Dans son nouveau livre, cet ancien juge de Caen paie Éric Dupond-Moretti

Dans son nouveau livre, cet ancien juge de Caen paie Éric Dupond-Moretti
Dans son nouveau livre, cet ancien juge de Caen paie Éric Dupond-Moretti

Par

Nicolas Claich

Publié le

27 septembre 2024 à 19h06

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Il avait consacré son premier livre à un erreur judiciaire datant de 1910, « L’affaire Jules Durand, quand l’erreur judiciaire devient un crime ». Accusé d’un assassinat qu’il n’a pas commis, ce docker havrais a été condamné à mort à tort. Cette fois, Marc Hédrich se penche sur trois erreurs judiciaires « d’impunité ». “Dans ces trois affaires, nous n’avons pas condamné des personnes qui auraient dû être condamnées”, explique l’ancien magistrat près la cour d’appel de Caen (Calvados)donner une définition au terme impunité. Tout a bouleversé ces trois assassins.

Trois meurtriers acquittés

Les investigations avaient montré que les trois personnages principaux du nouveau livre de Marc Hédrich, « Les acquittements scandaleux des années folles »qu’il consacre ce samedi 28 septembre 2024 à Caen, avaient ciblé leurs victimes. Ils avaient également acheté une arme à feu, s’étaient entraînés à tirer et s’étaient approchés si près que les victimes ont été abattues à bout portant. « Autant d’éléments constitutifs de la préméditation », constate le juge Hédrich.

Jurys sans magistrats

Encore, Raoul Villain, Germaine Berton et Henriette Caillaux tous les trois ont été acquittés. Le premier est resté dans l’histoire comme l’assassin de Jean Jaurès31 juillet 1914. Pour venger ce dernier, Germaine Berton avait tué Plateau Mariusla directrice de la Ligue d’action française, magazine d’extrême droite, en 1923. Henriette Caillaux, quant à elle, était l’épouse du ministre des Finances de l’époque, Joseph Caillaux. « C’est lui qui a inventé l’impôt sur le revenu », rappelle Marc Hédrich. En tant que tel, il était détesté par les libéraux.» Ne supportant plus la campagne de presse dont son mari fait l’objet, Henriette tue le directeur du Figaro, Gaston Calmettedans les locaux du journal, en mars 1914.

J’ai dû créer le néologisme « assassins » pour évoquer Germaine et Henriette, car, dans la langue française, il n’y a pas de féminin dans le mot assassin. La presse les a traités d’assassins. Dans le vocabulaire, nous n’envisageions pas qu’une femme puisse préméditer un tel acte.

Marc Hédrich, ancien juge à la cour d’appel de Caen

Comment les jurés ont-ils pu acquitter ces trois criminelsarrêté les armes à la main ? C’est ce que Marc Hédrich a tenté de comprendre, en croisant leurs trois trajectoires avec sa connaissance du système judiciaire. Pour y parvenir, il fouille dans les archives de l’époque et replace ces faits dans leur contexte historique. « Jean Jaurès, rédacteur en chef de l’Humanité, a été assassiné le 31 juillet 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale », souligne l’auteur. Nationaliste, Raoul Villain l’a tué parce qu’il luttait pour la paix.» Cependant, le procès des méchants n’a eu lieu qu’en 1919, une fois le conflit avec l’Allemagne terminé. « Le pacifisme n’était plus à la mode, poursuit Marc Hédrich. Après une demi-heure de délibérationles jurés éprouvaient en quelque sorte pitié pour Villain, qui avait pourtant avoué son crime. A l’époque, les jurés se retiraient pour délibérer à la fin des procès en dehors de la présence des magistrats professionnels. Contrairement à aujourd’hui, ils n’ont pas été tirés au hasard sur les listes électorales. Il s’agissait principalement de notables, et uniquement d’hommes. « Les femmes n’avaient pas encore le statut de citoyennes », constate la juge normande.

Au point que l’avocat d’Henriette Caillaux, qui l’avait défendu Alfred Dreyfus quelques années plus tôt, avait plaidé le crime passionnel malgré une préparation évidente.

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S’adressant aux hommes qui composaient le jury, il leur a demandé : comment voulez-vous que la préméditation s’installe dans le cerveau d’une femme ?

Marc Hédrich, ancien juge à la cour d’appel de Caen

Le rôle de la presse

Une autre explication de ces « acquittements scandaleux » réside dans la mission confiée aux jurés. Jusqu’à une loi de 1941 qui introduisit des magistrats professionnels dans les jurys d’assises, ceux-ci n’étaient pas tenus de motiver leur décision. Ils devaient répondre « oui » ou « non » à deux questions simples : l’accusé avait-il tué la victime ? y avait-il préméditation ? « Si l’accusé était reconnu coupable, c’était automatiquement la peine de mort et il n’y avait pas de recours possible », explique Marc Hédrich. Il est arrivé que les jurés répondent « non » pour éviter de mettre quelqu’un sur l’échafaud.

Ces verdicts, parfois empreints d’humanité, ont cependant eu des conséquences inattendues dans les cas mis en lumière par Marc Hédrich. « Certains acquittements ont créé un précédent et certains y ont vu un droit de tuer. Raoul Villain a ainsi découvert qu’Henriette Caillaux avait été acquittée, trois jours avant de tuer Jean Jaurès.

Le dernier point commun entre ces trois cas est qu’ils ont tous un lien étroit avec la presse. Les trois victimes étaient des journalistes de gauche comme de droite et ont été tuées dans leur rédaction ou à proximité immédiate. « La presse écrite a eu à l’époque une influence énorme sur l’opinion publique », insiste le juge Hédrich. Ces affaires constituaient de véritables feuilletons.

«J’ai eu une mauvaise expérience avec la réforme»

En mettant la dernière main à son manuscrit, Marc Hédrich, alors en poste à la cour d’appel de Caen (il a notamment présidé les cours d’assises de la Manche et de l’Orne) est confronté à réforme de la justice pénale souhaité par le tout récent ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Expérimentée dans le Calvados, cette réforme a mis en place des juridictions pénales avec pour argument le désengorgement des cours d’assises.

J’ai eu une mauvaise expérience avec cette réforme car je suis très attaché à l’association des citoyens à la justice. Dans les tribunaux pénaux, il n’y a que trois magistrats professionnels.

Marc Hédrich, ancien juge à la cour d’appel de Caen

La coïncidence entre le thème de son livre et l’identité de celui qu’il considère comme « le fossoyeur des jurys populaires », surnommé Acquittant en raison du nombre d’acquittements obtenus au cours de sa carrière d’avocat, lui a donné l’idée d’ajouter un dernier chapitre à son œuvre. « Les tribunaux pénaux jugent 90% des cas de violobserve Marc Hédrich. Cela signifie-t-il que nous ne traitons pas le viol comme les autres crimes ? Au moment de Moi aussiJe trouve cela inacceptable ! »

Spécialiste des erreurs judiciaires

C’est d’ailleurs une des raisons qui l’ont poussé à demander, alors qu’il approchait de la fin de sa carrière, un transfert en Martinique. Sur cette île des Antilles, il y a « cinq fois plus de crimes sanglants qu’en France métropolitaine ». En tant que président de la cour d’assises de Martinique, Marc Hédrich peut donc débat avec les jurés à la fin des épreuves.

À l’étranger, il déniche également le sujet de son prochain ouvrage. Encore une fois, ce sera une erreur judiciaire.

Je ne crache pas dans la soupe, bien au contraire. Il me semble que la justice grandit lorsqu’elle reconnaît ses erreurs et les corrige.

Marc Hédrich, ancien juge à la cour d’appel de Caen

Justice du 21èmee Le siècle présente de nombreuses « garanties d’un meilleur fonctionnement » (appel, droits de la défense, indépendance des juges d’instruction, etc.) mais, selon Marc Hédrich, « le chemin est encore long » pour obtenir une justice sans erreurs. De quoi publier quelques volumes supplémentaires.

Les acquittements scandaleux des années folles, par Marc Hédrich (éditions Michalon). En librairie depuis le 12 septembre (22 €).

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