le livre choc d’Alice Develey, anorexique, sur l’enfer de l’hôpital psychiatrique

le livre choc d’Alice Develey, anorexique, sur l’enfer de l’hôpital psychiatrique
le livre choc d’Alice Develey, anorexique, sur l’enfer de l’hôpital psychiatrique

« Les Tombés du Ciel » est un roman, mais un roman largement autobiographique ?

Cette histoire m’a hanté pendant seize ans et ma première hospitalisation, à l’âge de 14 ans. Pour la mettre à distance, je l’ai d’abord écrite à la troisième personne du singulier. Ce n’est que plus tard, après un échange avec mon éditeur, que le « elle » est devenu « je ». Ma maladie m’a été volée, je l’ai reprise.

Vous décrivez un univers psychiatrique barbare, dans lequel les jeunes patients sont traités comme des criminels. En tant que jeune adolescente, votre personnage est gavé par une sonde gastrique et se retrouve pieds et poings liés à un lit d’hôpital. Comme elle, avez-vous été enfermé sans rien vous expliquer ?

Exactement. Pour moi, cette histoire est avant tout une dépossession, d’abord du langage. Quand je suis arrivé à l’hôpital, personne n’a mis des mots sur ce qui m’arrivait. Je savais que je ne mangeais que trois pommes par jour mais je ne savais pas qu’il y avait un nom pour ce suicide lent qu’est l’anorexie. A ce silence s’ajoutait la dépossession de mon corps. Transporté d’un médecin et d’une balance à l’autre, surveillé par une infirmière jusque dans les toilettes, j’ai perdu toute pudeur et je ne suis plus qu’un cas médical.

À quoi fait référence le titre de votre livre ?

Aux autres adolescentes que j’ai rencontrées dans le service. Ils étaient à l’âge où, normalement, on se construit et vole de ses propres ailes et ils se sont retrouvés enfermés entre quatre murs, privés de rêves et d’horizons.

Les témoignages que je reçois attestent que les méthodes n’ont pas changé.

« Mon enfance est morte dans cette pièce », écrivez-vous. N’était-ce pas amusant avant de compter chaque calorie, de cacher sa maigreur sous des vêtements trop grands, de laisser la bête cachée en vous que vous appelez Sissi dicter votre comportement ?

Oui, mais cela ne justifie pas la violence de l’isolement et de la retenue qui continue de vous imprégner pendant des années et qui vous tue de l’intérieur. Avant de réaliser ce qui n’allait pas, j’avais l’impression d’avoir encore un certain contrôle. Pourtant, l’hôpital m’a donné une raison de mourir, triplement enfermé : avec moi, dans une chambre et avec Sissi, qui est la métaphore de la maladie.

L’hospitalisation est-elle évitable face aux déni et refus de soins, très fréquents dans les troubles psychiatriques ? Comment pensez-vous que vos soins médicaux auraient dû se dérouler ?

Encore une fois, tout aurait été différent si le personnel soignant avait pris le temps de s’asseoir et de m’expliquer ce qui m’arrivait. Malheureusement, le manque de moyens en psychiatrie, parent pauvre du système de santé en France, ne s’est pas amélioré depuis. Les témoignages que j’ai reçus depuis la parution de mon livre, qu’ils soient de patients ou de soignants, attestent que les méthodes n’ont pas changé, même si les violences hospitalières ne sont pas systématiques.

Si les lecteurs sont indignés, tant mieux. Parce que la vérité est insupportable.

Votre histoire, écrite – vomie, pourrait-on dire – en un mois, est une succession de phrases marquantes. On y sent une colère qui ne s’est toujours pas éteinte…

Dans le livre, mon personnage écrit son histoire en une journée. Comme lui, il fallait que ce soit urgent, que ce soit vif et bref, percutant, charnel. Que les mots soient durs, provocateurs, intraitables. Ma conviction est qu’on n’écrit pas en pensant mais en ressentant. Et si les lecteurs sont indignés, tant mieux. Parce que la vérité est insupportable.

Votre personnage vit des moments difficiles avec ses parents qui, face au déclin de leur enfant, souffrent eux aussi, non ?

Le premier préjugé est que l’anorexique refuse de manger. Mais il ne choisit pas de tomber malade ! Alice ne cherche pas de bouc émissaire mais il y a un hiatus total entre elle et ses parents, qui ne comprennent pas et sont persuadés qu’elle se serre la ceinture sur un caprice d’adolescente.

Vous avez reçu le Prix Ferret du Nord/Decître Première Plume 2024. Qu’est-ce que cela vous fait ?

Ce qui me dérange, c’est que les patients – qu’ils soient anorexiques, dépressifs, schizophrènes, bipolaires, etc. – se sentent à l’aise pour me parler de leur souffrance. Sans doute parce que j’étais sincère dans ce que j’écrivais. J’espère seulement qu’ils n’ont pas attendu que je trouve autour d’eux des gens qui les écouteraient.

Quand, à 18 ans, j’ai pu dire non aux soins médicaux, je me suis senti libre de m’appartenir.

Qu’est-ce qui vous a aidé à vous évader et à retourner dans le monde des vivants ?

Quand, à 18 ans, j’ai pu dire non aux soins médicaux, je me suis senti libre de m’appartenir. J’ai découvert, en partageant avec un ami, le contenu normal d’un réfrigérateur et j’ai enfin pu goûter des pâtes et du fromage. Mes études m’ont également ouvert un horizon. J’ai pu voyager, rencontrer d’autres personnes, sortir de moi-même.

Malgré la dureté de votre histoire, votre livre se veut un message d’espoir. Que souhaitez-vous dire aux jeunes plongés dans l’enfer de l’anorexie et, plus généralement, des troubles psychologiques ?

Qu’ils ne désespèrent pas. C’est difficile et cela le restera, mais un jour ils s’en sortiront.

Certainement pas ! Beaucoup de paroles en politique, très peu d’actions… Actuellement, les personnes qui ont des problèmes psychologiques sont des survivants. J’espère que nous ouvrirons des lits, formerons des infirmiers et des médecins, donnerons plus de moyens à la psychiatrie et à la pédopsychiatrie, sensibiliserons les jeunes aux maladies mentales, briserons les préjugés… Ce projet demandera beaucoup d’argent et de moyens. attention.

« Tombés du ciel », d’Alice Develey, aux éditions L’Iconoclaste. 20,90 euros.

 
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