L’Ange Dada, une vie que Jésus a accompagnée

L’Ange Dada, une vie que Jésus a accompagnée
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Ces dernières années, une femme est sortie de l’ombre en Allemagne grâce à la réédition de deux livres dont les traductions françaises sont publiées aux Editions Monts Métallifères à 71190 Broyer (France). Une femme qu’on surnommait autrefois l’Ange Dada, mais qui était avant tout un personnage de Dostoïevski, tour à tour humilié et lumineux.

Fille d’ouvrier, Emmy Hennings, née le 17 janvier 1885 à Flensburg (Schleswig-Holstein), épouse à 18 ans un acteur d’une troupe de théâtre ambulante dans laquelle elle apprend à chanter et à jouer lors de tournées dans le nord de l’Allemagne. En 1909, elle divorce et commence une existence erratique : sans travail, elle tombe dans la pauvreté ; initiée à la morphine, elle se prostitue pour payer les doses. Accusée de vol en 1914 par l’un de ses clients, elle passe deux mois en prison à Munich.

Ce séjour inspirera plus tard un roman sobrement intitulé Prison, racontant avec réalisme son séjour et sa solidarité avec les autres détenues – comme Anna incarcérée pour avoir volé une assiette de chocolat, ou Marie, une cuisinière accusée à tort. Extrait: « Les tapotements de mon voisin ressemblent aux crises d’un cœur en mal d’amour. Je réponds précipitamment. L’échange devient de plus en plus rapide, nous tapons ensemble. Je sais exactement où sont ses mains. Mes mains sont là aussi. Le mur nous sépare et ne nous sépare pas. C’est le battement de tambour de la camaraderie. Tous les détenus le comprennent.

Dada au Cabaret Voltaire

En 1915, Emmy part pour Zurich. Elle y rencontre l’écrivain Tristan Tzara (1896-1963), le sculpteur Hans Arp (1889-1966) et surtout Hugo Ball. Né en 1886, ce dernier travaille au théâtre pour le grand metteur en scène Max Reinhardt (1873-1943) et fréquente Kandinsky, le chef du mouvement « Der Blaue Reiter », avant de se réfugier en Suisse pour échapper à la mobilisation. En février 1916, il ouvre avec Emmy un cabaret, le « Cabaret Voltaire », où naît le mouvement Dada qui prétend bousculer toutes les conventions et contraintes idéologiques, esthétiques et politiques de manière à la fois burlesque et enfantine. Mêlant chant, récitations, pantomimes, Emmy s’y produit avec un tel succès que ses amis la surnomment bientôt l’Ange Dada.

Mais en mars 1917, Hugo Ball, fatigué, rompt avec les dadaïstes et commence son activité journalistique à Berne. Emmy le suit là-bas. En 1920, ils se marièrent. Peu de temps après, ils se retirèrent à Agnuzzo, un petit village du Tessin, où ils furent baptisés dans l’Église catholique et menèrent une vie de méditation et d’ascétisme. Hugo y meurt en 1928, Emmy vingt ans plus tard, oublié de tous.

Chemin de Croix et Charité

Après Prisonelle a publié La fétrise (traduction littérale de l’allemand « Das Brandmal », la marque au fer chaud qu’on infligeait aux prostituées en Allemagne au XIXème siècle). Elle raconte son expérience de la pauvreté, de la faim et de la prostitution à travers une actrice qui se retrouve littéralement sur le trottoir après la fermeture du théâtre qui l’employait. Réalisme, ironie, révolte contre le destin et la société, amour et pitié pour ses compagnons d’épreuve et de sexe rémunéré, font de ce « roman » un témoignage exceptionnel de l’existence que mena un temps l’auteure.

Sans aucune éducation religieuse, son double romantique rattache son chemin de souffrance au chemin de croix de Jésus. Elle ne le connaît pas bien, mais il l’accompagne tout au long de sa vie comme le seul confident à qui elle peut confier sa détresse ou ses espoirs. Sa foi est avant tout la charité, tout comme l’art est pour elle une quête de sens et de vérité. Le grand écrivain Hermann Hesse, qui la connaissait bien, témoigne : « Elle vibre pour les persécutés et les déshérités, elle dit oui à la vie dans sa dureté et sa cruauté ; elle aime les humains dans les profondeurs de la confusion et de la détresse. ». Ce n’est pas courant !

Prison*** Et Se flétrir*** | Romans d’Emmy Hennings, traduits de l’allemand par Sacha Zilberfarb | Éditions des Monts Métallifères | 160 pp., 19,70 € et 215 pp., 20 €

EXTRAIT

« Elle n’a jamais eu une vie facile, et peut-être qu’elle ne le voulait pas vraiment. Elle préfère vivre aux côtés de ceux qui luttent, les pauvres, les affligés ; elle préfère ceux qui souffrent ; elle vibre pour les persécutés et les déshérités. Elle dit oui à la vie, dans sa dureté et sa cruauté ; elle aime les humains dans les profondeurs de la confusion et de la détresse. Et je suis convaincu que ses livres, si sincères, si authentiques et si beaux, nous survivront ».

Hermann Hesse

 
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