CIl s’agit d’un corps recroquevillé sur une civière dans une pièce nue de l’hôpital Ibn al-Nafees à Damas. La veille, il ne se souvenait plus de son propre nom. Khaled Badawi fait partie des 300 détenus libérés de la sinistre prison de Saydnaya. Aujourd’hui, il est capable de murmurer quelques mots, on comprend qu’il est d’Alep, un peu plus. “Il souffre de nombreuses fractures, d’une blessure à l’œil et il souffre de malnutrition”, énumère le D.r Hamam, qui s’en occupe.
Dans sa petite chambre, les familles se relaient sans cesse, s’attardant sur son visage tuméfié, dans l’espoir de retrouver le fils, le frère, le père, disparus dans les rouages macabres du système pénitentiaire syrien. « Avez-vous vu mon fils là-bas ? Il a été emprisonné en 2019», demande une femme âgée en lui montrant un portrait sur son téléphone. Khaled n’a pas la force de répondre. « Comme nous connaissions son nom, nous avons pu contacter la famille », se réjouit le médecin. Je les appelle sans arrêt depuis ce matin, j’imagine qu’ils sont déjà en route depuis Alep. »
130 000 disparus
Depuis l’arrivée du groupe rebelle islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) à Damas, le 8 décembre, et la fuite de Bachar al-Assad, cette prison est au cœur de toutes les attentions. Tout le monde a vu les images des troupes du HTS forçant les portes des cellules à coups de crosse de fusil et celles des prisonniers affamés, enfin libres, courant le plus loin possible de leur prison.
Dans son rapport publié en 2017, Amnesty International décrit la prison comme un « abattoir humain » où sont pratiqués la torture, des conditions de détention inhumaines et des interrogatoires durs, symbole des exactions du régime du clan Assad. Dans un rapport de 2022, l’Association Saydnaya des détenus et disparus estime que 30 000 prisonniers ont été torturés à mort ou exécutés entre 2011 et 2018, au plus fort de la répression contre le mouvement révolutionnaire. Les corps n’ont jamais été restitués à leurs proches. Plus de 130 000 personnes sont toujours portées disparues.
L’espoir ravivé
Pour les dizaines de milliers de familles dont les proches sont passés par Saydnaya depuis son ouverture en 1987, à l’époque de Hafez al-Assad, la prise de la prison a ravivé un immense espoir. Elle est visible à l’hôpital Moujtahed où les corps d’une quarantaine de prisonniers, retrouvés dans un hôpital militaire de la capitale, sont exposés afin que les familles puissent les identifier. Des centaines de personnes vont et viennent à la morgue ou se pressent devant l’entrée de l’hôpital, où sont affichées des photos des défunts (décédés au cours des vingt derniers jours).
“Celui qui entre à Saydnaya n’en sort pas vivant mais nous attendrons ici jusqu’à ce que nous connaissions la vérité”
“En tant que médecins, nous sommes habitués à voir des morts, des victimes de guerre, mais ce que nous avons vu avec ces corps ne ressemblait à rien d’autre”, raconte Muhammed Najem, chirurgien de cet hôpital. « Ils portent tous des marques de coups sur le visage et les membres. Nous avons vu des dents cassées, des ongles et des yeux arrachés, des brûlures faites avec des outils chauffants. »
“Une caméra nous surveillait”
Devant la prison de Saydnaya, à une trentaine de kilomètres de Damas, des milliers de Syriens affluent des quatre coins du pays, à la recherche de leurs proches. Ils errent dans les couloirs sombres, dans les cellules où les vêtements des prisonniers jonchent encore le sol, à la recherche d’un indice, d’une trace de vie. Dans l’un d’eux, un ancien prisonnier, Ahmad al-Muhammed, 32 ans, libéré il y a quelques années, recherche son frère Anas, également détenu. « Le plus dur, c’est la torture et le manque de nourriture. Nous ne pouvions penser à rien d’autre que manger. Nous ne pouvions même pas penser à quitter la prison, a-t-il déclaré. Nous nous levions à 5 heures du matin sinon nous étions torturés. Lorsqu’ils ouvraient les portes, nous devions nous couvrir les yeux avec nos mains, sinon nous étions punis. Nous n’avions même pas le droit de parler. Dans chaque cellule, il y avait une caméra qui nous surveillait. »
Abd el-Karim Aboud est originaire de Deir ez-Zor, une ville située sur les rives de l’Euphrate, à la frontière avec l’Irak. A l’annonce de la chute du régime, il prend sa voiture et parcourt les 450 kilomètres qui le séparent de Saydnaya. Son frère, membre de l’Armée syrienne libre (ASL), entre 2011 et 2012, au début de la révolution syrienne, a été fait prisonnier en 2019, à Damas. « Celui qui entre à Saydnaya n’en sort pas vivant. Mais nous attendrons ici jusqu’à ce que nous connaissions la vérité. Nous voulons juste savoir », déclare Abd el-Karim : « Cette prison est la plus grande preuve des meurtres de Bachar al Assad, le monde entier a besoin de la voir. »
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