« Souvenirs sauvés de l’eau », de Nina Leger : une tragédie californienne

« Souvenirs sauvés de l’eau », de Nina Leger : une tragédie californienne
« Souvenirs sauvés de l’eau », de Nina Leger : une tragédie californienne
>>
Lors de l’incendie de Bear à Oroville, en Californie, le 9 septembre 2020. JOSH EDELSON/AFP

« Mémoires sauvées de l’eau », de Nina Leger, Gallimard, 318 p., 21,50 €, numérique 14 €.

Soft power, qui règne sur le quotidien et l’imaginaire de la planète, la Californie illustre aux yeux de beaucoup le meilleur de la modernité. Nina Leger, dans son nouveau roman, Des souvenirs sauvés de l’eaubrise le mythe en relatant la prise de conscience progressive, par son héroïne, Thea, des fondements prédateurs ultraviolents du Golden State.

Chassée fin 2020 par l’un des incendies monstrueux qui ravagent désormais l’arrière-pays californien, Thea quitte en urgence la petite Oroville, discrète bourgade nichée dans les montagnes du Nord où elle s’était installée trois ans plus tôt. Oroville a survécu aux temps éphémères de la ruée vers l’or. Elle le doit à sa rivière, la Feather, qui alimente l’énorme lac du barrage de Big Bend, un complexe qui fournit énergie et eau aux métropoles et vergers du Sud.

C’est une première catastrophe, liée aux abus de l’interventionnisme humain sur la nature, qui a conduit Thea dans ces parages en 2017. Un déversoir annexe a été endommagé et tout le complexe de Big Bend a été fragilisé. Plus de 200 000 personnes vivant en aval ont dû être déplacées. Thea, une jeune scientifique fraîchement sortie de l’université de San Francisco, a été embauchée pour vérifier le bon fonctionnement des incubateurs à saumon, un type d’appareil censé assurer, sur les rivières nord-américaines, la survie des espèces voyageuses qui y frayaient autrefois librement.

Des souvenirs sauvés de l’eau dénonce le formatage abusif de la planète et des sociétés humaines, le fil narratif étant l’évolution de la perspective de Thea, née à San Francisco, une métropole policière, largement ignorante des replis indicibles de la mémoire dans son arrière-pays.

Thea a grandi dans une famille éminente, que le roman emprunte à l’histoire réelle. Son arrière-grand-père n’est autre que l’anthropologue Alfred Kroeber (1876-1960). Sa grand-mère, fille du premier, est Ursula K. Le Guin (1929-2018). Thea entretient une tendre correspondance avec sa grand-mère, icône féministe et célèbre auteure de science-fiction. Cette dernière lui raconte comment la petite Oroville, où Thea travaille à conserver le saumon, fut jadis associée à un épisode célèbre qui toucha de près leur famille.

Le « dernier des Yahi »

C’est dans cette ville qu’apparut, le 29 août 1911, un certain Ishi, mourant de faim, seul survivant d’un groupe d’Amérindiens réfugiés depuis longtemps dans les montagnes pour échapper aux massacres perpétrés par les colons et les chercheurs d’or. « le dernier des Yahi »Placé sous la protection d’Alfred Kroeber, il fut ensuite accueilli à Berkeley dans le Musée d’anthropologie de l’université. Les publics les plus divers – des écoliers au grand linguiste Edward Sapir (1884-1939) – défilèrent jusqu’au musée pour assister aux performances d’Ishi (fabrication d’outils, chant, danse, etc.) et pour enregistrer la langue dont il était l’ultime détenteur. Il y resta jusqu’à sa mort en 1916, sous la « protection » de Kroeber qui – plus respectueux de sa mission scientifique que des tabous funéraires amérindiens – envoya le cerveau de son « ami Ishi » à la Smithsonian Institution pour y être étudiée…

Il vous reste 28.76% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

NEXT Le salon du livre était bondé de 400 visiteurs