« Au Québec, la censure ne meurt jamais », par Jean-Yves Mollier

« Au Québec, la censure ne meurt jamais », par Jean-Yves Mollier
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Dans La librairieun roman publié en 1968 (Le Cercle du Livre de Ltée, Ottawa), l’auteur, Gérard Bessettemettait en scène un employé de librairie aux prises avec un lecteur à qui il avait conseillé de lire Jésus la caille. Après l’enregistrement Romans à lire et romans à éviter de l’abbé Bethléem et dans le Annuaire de 16 700 auteurs : 70 000 romans et pièces de théâtre notés d’un point de vue moral de l’Abbé Sagehomme que Francis Carco n’était ni à laIndice ni l’objet d’attaques spécifiques, le patron du libraire l’a rassuré. Il n’aurait pas d’ennuis pour avoir osé recommander un roman que les deux Pères-la-Pudeur auraient stigmatisé s’ils l’avaient lu.

Censure et soutane

En dénonçant l’absurdité de la censure catholique qui a duré au Québec jusqu’au déclenchement de la « révolution tranquille », Gérard Bessette a voulu démontrer le retard de son pays par rapport aux États-Unis, à l’Angleterre et à la France. . De cette censure morale qui mutilait romans, pièces de théâtre et films, le volumineux Dictionnaire de la censure au Québec. Littérature et cinéma, publié en 2006 (Fides Montréal) est un témoignage vivant. Bibliothèques et librairies, maisons d’édition et théâtres, cinémas et salles de concert, toute l’infrastructure culturelle du pays dépendait de l’Église. Dans ce contexte étouffant, le Père Bethléem et son successeur, le Père Sagehomme, furent les oracles constamment consultés pour autoriser ou interdire un livre ou un spectacle.

A peine libéré de cette emprise religieuse qui avait bridé l’imagination des écrivains de La Belle Province pendant des décennies, le Québec allait se distinguer par la rigueur de ses procédures de bâillon destinées à protéger, non plus l’Église catholique, mais l’économie nationale. Révélé par la publication du livre d’Alain Deneault intitulé Canada noir. Pillage, corruption et criminalité en Afrique (Écosociété, Montréal, 2008), le « procédure de bâillon » Canadien consistait, pour la société minière Barrick Gold par exemple, à demander six millions de dollars à la maison d’édition si elle persistait à mettre en vente cette sulfureuse enquête. Au terme d’une longue procédure et au prix d’un arrangement « amiable », l’éditeur a abandonné de republier le livre, et les deux sociétés minières qui réclamaient désormais onze millions de dollars abandonnèrent leurs poursuites.

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Ainsi, le Québec, à peine entré dans le XIXe siècle, entendait montrer au reste du monde que la censure économique devait remplacer la censure religieuse et qu’il était temps de considérer que les lanceurs d’alerte étaient bien plus dangereux. que les auteurs libidineux de romans érotiques. Anne-Marie Voisard décrit avec talent, dans Le droit du plus fort (Écosociété, Montréal, 2018), la perversité de cette censure économique dont les exemples sont nombreux à travers le monde. Julian Assange et Edward Snowden ont été victimes avant Antoine Deltour (RévélationsLes Arènes, Paris, 2001) et Denis Robert ( les ClearstreamLes Arènes, 2011) ne risquent pas la prison pour avoir osé mettre en avant la perversité du système bancaire.

À la fin des années 2010, un autre type de censure, venue des États-Unis, frappe le Québec. La campagne qui a réussi à interdire le « N Word » au-delà de la frontière canadienne provoqué le retraiten octobre 2020, des classes de 4e année de la ville de Montréal à partir d’un livre d’histoire intitulé Voyages à travers l’histoire du Québec et du Canada parce que ce manuel faisait référence à l’essai Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières (François Maspero, Paris, 1969). Face à une vague déferlante qui risquait de transformer les enseignants en victimes desuspicion généraliséebeaucoup d’entre eux ont choisi la prudence et l’autocensure.

Un an plus tard, une enquête réalisée auprès des enseignants du supérieur révèle que 60 % d’entre eux admettent désormais se censurer devant ses élèves au point de faire craindre aux autorités académiques une sorte d’affaiblissement de l’enseignement universitaire. Censés apprendre aux jeunes adultes à penser par eux-mêmes, les enseignants se sont retrouvés surveillés par des censeurs transformés en gardes rouges de la pensée occidentale. La réaction du ministère de l’Éducation du Québec a cependant été rapide et la censure a été, en généralrejeté et condamné dans les mois suivants.

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Cependant, comme s’il voulait démontrer sa capacité à ne négliger aucune facette de la censure, le Québec s’est retrouvé confronté, en même temps, aux attaques des annuler la culture et la dénonciation véhémente de « appropriation culturelle « . Sans aller jusqu’à imiter le conseil scolaire catholique de Providence, en Ontario, qui a brûlé plusieurs dizaines de livres en 2019, dont Tintin Et Astérix Jugées hostiles aux « Premières Nations », les associations féministes locales ont, à plusieurs reprises, rivalisé avec leurs homologues américaines dans leur chasse aux sorcières.

Une journaliste, Judith Lussier, a fait le point sur cette question dans son livre, Annulé. Réflexions sur la culture de l’annulation (Éditions Cardinal, Montréal, 2021) où elle cite plusieurs cas de professeurs licenciés pour avoir osé faire étudier des étudiants des textes jugés racistes ou porter atteinte aux droits des minorités. aussi, des stars de cinéma et des réalisateurs ont été mis au pilori avant qu’un procès équitable n’ait lieu.

L’autocensure fut la première conséquence de ces campagnes qui rappellent les procès organisés contre les « Les sorcières de Salem », en 1692-1693 dans le Massachusetts. Cependant, comme pour le « N Word », les autorités académiques québécoises ont réagi et, en janvier 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a demandé aux dirigeants des universités québécoises de « ne tolérer sous aucune condition » censure dans leurs établissements. Pour aller plus loin, elle exige, dans sa circulaire, que le souci d’inclusion des minorités, sexuelles ou ethniques, ainsi que la volonté de faire place à la plus grande diversité n’empiètent pas sur « juridiction légale « .

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La venue du Québec au Festival du livre de Paris cette année permet de faire le point sur la question de la censure qui menace le monde entier. Cela rappelle aussi qu’il y a quelques décennies une romancière de La Belle Province, Denise Bombardier, avait eu l’audace de s’opposer à et à son invité, Gabriel Matzneff. Invitée à l’émission « Apostrophes », en mars 1990, pour parler de ses romans, elle dénonce l’écrivain français coupable à ses yeux. séduire les adolescentes à peine pubère, ce qui signifie qu’elle est « mise sur liste noire », n’est plus invitée en France, rendue « invisible », et désormais « effacée » du champ littéraire français.

Reconnue comme une femme courageuse et réhabilitée lors de la publication de l’essai intitulé Consentement de Vanessa Springora (Grasset, Paris, 2020), elle a obligé Bernard Pivot pour tenter de se justifier en invoquant le contexte permissif des années 1980-1990. Comme le montre cet exemple, la liberté dont jouissait alors Gabriel Matzneff était l’exact contrepoint à la censure subie par les rares voix qui considéraient que le le tourisme sexuel en Asie était un crime et que le flirt des adolescentes par des hommes âgés suffisamment pervers pour déguiser leur obsession en jeux d’amour et de hasard en était un autre.

EXTRAIT – Interdiction de publier ! – Jean-Yves Mollier

Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Jean-Yves Mollier est un spécialiste reconnu de l’histoire de l’édition, du livre et de la lecture. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Où va le livre ? (La Dispute, 2000, 2002 et 2007), Édition, presse et pouvoir en France 20 siècle (Fayard, 2008), Hachette, le géant aux ailes brisées (Editions de l’Atelier, 2015), Une autre histoire de l’édition française (La Fabrique, 2015, 2018 et 2019) et Bref historique de la concentration dans le monde du livre (Libertalia, 2022 et 2024)

Crédits photos : Jean-Yves Mollier © Leo Martins / Agencia O Globo

 
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