Quoi où ? (Les Utopiens 2, La Spirale de l’Histoire)

Quoi où ? (Les Utopiens 2, La Spirale de l’Histoire)
Quoi où ? (Les Utopiens 2, La Spirale de l’Histoire)

PPlusieurs prérequis dicteraient la lecture de La spirale de l’histoirele deuxième volume de utopique publié par Gilles Jallet, après le tome 1 paru chez le même éditeur en 2023. D’abord, après avoir vu sur place les fresques que Miklos Bokor (1927-2019) a réalisées dans la chapelle de Maraden en référence à la Shoah. Les avoir vues en reproduction (ou pas). Ensuite, lire le livre pour lui-même en établissant un rapport avec vos précédents livres de Gilles Jallet tout en tenant compte (ou pas) du texte Dans le secret de la réunionqui raconte comment Gilles Jallet est allé à la rencontre de Miklos Bokor (Libr-critique. La littérature dans tous ses états). Pour l’instant, nous choisirons une lecture pour le livre et uniquement pour le livre.

Les poèmes, qui reprennent pourtant les titres des tableaux, dessins ou fresques de Miklos Bokor, n’ont rien d’illustratif, ils ne décrivent pas simplement ce que l’œil voit. On entre dans la spirale du poème qui entre lui-même dans la spirale du tableau. Ce n’est pas la Ut pictura poésie de la Renaissance (poésie aussi bien que peinture), mais « poésie pour (c’est-à-dire en vue de) la peinture », commente Gilles Jallet. D’ailleurs, bien que ce dernier livre entre en résonance avec vos tout premiers, ceux qui réunissent Contre la lumière (La rumeur libre, 2014), on se dit qu’il est préférable, à ce stade, de ne pas trop chercher les correspondances, bien que l’ancrage judaïque ou biblique soit déjà fortement présent. Quant au texte de la rencontre avec Miklos Bokor (on le comprend en lisant le Spirale), cela n’expliquerait en rien les poèmes, du moins en apparence. Dans ce texte, nous marchons avec Gilles Jallet en compagnie de Miklos Bokor, nous marchons dans un Pays qui ne serait pas seulement celui de la région du Lot, où se trouve la chapelle de Maraden. Nous sommes ailleurs. Où ? La question est l’un des enjeux du livre. Quoi où ?

DR – Wikimedia Commons

70 poèmes. 6 sections : les 4 premières de 12 poèmes chacune ; la cinquième, de 12 + 1 poème (« Entretien dans la montagne ») ; la sixième, de 10 poèmes. Pas de ponctuation, d’enjambement, la tendance narrative de l’enjambement ponctue les vers (courts dans l’ensemble). Sauf peut-être à un endroit, page 31, à la fin de « La ligature d’Issac », lorsqu’un point ponctue le mot « G.ieu ». Quelque chose rimerait avec le « euh » orphique du poème de la page 75, mais plus encore avec le mot « yeux », une des clés possibles. « Voir ce qu’il est impossible de voir » (p. 52). L’œil d’Abel dans le tombeau regardant Caïn ? L’œil du visiteur regardant les fresques de la chapelle de Maraden ? L’œil du poème pris dans la spirale de l’histoire ? Genèse 4 : « Tu cultiveras la terre en vain, dit Dieu à Caïn, mais elle ne te rapportera rien. Tu seras un vagabond et un vagabond sur la terre. » La question est de savoir où, du Pays, que couvrirait le cycle des Utopistes ?

Ces remarques n’ont d’autre prétention que d’esquisser une première lecture du livre de Gilles Jallet. Elles n’oublient pas combien la question centrale est celle du bien et du mal, du mal absolu (Hitler-Amalek). Le poème de la page 61 (« Le meurtre ») ne relate plus l’histoire de Caïn et Abel et interroge la réponse au mal que suggère l’épigraphe dans la citation d’Octavio Paz. Écrire un poème après… C’est pourquoi une autre lecture devrait approfondir les notions de « témoin-martyr » (p. 44) ou de double mouvement moi vers toi / pas toi vers moi (p. 82)…

La notion de « Figure » est aussi omniprésente et ramène la question à celle de la peinture. Dans un mur fissuré, à travers les fresques de Miklos Bokor, on voit ce qu’on ne voit pas, le plus visible du monde invisible (p. 74). Un dialogue s’instaure néanmoins avec l’histoire de l’art, avec une iconographie à dominante biblique bien qu’une iconographie antique soit aussi latente (Laocoon, Eurydice, l’étonnant satyre de Mazara en Sardaigne). Moins de musique (cf. la confrontation entre Rien et Voici page 91). Ainsi, on voit, à la lecture, Rembrandt (en premier lieu), Odilon Redon, Nicolas Poussin (beaucoup, surtout) ou Albrecht Dürer, le maître de Nuremberg… Pour ma part, à la lecture La spirale de l’histoireJ’ai pensé différemment à un détail du Jugement Dernier dans l’église du Saint-Sauveur-in-Chora à Istanbul, l’image de l’ange soutenant une sorte de « spirale » en forme de coquillage…

Gilles Jallet, La spirale de l’histoireLa Rumeur Libre, 2024, p. 99, 17 €

 
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