quand Fun Radio a créé un « monstre »

quand Fun Radio a créé un « monstre »
quand Fun Radio a créé un « monstre »

« The Midnight Cunt » est publié par Denoël ©

Décembre 1995. Ce soir-là, Max, étoile montante de Fun Radio, la station préférée des jeunes générations, discute avec un collégien en proie à un chagrin d’amour. Son émission quotidienne gratuite, plébiscitée par un très large public et qui fait suite à une autre émission mythique, la Lovin’Fun de Doc et Difool, s’apprête à entrer dans une nouvelle dimension par la grâce d’un simple coup de fil.

A l’autre bout du fil, la voix est caverneuse, et témoigne d’un taux d’alcoolémie nettement supérieur à la moyenne. L’homme, qui se présente comme un ancien camionneur, veut réciter des poèmes d’amour. Le standard du futur Système stellaire s’emballe, et Gérard va vite devenir le chouchou des auditeurs. Il finira même par animer une grande partie de l’émission, une fois par semaine : ce sont Les débats de Gérard.

Gérard voulait réciter des poèmes. Il a fini par animer un segment hebdomadaire de l’émission. ©

L’histoire finira mal. Très mal même ; par un «Salut Hitler !” scandé à l’antenne sans grande finesse, et sans réelle intention non plus, par celui qui avait été rebaptisé « Gérard de Suresnes », en référence à la ville d’Île-de-France où il vivait à l’époque. Un terme douloureux sept ans après «Dîner radiophonique des idiots“, comme le résume aujourd’hui Thibaut Raisse, l’un de ces milliers d’adolescents qui se branchaient, chaque jeudi, un walkman vissé sur les oreilles pour écouter son excitation. Et qui publie aujourd’hui un livre consacré à celui qui est mort en 2005, dans la plus abjecte pauvreté et l’indifférence : La chatte de minuit.

«Je ne veux pas lui rendre justice, assure-t-il. Juste un hommage. Quand j’ai entendu qu’il était mort si jeune (Note de l’éditeur : 43 ans), et de cette façon, je me suis dit que le gamin de 15 ans que j’étais ne s’était jamais intéressé à savoir qui était vraiment cet homme. Mais aujourd’hui, j’ai 40 ans et j’ai un travail qui me permet de raconter son histoire.”

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Il y a des raisons de trouver ce spectacle scandaleux ; mais il y a des raisons de penser que c’était un interlude enchanté

Une histoire plutôt dramatique, au fond. Nourri d’une quantité impressionnante de détails, Thibaut Raisse trace le destin d’un enfant volontaire mais limité, ballotté entre une mère instable et la DDASS. Celui d’un garçon brisé par la vie. Puis d’un adulte séparé trop tôt de sa fille, et dont la solitude le mènera vers l’alcool.

Jeté comme ça, son CV rend encore plus cruel le traitement réservé à Fun : celui d’un homme invité à l’antenne pour être moqué en public, sur les ondes d’une radio nationale. La vérité est plus complexe, puisque cette collaboration, la plupart du temps bénévole, a conduit Gérard Cousin (son vrai nom) à mener une vie presque anormale au regard de sa condition – celle d’un marginal sans diplôme, sans emploi, sans sécurité sociale.Il y a des raisons de trouver ce spectacle scandaleux ; mais il y a des raisons de penser qu’il s’agissait d’un interlude enchanté.évite de couper Thibaut Raisse. Grâce à elle, il pourra passer tous ses week-ends en boîte sans débourser un centime. Il signera des centaines d’autographes pour les enfants. Il voyagera aussi : en Belgique (NDLR : il passera une nuit à Namur, après une soirée à la Ferme Blanche, ancienne discothèque bien connue de la région), au Festival de Cannes et même à New York, où il a côtoyé Jennifer Lopez et Nick Nolte ! Je pense que Gérard a compris que l’idée du show était de se moquer de lui. Mais il a trouvé ça, d’une certaine manière, à son avantage. Il avait donc, d’une certaine manière, son libre arbitre. Lui retirer cela équivaudrait à lui retirer toute son humanité..”

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Ce qui a commencé comme une mauvaise blague a probablement fini par échapper complètement à Max. Qui, paradoxalement, s’est retrouvé dans une sorte d’incapacité à l’arrêter

Ses folles aventures belges, cannoises et hollywoodiennes n’auront pas sauvé Gérard du déclin. Pas plus que la relation qui l’unissait à Max. Une relation étrange, entre amour et révulsion, presque filiale, avec l’animateur dans le rôle du père de son aîné, de 8 ans son aîné. Fidèle à ses habitudes depuis la fin des années 1980, Gérard est un homme d’action et de divertissement. Système stellaireMax, devenu… porte-parole de l’équipe de France de football, a refusé de se confier à Thibaut Draisse. Qui se garde bien de l’accuser : «Ce sont deux personnages qui n’avaient aucune raison de se rencontrer : Gérard est un gamin issu d’un milieu extrêmement défavorisé avec une enfance difficile ; Max est un enfant privilégié qui vit dans une banlieue très chic. Et, comme je le mentionne aussi dans le livre, il a aussi fait beaucoup pour Gérard. Le mettre à l’antenne était, à ses yeux, une façon de le réinsérer dans la société. Mais il a peu à peu été horrifié par le fait que Gérard, qui n’était pas non plus un ange, ne voulait pas se prendre en main. Il a fait ce qu’il a pu avec les moyens du jeune homme qu’il était encore. Mais ce qui était au départ une mauvaise blague a probablement fini par lui échapper complètement. Et il s’est retrouvé, paradoxalement, dans une sorte d’incapacité à l’arrêter.«

Thibaut Raisse raconte le destin mouvementé de Gérard Cousin, alias Gérard de Suresnes, et notamment ses années au sein de la
Max, devenu porte-parole de l’équipe de France, a refusé de raconter sa version des faits à Thibaut Draisse. ©

La fin de l’histoire était sans doute prévisible. Pour Gérard, elle a fini au fond d’une fosse commune, après une courte agonie due à la maladie. Et alors que peu de gens à Fun Radio pensaient à l’ancienne star du jeudi soir : « JeIls étaient peu nombreux à demander des nouvelles, reconnaît Thibaut Draisse. Mais à leur décharge, Gérard n’était pas une personne facile à aider : il n’aimait pas parler de son passé, et il mentait systématiquement à ce sujet. Beaucoup de gens ont, finalement, essayé de l’aider, de le sortir de la pauvreté, de lui trouver un emploi stable en dehors de ces débats qui n’étaient pas de vrais emplois, de lui rédiger un CV, de lui trouver une couverture sociale. Mais il n’était pas trop abîmé pour ça.«


Ses « fans » ont collecté des fonds pour son enterrement

C’est un paradoxe un peu fou : Gérard « de Suresnes » fut, durant ses années Fun Radio, l’idole des jeunes auditeurs de Fun Radio… mais resta, toute sa vie, un étranger pour sa propre fille. Roselyne, dont il avait été brutalement séparé – et en partie de son fait – alors qu’elle n’avait que 4 ans, n’a découvert sa célébrité qu’après sa mort.Quand elle a découvert les spectacles de son pèrerapporte Thibaut Draisse, il était déjà parti. Elle a compris assez vite le principe de l’émission. Et elle l’a pris d’autant plus mal quand elle s’est rendu compte que tous ces jeunes qui appelaient pour se moquer de son père avaient eu accès à lui, alors qu’elle-même n’en avait jamais eu la possibilité : elle n’était même pas au courant qu’il était passé dans une émission.”

Mais c’est grâce à elle que son corps sera enfin exhumé de la fosse commune, avant de bénéficier d’une “vraie” sépulture. A elle… et à la cagnotte de 5 000 € financée par les ex-fans de Gérard.Ils ont même tendance à le sanctifier un peu.rapporte Thibaut Draisse.Et peut-être faut-il y voir une forme de culpabilité un peu détournée, la même qui, peut-être, m’a poussé à écrire ce livre. Mais il n’en demeure pas moins que la somme a été vite encaissée et qu’aujourd’hui. Vous savez, il y a même… des pèlerinages organisés entre fans pour aller à Suresnes.«

Quant à ses émissions, elles sont toujours écoutées sur le web, notamment sur YouTube, où certaines archives ont été (re)vues plus de 100 000 fois : « Pour une émission qui a plus de 25 ans, c’est énorme ! Mais il faut imaginer qu’au plus fort de leur audience, les émissions de Gérard, même si elles étaient diffusées après minuit, étaient écoutées par plus de 200 000 auditeurs. Je ne sais pas comment c’est en Belgique, mais en France aujourd’hui, une émission de radio diffusée à 20 heures rassemble, au mieux, 60 à 70 000 auditeurs. Lui, il en a eu le triple, et en pleine nuit !«


« Un temps annonciateur des dérives de Hanouna »

Au-delà de l’histoire personnelle et dramatique de Gérard Cousin, c’est aussi une époque que Thibaut Draisse raconte avec beaucoup de talent dansLa chatte de minuit. Et notamment les dérives observées depuis, sur les réseaux sociaux comme à la radio ou, bien sûr, à la télévision. On découvre ainsi, au fil d’un chapitre, que Cyril Hanouna, très apprécié de Max (et vice-versa), a assisté à l’une des émissions animées par Gérard. Difficile, après cela, de ne pas voir une parenté entre les débats de Gérard et la façon dont l’ancien animateur vedette de C8 humilie régulièrement ses chroniqueurs et invités.

Le sort de Cyril Hanouna, qui travaille sur C8, est loin d'être joué à l'heure actuelle.
Cyril Hanouna, l’héritier moderne du « Star System » de Max ? ©

Au-delà de son destin, Gérard est un objet journalistique à part entièrel’auteur croit.D’abord, c’est le premier anonyme à bénéficier d’une exposition médiatique aussi longue et régulière sur un média national. Ensuite, on peut bien sûr faire un parallèle avec les émissions d’Hanouna ou, avant lui, celles de Michael Youn, qui incarnaient aussi ce ton un peu coquin grâce auquel on pouvait facilement tomber dans l’humiliation, même si elle était « bon enfant ». Et puis, ce qui était aussi annoncé Les débats de Gérardc’est le harcèlement rendu possible par l’interactivité de ces programmes : le numéro de Gérard était dévoilé à l’antenne, certains auditeurs découvraient son adresse, et lui jouaient parfois de vilains tours. Mais ce n’était toujours pas de la même ampleur que ce que vivent aujourd’hui les personnalités qui s’exposent médiatiquement sur les réseaux sociaux, et qui reçoivent des menaces de mort cent fois par jour.«

 
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