Qu’est-ce qu’un héros ? L’écrivain jeunesse Jean-Philippe Arrou-Vignod livre sa recette

Qu’est-ce qu’un héros ? L’écrivain jeunesse Jean-Philippe Arrou-Vignod livre sa recette
Qu’est-ce qu’un héros ? L’écrivain jeunesse Jean-Philippe Arrou-Vignod livre sa recette

Dans « Les Exploits de Connie Mara », il imagine une héroïne rencontrant ses créateurs dans le monde réel. L’occasion pour l’auteur de jeunesse de questionner la notion de héros. Et parler aux lecteurs d’écriture.

Enfant, Jean-Philippe Arrou-Vignod dévorait les aventures du Club des Cinq, l’agent secret Langelot, Fantômette et Alice… Ce qui l’a inspiré pour créer le personnage de Connie Mara. Photo Chloé Vollmer-Lo

By Raphaële Botte

Publié le 27 septembre 2024 à 8h00

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Dannées Les exploits de Connie Mara, l’écrivain et éditeur Jean-Philippe Arrou-Vignod (Les histoires de Jean-Quelque chose, Enquête collégiale ou même Olympe de Roquedor, co-écrit avec François Place…) met en scène une romancière et son personnage. L’aventure se double d’une savante réflexion sur l’écriture et la place des héros.

Dans votre roman, l’un de vos personnages, Alicia Grant, écrit avec ses enfants une série de romans jeunesse dont Connie Mara est l’héroïne. L’avez-vous imaginé comme une sorte d’archétype de la littérature jeunesse ?
C’est plutôt la résurgence d’un lien ancien que j’entretiens avec les personnages de la littérature d’enfance que j’aimais passionnément : ces garçons qui ont vécu des aventures dans Le Club des Cinq, Agent secret Langelot…, et ces filles dont j’ai dévoré les aventures, Fantômette, Alice ou les sœurs Parker. J’ai voulu rendre hommage à cette littérature assez populaire, quelque peu empathique, où les méchants ont des visages sinistres, où les héros ont des tempéraments extrêmes et tous les talents. J’ai voulu que ces personnages s’incarnent à la rencontre de leurs lecteurs et, mieux encore, de leur créateur !

Pourquoi ne pas avoir écrit une série directement dans cette veine ? (Le Club des Cinq, Fantômette…) avec une héroïne un peu parfaite ?
Créer un contraste avec notre époque. Dans cette littérature un peu datée, on retrouve un rapport au monde assez innocent. Les mystères se résolvent simplement, les méchants sont des méchants de mauvaise qualité… Ce monde assez doux mais avec des personnages de caractère m’a ébloui quand j’étais enfant. Imaginer comment cela serait reçu de nos jours est amusant. C’est vrai, j’aurais pu écrire directement les aventures d’un tel héros, mais pourrait-on écrire aujourd’hui avec la même naïveté ? Les jeunes lecteurs d’aujourd’hui connaissent tellement la laideur de ce monde, ce que sont réellement la violence, les méchants…

Pensez-vous qu’il est important de proposer aux jeunes lecteurs des personnages en phase avec le monde d’aujourd’hui ?
Pour ce roman, en tout cas, j’ai pensé qu’il fallait s’amuser du contraste entre cette littérature d’antan et notre monde (Alicia Grant et ses enfants, une petite famille moderne, bien dans son époque et dialogues contemporains). C’est drôle de jouer sur ces deux tons : il y a Connie Mara, héroïne parfaite, détective de 13 ans, personnage de la romancière Alicia Grant, et Connie Mara qui sort du livre et s’immisce dans une intrigue actuelle. Je me suis concentré sur ce qui pourrait devenir intéressant chez cette héroïne dans le monde réel : cette petite starlette tellement habituée à ce que tout réussisse et que tous ceux qui l’admirent est, au final, pleine d’elle-même. et un peu superficiel. Mais surtout, elle en a marre de toutes ces aventures et elle aimerait être une jeune fille ordinaire, vivant des choses plus paisibles au lieu d’être constamment confrontée aux problèmes.

En définitive, l’héroïne « idéale » ne serait-elle pas un personnage réunissant toutes ces facettes ?
Certainement. Dans cette littérature d’antan, les personnages sont tellement entiers et stéréotypés qu’on ne s’attache pas vraiment à eux. J’ai commencé à vraiment aimer Connie quand elle est sortie du livre, quand elle est devenue exaspérante et brillante. Les héros ne sont pas intéressants s’ils sont simplement héroïques : ce sont les individus avec leurs contradictions qui nous intéressent, car nous nous reconnaissons en eux. Les héros ont juste ce petit plus : ils sont un peu plus insolents, un peu plus rebelles, un peu plus courageux que nous, mais il est quand même possible d’aspirer à être comme eux.

Est-ce que jouer avec ce personnage fictif vous a donné plus de liberté ?
Oui, mais j’avais aussi à surveiller la frontière poreuse entre ces deux mondes. Il fallait toujours qu’il soit très clair pour le lecteur : savoir quand on est dans un univers et quand l’un a déteint sur l’autre. La difficulté de cette histoire avec méta-histoire est de lui donner une parfaite cohérence. C’est compliqué de créer un écrivain adulte dans un livre pour enfants : je n’étais pas sûr que cela intéresserait les enfants. C’est pour cela que j’ai imaginé cette petite tribu qui écrit ensemble. Je l’aime! Imaginer les trois sœurs Brontë écrivant le soir sous le même toit m’a toujours fait rêver. Dans ce roman, cela permet aux enfants de s’identifier à la figure de l’écrivain car même Emma, ​​​​la plus jeune, suggère des idées. C’est une manière d’initier l’enfant au monde de l’écriture. Pour moi, c’est magique ! J’espérais communiquer cette magie et montrer que les histoires ne fonctionnent pas comme dans la vraie vie. Il y a des possibilités de feintes avec le joueur, des accélérations, des tirs magnifiques.

Et cela permet de remettre en question la notion même de caractère…
Je n’aime pas écrire pour montrer, expliquer, donner des cours… J’aime écrire des histoires qui divertissent, qui font plaisir, mais j’ai trouvé que cette idée était amusante et qu’en plus elle posait des questions : dans quelle mesure peut-on croire dans des personnages de fiction ? Existent-ils vraiment ? Quand on lit une série, on les voit tellement qu’ils deviennent presque plus réels que nos camarades de classe… S’ils existaient, à quoi ressembleraient-ils ?

Comment voyez-vous l’improbable dans la littérature jeunesse ? Jusqu’où pouvez-vous aller avec votre personnage ?
Il s’agit d’un contrat de fiction à tenir avec le lecteur : « Ce que vous allez lire, vous allez le croire. » Un certain degré de plausibilité est donc nécessaire, mais c’est à moi, auteur, de l’imposer. Je peux amener le lecteur à croire à des choses complètement improbables à condition d’en avoir les moyens. L’auteur pose sa limite entre le probable et l’improbable. Et si nous sommes très forts, nous pouvons rendre probables des choses complètement improbables ! Jouer avec ça est amusant pour moi.

Ce nouveau roman contient quelques éléments pour découvrir ce qu’est un personnage, une issue, une ellipse narrative, l’état d’esprit d’un écrivain…

D’héroïne parfaite, Connie Mara se révèle finalement impertinente, décomplexée, rebelle… Qu’est-ce que cela dit sur le statut qu’un auteur accorde à son personnage ?
Dans les livres, Connie Mara est imprégnée d’un sens de la justice, et dans la « vraie vie », elle est assez égoïste. Cela reflète le fait que les personnages héros ne peuvent pas rester à l’endroit qui leur est assigné. Ils sont toujours en décalage avec la société. Connie Mara ne peut pas être simplement la fille du chef de la police de Port Clam comme elle est représentée, elle doit gérer sa propre entreprise ! Une héroïne ne se contente pas d’être ce que nous voulons qu’elle soit. Elle a envie de profiter de la vie, de passer des soirées avec ses amis… Les héros secouent la petite prison dans laquelle les auteurs les enferment. C’est également le cas d’une autre de mes héroïnes : Olympe (en Olympe de Roquedorécrit avec François Place). Elle est une héroïne parce qu’elle ne veut pas devenir ce qu’on lui ordonne d’être.

Vous avez été professeur, puis aujourd’hui éditeur et auteur. Dans quelle mesure les conseils d’écriture s’insinuent-ils également dans ce roman ?
Ce ne sont pas vraiment des conseils, mais je souhaite communiquer sur ce qu’est l’écriture, aussi bien pour les adultes – j’ai d’ailleurs écrit Écrivez-vous ? Le roman de l’écriture – uniquement pour les enfants. Il est vrai que ce nouveau roman contient quelques éléments pour découvrir ce qu’est un personnage, une issue, une ellipse narrative, l’état d’esprit d’un écrivain… C’est une manière d’offrir aux jeunes lecteurs l’opportunité d’entrer dans cet univers. Est-ce le professeur qui parle ? L’éditeur ? Je ne sais pas. Le monde des livres et de la fiction est tellement merveilleux. Pénétrer de l’intérieur les conditions de la création me paraît passionnant pour un jeune lecteur.

Les exploits de Connie Mara, de Jean-Philippe Arrou-Vignod, éd. Gallimard jeunesse, 224 p., 14,50 €. A partir de 10 ans.
Écrivez-vous ? Le roman de l’écriture, de Jean-Philippe Arrou-Vignod, ed. Gallimard, 210 p., €18.

 
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