Un jour, il m’a appelé sans me connaître et au fil de nos discussions, nous nous sommes sympathisés. C’est donc tout naturellement que j’ai soutenu la création de ce spectacle. J’ai aimé son enthousiasme, sa réactivité et une vraie confiance s’est installée. Il rêvait de ce salon de la jeunesse et il l’a fait. D’autres beaux projets l’attendent et il faudra désormais compter avec lui dans le paysage du livre au Togo.
Agnès Debiage : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la jeunesse ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Quand j’étais enseignante, j’adorais raconter des histoires aux enfants. Lors de mon départ au Ghana, je me suis porté volontaire pour enseigner le français dans ce pays anglophone. Enseigner cette langue aux petits Ghanéens m’a obligé à chercher des moyens de les captiver, alors j’inventais des histoires pour leur faire comprendre les mots.
Je voyais qu’ils aimaient vraiment ça. J’ai donc commencé à écrire ces histoires. Mon frère aîné écrivait aussi quand il était à l’école. Il m’a encouragé, j’ai repris tous mes textes et je les ai retravaillés. Mon premier livre jeunesse, Le secret d’Ayélévi, est sorti en 2020 chez Akoma Mba (Cameroun).
Pourquoi avoir créé le Salon du livre jeunesse de Lomé (SALIJEL) ?
Simon de Saint-Dzokotoé : En tant qu’auteur puis éditeur, j’ai constaté qu’au Togo il manquait un cadre d’expression pour la littérature jeunesse. Dans le passé, la production éditoriale pour enfants était plus abondante et les auteurs alimentaient cette tendance. Mais, petit à petit, cela a diminué et aujourd’hui trop peu de livres pour enfants sont publiés dans notre pays, les éditeurs se tournent davantage vers la littérature générale. Les auteurs pour enfants ont commencé à disparaître. Mais les enfants sont là. C’est pourquoi nous promouvons la lecture à travers notre association Lire au Togo. Nous allons dans des villages reculés pour apporter des livres aux enfants.
En faisant cela, je me suis dit pourquoi ne pas redynamiser cette situation et donner un élan à la littérature jeunesse. Cela m’a amené à créer ce spectacle, pour ouvrir cette fenêtre sur la littérature jeunesse, ses auteurs, ses illustrateurs, ses éditeurs et permettre au Togo de disposer d’une plateforme dédiée au livre jeunesse. Le cœur de ma motivation s’est concentré sur les enfants pour leur permettre de découvrir cet univers livresque. Les professionnels du livre togolais voyagent dans d’autres pays, mais personne ne vient au Togo, alors à notre petit niveau nous avons essayé d’inverser la tendance.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Je parlerai d’abord de ce qui permet d’organiser un salon, à savoir le financement. Si nous n’avions pas obtenu, sur la base de notre projet, le soutien du programme des Ressources pédagogiques (Institut français, UNESCO, AFD), ce SALIJEL n’aurait pas pu avoir lieu. La recherche de fonds supplémentaires a mobilisé beaucoup d’énergie. Nous avons également eu du mal à fédérer et convaincre les acteurs de la chaîne du livre. Par ailleurs, je trouve dommage que la majorité des stands partenaires aient été payés par des internationaux, seuls deux acteurs togolais ont joué le jeu de ce soutien total à SALIJEL. Et enfin, nous avons eu du mal à obtenir le soutien des pouvoirs publics.
Notre ministère de la Culture se limite aux parrainages, c’est certes un soutien moral, mais créer un spectacle demande beaucoup de dépenses si l’on veut organiser un événement digne de ce nom. Enfin et surtout, nous avons dû constituer une équipe de bénévoles motivés. Beaucoup sont prêts à s’impliquer, mais demandent à être payés alors que nous sommes tous bénévoles. Tout a été un chemin difficile au fil des mois, mais le résultat est là : tout le monde s’accorde à dire que ce fut un très beau spectacle.
Quels ont été les retours des enfants et des enseignants sur ce 1er SALIJEL ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Franchement, les enfants étaient très contents et on pouvait l’entendre dans les allées du spectacle. C’était la première fois qu’ils participaient à un événement qui leur était entièrement dédié. C’est important, car ils ont vu les écrivains un peu comme des extraterrestres, mais là, ils ont pu rencontrer et interagir avec des auteurs et illustrateurs et découvrir des livres qu’ils n’ont pas l’habitude de voir.
Et surtout, ils ont pu participer à des activités et ateliers de manière ludique. Dans le domaine de l’illustration, ils se sont amusés à dessiner et à peindre. Ils ont participé activement aux tables rondes et posé eux-mêmes leurs questions.
Les enseignants ont vraiment trouvé formidable que SALIJEL mette à disposition des bus gratuits pour récupérer des classes entières dans leur école. Ces enfants n’auraient jamais pu venir si nous ne l’avions pas fait. Pour nous, c’était une évidence, car les enfants sont au cœur de ce spectacle.
Au total, nous avons pu toucher une vingtaine d’écoles regroupant environ 3 000 élèves. Plusieurs écoles privées sont venues avec leurs propres bus. C’était vraiment génial !
Quels sont les avis des professionnels du livre à la fin de cette première édition ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Je pense qu’ils sont tous satisfaits. Au début, ils doutaient que la série tienne ses promesses. A la fin, tout le monde a donné une excellente note à l’événement et ils sont repartis très enthousiastes, parlant déjà de 2025. Certains ont même admis qu’ils n’imaginaient pas qu’il s’agissait d’une toute première édition, car nous avons su combiner foule, divertissement, ronde tableaux, etc
Qu’a généré le rapprochement de tous ces professionnels du livre ?
Simon de Saint-Dzokotoé : J’ai le sentiment qu’à travers ce spectacle, nous avons créé une synergie. Une synergie qui n’existe pas au Togo. Nous avons fait travailler ensemble les libraires et les éditeurs, mais ils ont aussi collaboré avec les auteurs et finalement tout le monde a été mis en interaction avec les parents et les enfants, favorisant cette synergie.
C’est une première et cela ouvre des perspectives pour l’avenir.
Aujourd’hui, comment soutenir SALIJEL si vous êtes un particulier ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Nous avons déjà mis en place une cagnotte en ligne pour l’édition 2025. En effet, pour ce 1er SALIJEL, nous avions lancé un appel aux dons de livres, mais c’était très compliqué de faire venir les livres de France où se trouvaient les donateurs.
Alors l’année prochaine, il sera plus logique d’acheter des livres localement et dans les pays de la sous-région pour animer les ateliers du spectacle et offrir des bons livres aux enfants. Les livres donnés en 2024 continueront de circuler dans nos événements au cœur des villages que nous coordonnons tout au long de l’année.
Ce SALIJEL a-t-il été précédé d’une formation pour les libraires ? Envisagez-vous de renouveler une action professionnelle chaque année ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Cette année, nous avons choisi la professionnalisation des libraires, car au Togo, les librairies qui se créent sont de très petites structures. Notre marché a été très déstabilisé par la fermeture de la grande librairie Star. Nous avions à cœur de faire monter en compétences ces petites librairies pour les aider à se développer.
Une vingtaine de libraires représentant une douzaine de structures ont été formés sur 3 jours pour les inciter à mieux gérer et valoriser leur librairie. La plupart d’entre eux sont libraires et non libraires, mais ils ont pu prendre conscience de ce qu’est et ce que fait un libraire. L’accent a été mis sur la promotion de la librairie.
Pour les années à venir, nous avons d’autres projets de formation et notamment la formation de médiateurs en lecture, comment amener le livre à l’enfant et la création d’activités autour du livre. Nous réfléchissons également à la formation de jeunes auteurs afin de dynamiser la production togolaise.
Qu’attendez-vous des partenaires privés et institutionnels ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Nous espérons que tous les partenaires qui ont soutenu cette 1ère édition renouvelleront leur confiance à SALIJEL et que ce soutien grandira. Du côté des institutionnels, nous aimerions quand même qu’ils nous fassent confiance. Se sentir soutenu par les institutions togolaises et internationales serait mérité, je pense. Il faut être réaliste, sans ce soutien, SALIJEL ne peut pas être pérenne mais nous avons commencé à construire quelque chose de formidable.
Un autre domaine qui nous tient à cœur est de développer la distribution de chèques-livres. Cela incite les enfants à lire, pour qu’ils puissent choisir leur propre livre et cela soutient aussi les exposants présents, c’est donc un cercle vertueux. Cette année, nous en avons financé une poignée sur les fonds de l’association, mais avouons-le, trop peu pour avoir un réel impact.
Pour les entreprises, cette distribution de chèques comptables peut s’inscrire dans une politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Cela met en valeur les entreprises et soutient une cause qui est l’éducation. Nous créons les adultes de demain pour qu’ils soient responsables. Notre approche SALIJEL s’inscrit également dans les objectifs de développement durable de l’UNESCO.
Quelles sont les perspectives de SALIJEL pour 2025 ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Nous devons accroître notre pouvoir et notre professionnalisme et mettre en place d’autres activités pour rendre SALIJEL encore plus vivant. Un des enjeux est aussi d’ouvrir ce salon sur 4 jours et non sur 3 comme cette année. Cela permettrait d’avoir deux journées dédiées aux écoles et deux journées de week-end pour laisser le temps aux familles de venir. Mais cela implique des coûts supplémentaires importants, cette perspective ne sera donc possible que si nous sommes accompagnés dans notre démarche.
Quel serait votre rêve pour SALIJEL dans 5 ans ?
Simon de Saint-Dzokotoé : Dans 5 ans, j’aimerais que la fréquentation soit décuplée dans un lieu offrant tout l’espace nécessaire. Et si 10 000 personnes venaient visiter notre salon ! Et si ce SALIJEL devenait une plateforme incontournable en Afrique de l’Ouest ? Nous avions 26 exposants cette année, alors si je rêve, peut-être pourrions-nous atteindre la centaine dans 5 ans ?
Puisse ce salon devenir aussi un ciment entre les zones linguistiques en Afrique (ce que nous avons commencé en accueillant cette année deux éditeurs ghanéens). Les petits enfants togolais devraient pouvoir découvrir des livres venus de tout le continent. Ils le méritent.
Et si je poursuis mon rêve jusqu’au bout, j’aimerais qu’il y ait beaucoup d’auteurs pour enfants au Togo et beaucoup de livres pour enfants publiés et qu’on puisse porter ce spectacle sous forme itinérante dans les régions du Togo.
Crédits photos : Agnès Debiage