kilomètres de Paris. Au début du XXème siècle, c’était un majestueux ensemble de pavillons en briques avec sa fontaine et son allée de tilleuls. La pression démographique des banlieues l’a orné dans les années 1970 de tours recouvertes de tuiles blanches aux noms symbolisant la modernité, comme « Cosmos », où se déroule l’action. Aujourd’hui, tout tombe en ruine. Même la guirlande lumineuse de bienvenue, installée pour les fêtes, n’affiche qu’une lettre sur trois. A peine installé et déjà défectueux.

crottes de pigeon

Dans un service chroniquement en sous-effectif, les urgentistes se retrouvent confrontés à « des personnes avec peu de suivi médical, [qui] ont des pathologies qui n’existent plus en France et ne parlent pas la langue… ». Et l’équipe tient bon, déplace les brancards pour éviter les déjections des pigeons ayant élu domicile dans les couloirs, se serre les coudes pour une pause cigarette en terrasse, jusqu’à l’erreur qui va remettre en cause la vocation.

Au « course sans fin pour réduire la pile de dossiers en attente », le premier romancier oppose une écriture calme d’où émergent douceur et mélancolie. Et, sans jamais forcer, elle réussit à faire de cette fiction sur l’hôpital un roman social qui interroge notre humanité. (Anne-Laure Walter)

© LTD / PASCAL ITO

Marqueur

Dans cet essai passionnant, Raphaël LLorca met en garde contre la privatisation du roman national par les entreprises.

Après avoir lu le dernier livre de Raphaël LLorca, vous regarderez différemment les spots publicitaires. Ceux-ci ne se contentent pas de vendre un produit ou d’améliorer une image, ils véhiculent également un message politique. C’est ce que l’on apprend, mêlant subtilement sociologie, sémiologie et théorie de la communication, ce Roman national des marques. Non contentes d’avoir façonné les identités individuelles, les marques s’efforcent désormais de raconter l’histoire nationale, « ce genre de macro-récit, traditionnellement élaboré par le pouvoir politique et transmis par l’École, qui vise à raconter le pays de manière romancée – son identité, ses valeurs, ce qui nous unit, ce en quoi nous croyons, etc. Une histoire que les politiques ne parviennent plus à faire vivre. Études à l’appui, l’auteur explique que ce sont les écrivains qui réussissent le mieux… et encore. Les marques sont incroyablement efficaces pour toucher un public plus jeune. Ils savent parler de la banlieue – comme la publicité de la société de VTC Heetch – ou expliquer l’inflation et vanter la solidarité des Français – le docker d’Intermarché. Sans oublier la FDJ, qui transforme son slogan « faire gagner les Français » en « et voir la France gagner », et les marques de luxe qui dessinent une France Emilie à Parisloin de celui de Renault.

Roman privatisé

Même les marques internationales racontent l’histoire de la France avec plus de brio que les élus. Nike, sponsor de l’équipe de France de football, qui dans ses campagnes relie les joueurs à leur ville de naissance et met en avant les terrains au pied des édifices. La France devient le sujet.

LLorca nous prévient : il ne faut pas laisser ce roman se privatiser de cette manière. Les politiques doivent se le réapproprier, quitte à emprunter aux marques le savoir-faire et l’imagination. Ces derniers ne peuvent ignorer leur responsabilité : “Dans le futur, il paraît inconcevable que les futures campagnes publicitaires de Renault, Burger King et autres SNCF ne s’accompagnent pas d’une batterie de tests sur le caractère politique de leur réception : quelle image donnent-elles de la société française, de ses tensions, ses représentants, ses aspirations ? » Indispensable, l’œuvre de Raphaël LLorca appelle le monde politique à répondre «besoin de la France» d’une société en manque d’histoires, de souffle et d’espoir. SUIS

 
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