Romain Noël, « La grande conspiration émotionnelle. Un thriller théorique » (Seuil)

Romain Noël, « La grande conspiration émotionnelle. Un thriller théorique » (Seuil)
Romain Noël, « La grande conspiration émotionnelle. Un thriller théorique » (Seuil)

Bizarre littéraire. « Je dois avouer qu’à un moment j’en ai eu marre de la théorie […]. » En ouvrant La grande conspiration émotionnellePremier roman de Romain Noël, on se dit que ça commence bien : l’incipit promet avec cet aveu l’échec même de son projet. Mais qu’est-ce que c’est A la recherche du temps perdu sinon la longue procrastination du petit Marcel qui attend le baiser du soir de sa mère et qui devient en l’espace de milliers de pages et au fil des années l’écrivain mûr ayant transmué tous ses affects en art ? Le narrateur proustien ne commencera à écrire le roman qu’il se propose d’écrire qu’à la fin du roman que nous venons de lire. Ici, l’alter ego de Romain Noël qui dit « je » ne cessera jamais, tout en contestant la théorie, de théoriser sur l’incapacité de la théorie à parvenir à totaliser la vie. Oublier le patrimoine intellectuel qui par le poids de son histoire écrase, ou les avant-gardes qui par leur radicalité se tarissent, lâcher prise de toutes ces identités qui brident nos désirs… tel est le vaste programme auquel s’est fixé Romain Noël. L’absence d’intrigue romantique n’empêche en rien un plaisir de lecture qui s’apparente même à une forme de suspense, tant on est happé dans les dédales de sa construction. Et de tâtonner et de découvrir avec délectation la forme singulière de ce « thriller théorique ». Mêlant autofiction, pensée critique, sorte de quête du Graal et « écologie queer », avec références de notes et arborescences à l’infinicet objet littéraire non identifié a sa place à proximité La maison des feuilles par Mark Z. Danielewski dans la bibliothèque inclassable. Écrit à la première personne, il nous invite à partager avec le narrateur ses rencontres avec des personnages réels, ici un artiste contemporain, là un black block luciférien, rencontré lors d’un vernissage ou dans un café, et des métapersonnages, héros de fictions inachevées, en toute simplicité. devenir livresque…

Au début, un jeune homme termine sa thèse sur la souffrance animale. Parallèlement, il a vu le « catastrophe intime » de séparation d’avec “l’amour de [s]pour la vie. » D’une souffrance à l’autre ? Ou la solidarité avec l’animal dans notre capacité, en tant qu’humains, de ressentir et donc de souffrir ? Bienvenue au “pathocène”l’ère du retour des sentiments, voire de la sentimentalité, de la mystique de l’amour ! Théorie des effets, « Apocalypse BDSM », « transpassion »… Les concepts et références à Barthes, Deleuze, Foucault ou Donna Haraway abondent mais ne doivent pas effrayer. Les idées se transforment en aventures incarnées et en enchaînement de larmes. « Si la pensée est, comme je le crois, une aventure, il faut y mettre son corps. » La fiction nous sauvera du nihilisme. Toucher le fond sans fond, c’est comprendre que le néant dans lequel nous sombrons n’est plus la nuit noire du désespoir, mais la possibilité d’un accueil où se révèle la sublimation par la souffrance. Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des épreuves, qui sont encore de l’amour.

Noël romain
La grande conspiration émotionnelle. Un thriller théorique
Seuil
Tirage : 2 200 exemplaires.
Tarif : 22 € ; 336 p.
ISBN : 9782021567427

 
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