D’où vient le succès fulgurant de Yuval Noah Harari, l’historien aux 20 millions de livres vendus ?

D’où vient le succès fulgurant de Yuval Noah Harari, l’historien aux 20 millions de livres vendus ?
D’où vient le succès fulgurant de Yuval Noah Harari, l’historien aux 20 millions de livres vendus ?

Lorsqu’il évoque dans ses livres la difficulté d’anticiper les grandes innovations technologiques à venir, Yuval Noah Harari reprend régulièrement le même exemple : dans les années 1950, on rêvait de colonies sur Mars, de voitures à propulsion nucléaire, de téléportation, etc. Rien de tout cela. arrivé. En revanche, personne n’avait prédit que de la connexion entre plusieurs ordinateurs – un hack d’ingénierie – naîtrait cette technologie qui change aujourd’hui fondamentalement nos sociétés : Internet.

Comme presque toujours chez Harari, la parabole est parfaite ; et on peut se demander s’il n’a pas des résonances autobiographiques. Car qui aurait pu prédire, il y a vingt ans, son statut actuel de gourou mondial du futur bionumérique ? En 2005, à 29 ans, il était maître de conférences à l’Université hébraïque de Jérusalem, spécialisé en histoire militaire médiévale. Pas de quoi attiser les foules. Mais lorsque la direction de l’établissement décide de créer une formation de premier cycle sur “Une introduction à l’histoire du monde”face au manque d’enthousiasme des autres enseignants pour s’en charger, c’est lui qui s’y est tenu. Son cours a plu aux étudiants, il a ajouté un polycopié très apprécié, puis a eu l’idée d’en faire un livre, ce que tous les grands éditeurs israéliens ont refusé : sujet trop vaste, auteur inconnu… Il est probable qu’ils ne l’ont pas fait. Je ne l’ouvre même pas. Puis il y en a un qui accepte de jouer le jeu, et Une brève histoire de l’humanité – l’ouvrage ne s’intitule pas encore Sapiens – devient un best-seller en Israël en 2011. L’expansion internationale étant compliquée, Harari en est réduit à publier la première traduction anglaise de son livre, qu’il avait réalisé lui-même, via un service en ligne à la demande proposé par Amazon. 2 000 exemplaires ont été vendus ! Jusqu’à ce qu’un célèbre agent littéraire israélien résolve la situation.

Snobé par les critiques

Sorti en 2014 au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, Sapiens est devenu le best-seller que l’on connaisse, mais pas immédiatement, comme le raconte la légende. Lors de sa publication, le livre n’a été commenté par aucun des principaux journaux d’opinion, New York Times, New York Review of Books, etc. En fait, c’est le bouche à oreille qui a fonctionné. Avec quelques soutiens prestigieux, c’est vrai : Bill Gates en a fait la publicité, Mark Zuckerberg – « Monsieur Facebook » – l’a inclus dans la liste des recommandations de son club de lecture et, enfin et surtout, Barack Obama en a parlé sur CNN “l’histoire de l’humanité vue du ciel” que cela lui avait procuré la même émotion que sa visite aux pyramides de Gizeh, en Egypte !

Comment expliquer cet engouement ? Les critiques établis avaient snobé Sapiens parce qu’ils l’avaient assimilé à ce genre de « produits » ce qu’achètent ceux qui ne lisent qu’un livre par an : une vulgarisation lourde qui fait tache, à se procurer dans les boutiques des aéroports pour valoriser un vol long-courrier. En fait, ils ne l’avaient pas lu non plus. Car, si Sapiens possède tous les stigmates d’un blockbuster, avec ses 500 pages grand format sur papier gonflé, il séduit d’emblée par ses qualités narratives. Et ce, dès le premier chapitre, où Harari raconte comment, il y a 100 000 ans, Homos sapiens, alors seulement « des animaux insignifiants, n’ayant pas plus d’impact sur leur environnement que les gorilles, les lucioles ou les méduses » et une espèce parmi plusieurs autres du genre Homo, ont évincé les Néandertaliens et colonisé la planète. Une saga digne d’un thriller au style inspiré de celui du géographe et biologiste américain Jared Diamond, dont Harari a souvent dit que la lecture de son prix Pulitzer, On Inequality Among Societies, en 1998, avait été pour lui une “révélation” : on peut donc présenter des idées sans être ennuyeux, et même mettre la barre assez haut, tout en divertissant le lecteur !

Car Sapiens est un livre d’idées, et une en particulier, qui revient comme un leitmotiv dans toutes ses œuvres : le « révolution cognitive »selon lequel la force de l’Homo sapiens vient du fait que, contrairement aux autres animaux, il peut représenter par le langage des choses qui n’existent pas dans la réalité – Dieu, la nation, les droits de l’homme, le dollar, etc. Cette capacité à créer « fictions intersubjectives » expliquerait, selon Harari, qu’Homo sapiens était capable d’organiser une vaste coopération entre des individus qui ne se connaissent pas. D’où le « révolution agricole » puis, au cours des cinq cents dernières années, le « révolution scientifique » – le livre se termine par une question dramatique : et si, avec le génie génétique et l’essor de ces entités “inorganique” que sont les intelligences artificielles, on assiste au crépuscule d’Homo sapiens et à son remplacement imminent par une nouvelle espèce du genre Homo ?

On comprend, à la lumière de ce résumé, que la Silicon Valley a fait du Sapiens son totem. Cela a également suscité un soupçon : Harari n’est-il que le porte-parole d’un secteur technologique revendiquant l’hégémonie ? C’était ne pas bien le connaître. Car, s’il s’est tourné, depuis Homo Deus en 2016, vers une réflexion sur l’avenir, il l’a fait à sa manière grinçante, alertant parfois sur l’instauration d’une société à deux vitesses avec, d’un côté, une élite resserrée. , riche, actif et “a-mortelle” (devenu, grâce à la médecine nouvelle, immortel, sauf par accident) et, d’autre part, une masse de « surnuméraires » rendu inutile par l’intelligence artificielle ; annonçant parfois l’apparition d’une IA basée sur des algorithmes sophistiqués qui parviennent à nous connaître mieux que nous-mêmes et donc à contrôler tous les secteurs de notre vie.

Adepte de la provocation

Harari n’aime pas être présenté comme un pessimiste. Mais il est vrai que, contrairement à Steven Pinker, l’auteur du Triomphe des Lumières (2018), il évite toute naïveté sur les bienfaits du progrès. Qui d’autre aurait pu qualifier de révolution agricole “La plus grosse arnaque de l’histoire” ? Ou écris ça « Nous n’avons absolument aucune preuve que le bien-être humain s’améliore inévitablement au cours de l’histoire » ? Il y a même un côté cynique chez lui. C’est un athée convaincu, pas un fan du judaïsme ni, encore moins, de l’État juif de la loi de 2018, dont les Israéliens l’accusent. C’est aussi un antinationaliste, rejetant l’idée de nation, trop étroite à ses yeux dans un monde où toutes les grandes questions sont mondiales. Et il n’hésite jamais à provoquer. Ses propos sur le terrorisme, qui, selon lui, dans ses 21 leçons pour le 21e siècle en 2018, tuent mille fois moins que le sucre ajouté à nos aliments industriels, en ont scandalisé plus d’un. Même chose pour sa dénonciation du rôle de« objet de viande » – qu’il ne consomme pas, étant végétalien – auquel on confine les animaux, ou encore pour son rejet des mentalités anti-homosexuelles. Parce qu’Harari est gay et marié à son manager. Non seulement il ne s’en cache pas, mais il dit souvent que ce statut d’étranger à sa société (il a dû se marier à Chypre, l’union entre hommes n’étant pas reconnue en Israël) lui a donné la capacité de « remettre en question les idées reçues ». Enfin, il n’a rien à voir avec un compilateur ennuyeux, comme le sont la plupart des vulgarisateurs. Harari a une approche d’auteur. Il a un ton, une vraie personnalité. Et, s’il se répète, il ne divague jamais, car il avance sans cesse dans sa réflexion, comme le montre son nouvel opus, Nexus, sur la question de l’information.

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Comme tous les auteurs à succès, Harari a été confronté à de nombreuses critiques, pas toujours pertinentes. Les universitaires ont souligné des erreurs dans ses travaux. C’est sans doute vrai dans le détail, mais est-ce si grave ? Harari peut répondre à cela en disant que son objectif n’est pas tant de décrire les nouvelles technologies que de réfléchir à leur impact sur l’homme. Il est plus un historien-philosophe qu’un scientifique, et qu’importe, dans cette perspective, quelques manquements marginaux à la vérité scientifique proprement dite ! Mais depuis, il a rectifié sa situation. Alors qu’on lui reprochait de ne pas citer ses sources dans Sapiens – son gimmick des mythes moteurs créés par l’Homme avait de grands précurseurs qu’il feint d’ignorer, Nietzsche et Georges Sorel –, dans Homo Deus et dans Nexus, il prolongeait ses notes.

Un côté « en même temps »

En fait, la plus grande critique qui puisse lui être adressée est ailleurs : elle concerne le flou, ou la mollesse, de ses conclusions. Même ses fans se plaignent souvent de ne pas être plus avancés une fois ses livres terminés. Ça vient de son côté ” en même temps “ : Harari tempère tellement ses thèses avec des notations adjacentes qu’on finit par ne plus voir d’où il vient. L’hebdomadaire britannique The New Statesman a même comparé ses conclusions à ces maximes simplistes que l’on retrouve dans les fortune cookies. C’est vrai, mais c’est assez injuste. Harari n’est certainement pas le penseur le plus important du 21e siècle que certains louent, mais il a un discours universel informé qui vaut toujours la peine d’être lu. Même son “Bouddhisme” – il pratique quotidiennement la méditation vipassana –, ce qui lui fait dire que « La seule constante au monde est le changement »participe à son message. Plus qu’un gourou, il serait plutôt le prototype de l’honnête homme du nouveau millénaire, guide des temps troubles qui n’accoucheront peut-être pas de notre mutation génétique, mais certainement d’une transformation radicale de nos sociétés. Et n’est-ce pas déjà beaucoup que, y compris avec ses doutes, Yuval Noah Harari nous y prépare ?

Lien de Yuval Noah Harari, Albin Michel, 576 P., 24,90 €

Nexus de Yuval Noah Harari a été publié par Albin Michel le 1er octobre 2024. | RD
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Nexus de Yuval Noah Harari a été publié par Albin Michel le 1er octobre 2024. | RD

Cet article a été initialement publié dans Lire le magazine en septembre 2024. Retrouvez le numéro complet sur la boutique Lire le magazine .

 
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