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Alors que le Salon du livre bat son plein, les menaces qui pèsent sur le monde du livre n’ont jamais été aussi importantes et précises. Le contrôle des milliardaires sur les groupes d’édition Editis et Hachette d’un côté, les appétits insatiables d’Amazon, déjà premier distributeur de livres, de l’autre, font craindre pour l’avenir de tout un secteur, mais aussi pour les libertés. d’expression. Dans Vous ne me trouverez pas sur Amazon ! (Ed. Divergences, 115 pp., 13 €), l’écrivain et journaliste économique Laurent Mauduit nous livre les conclusions de l’édifiante enquête qu’il a menée. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il a travaillé pour Libérer Et Le monde avant de participer à la fondation de Médiapart.

Lorsque Bolloré prend le contrôle du Journal du Dimanche, les journalistes se mettent en grève pendant plusieurs jours. Mais rien de tel ne s’est produit dans le monde de l’édition lors du rachat du groupe Hachette. Comment expliquez-vous cette apathie ?

En France, il y a toujours eu une bien plus grande vigilance sur ce qui se passe dans la presse que dans l’édition. Cela fait moins de bruit même si le danger est de même nature : la remise en cause du droit des citoyens à l’information, à la liberté d’expression et d’opinion. Le mouvement de concentration ressenti par la presse a fait du bruit. Pas lorsqu’il s’agissait d’Editis ou d’Hachette. Mais Bolloré le fait en publiant ce qu’il a fait dans la presse. Lorsqu’il a pris le contrôle de Canal +, il a supprimé les Guignols, il a interdit les enquêtes comme celle qui s’est penchée sur le système d’évasion fiscale pratiqué par le Crédit Mutuel, sa banque. Lorsque Bolloré prend le contrôle d’Editis, il censure le livre de Guillaume Meurice. Maintenant qu’il a vendu Editis au milliardaire Daniel Kredinsky, il suit le même chemin que lui dans la presse : il suit sa vision en s’alliant à l’extrême droite. On l’a vu récemment avec le limogeage de la réalisatrice de Fayard, Isabelle Saporta, et l’entrée en scène de Lise Boël, qui est la monteuse d’Eric Zemmour, Philippe de Villiers, et sans doute celle de Jordan Bardella. Il faut cesser le manque de réaction des éditeurs, ils doivent contribuer à la participation citoyenne pour empêcher cette exploitation du livre.

Une série d’auteurs, parmi lesquels Annie Ernaux, Jérôme Ferrari et Aurélien Bélanger, ont annoncé vouloir boycotter les maisons d’édition de l’empire Bolloré, et même refuser les interviews dans ses médias. Cela pourrait-il bousculer les éditeurs ?

Je pense que nous devons mobiliser tous les acteurs de la société. Que des romanciers et des intellectuels de renom se mobilisent est une bonne chose. Mais la première responsabilité est celle des pouvoirs publics. Je dis cela parce qu’il existe des instruments pour interdire les OPA, nous avons en France des lois anti-concentration qui n’ont pas été revues depuis des années. Elles datent de 1945 et 1986, à une époque où l’on ne parlait que de concentration horizontale : où les acteurs économiques, par exemple, rachetaient de plus en plus de journaux. On assiste aujourd’hui à des concentrations verticales, avec l’apparition d’immenses conglomérats multi-métiers. Comme Bolloré, qui possède un grand centre médiatique (Vivendi), un géant de la publicité (Havas), un groupe d’édition (Hachette), des sociétés de production audiovisuelle, un institut de sondage (CSA). Le danger de ces énormes conglomérats est qu’il peut y avoir un conflit d’intérêts. Les pouvoirs publics devraient donc les réglementer. Cela soulève des questions civiques très importantes. C’est pourquoi tous ceux qui peuvent s’exprimer, qu’ils soient journalistes, lecteurs de journaux ou de livres, auteurs… tous ceux qui tirent la sonnette d’alarme ont raison de le faire.

Dans votre livre, vous soulignez également les menaces qu’Amazon fait peser sur le monde de l’édition. L’une d’elles concerne l’autoédition, c’est-à-dire la publication sans éditeur. Là aussi, on peut se demander : pourquoi les éditeurs ne défendent-ils pas l’ADN de leur métier ?

C’est le reproche que formulent les libraires bien défendus par la grande réussite démocratique qu’est la loi Lang de 1981, dont la logique est simple : le livre doit échapper aux lois traditionnelles du marché, il a un prix fixe pour tous, même en masse. distribution. Ce qui me choque, c’est que les libraires se dressent depuis une vingtaine d’années contre les attaques successives d’Amazon contre le prix unique, alors que les maisons d’édition ne s’indignent pas de cette situation. Amazon tente constamment de conquérir de nouveaux marchés. À New York, ils ont ouvert une librairie physique, avant de faire marche arrière et de fermer. Mais ils poursuivent leur évolution avec l’autoédition, accélérant cette mutation vers une édition trash et vide. En clair, on voit bien que de nombreuses maisons d’édition ont connu une perte de valeur et se sont laissées entraîner dans des logiques commerciales. L’autoédition couronnerait cette évolution : n’importe qui peut devenir éditeur – ce qui démontre la tentation d’Amazon de s’en prendre aux plateformes des éditeurs. Ces derniers ont des visions à court terme, mais ils devraient s’inquiéter de la menace et s’unir aux libraires. D’autant que le livre est un objet citoyen, il vit grâce aux librairies indépendantes qui sont des lieux de débat, de rencontres, d’éducation populaire. La position des éditeurs est schizophrène : ils supportent Amazon et chouchoutent les libraires. Cette gymnastique prouve leur embarras. Ils devraient laisser tomber le masque et dire qu’il y a des choses qu’ils n’acceptent pas.

Le problème n’est pas seulement économique, il est aussi culturel. Dans « Littérature sans idéal », l’écrivain Philippe Vilain dénonce la marchandisation du livre. Mais il semble très seul…

Tu as raison. Ces avancées dans la marchandisation du livre posent les mêmes enjeux que pour la presse : depuis 20 ou 30 ans, il y a une confrontation entre pertinence d’un côté, et flux de l’autre. Et on voit où cela mène : la rapidité a conduit à la liberté d’accès, ce qui a gravement porté préjudice au journalisme. Heureusement, un choc s’est produit en retour : les gens ont compris que l’information avait de la valeur, qu’il fallait la défendre. Je pense que c’est la même chose pour les livres : il faut défendre la valeur du livre, la valeur des auteurs, ce qui ne peut pas se faire dans une logique de flux.

Que signifie pour vous la Légion d’honneur décernée par Emmanuel Macron à Jeff Bezos ?

C’est un énorme symbole. D’ailleurs, il le lui donne en catimini, un jour de grande manifestation contre la réforme des retraites, au moment où Amazon lance une nouvelle offensive. Incapable d’atteindre ses objectifs sur le prix unique du livre, Amazon a tenté de ne pas facturer de frais de port pour les livres achetés sur internet. Macron affiche donc sa proximité avec Bezos, lui décerne la décoration française la plus emblématique, au moment où le projet de loi pour un prix minimum des frais de transport est débattu à l’Assemblée nationale. Et si la loi votée était vertueuse, le décret d’application ne le sera pas : Amazon peut facturer un tarif de port minimum de 3 €, quand les libraires doivent payer le tarif officiel de 6,80 € à 7 €. Cela montre de quel côté se trouve Macron, dans un combat qui reste encore très démocratique.

Votre livre paraît chez un éditeur appartenant au mouvement de résistance initié par Diffusion de vagabonds, qui ne fonctionne pas avec Amazon – d’où son titre « Vous ne me trouverez pas sur Amazon ! ». Ce mouvement fait-il son chemin ?

À ma connaissance, il n’y a pratiquement pas eu de nouveaux éditeurs au cours des deux dernières années ; nous restons à un peu moins d’une centaine de petites maisons très dynamiques. J’ai trouvé qu’il y avait une cohérence dans leur publication alors que le livre dénonce les pratiques d’Amazon.

Et pourtant, le livre semble être disponible sur Amazon

Si vous allez sur Amazon pour commander le livre de Laurent Mauduit, vous le trouverez. Sauf qu’il ne vous sera jamais envoyé. Les algorithmes d’Amazon sont configurés de telle manière qu’ils siphonnent tous les catalogues de nouveautés des éditeurs. Selon toute vraisemblance, on peut donc commander les livres aux éditions Divergences. Ce n’est qu’une fois votre paiement effectué que vous serez informé que le livre n’est pas en stock et que vous serez remboursé (ce qui peut prendre plusieurs semaines). De plus, techniquement, n’importe qui peut également vendre des livres sur Amazon via Market Place, mais à quoi sert un vendeur de cet acabit s’il ne peut réaliser aucun profit ? Tout cela démontre en tout cas que les éditeurs n’ont aucun moyen de contrôler les pratiques d’Amazon. A Laurent Mauduit les derniers mots : «Mon éditeur refuse de passer sous les fourches d’Amazon. Et cela seul compte à mes yeux : tout le reste n’est que tromperie… »

 
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