Les musées doivent-ils restituer les œuvres issues des spoliations coloniales ? Même si la question n’est pas nouvelle, ce n’est que récemment que certains États et institutions muséales s’en préoccupent davantage. De quoi inviter les musées à repenser leur rôle.
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11 décembre 2024 – 09h23
Rachel Barbara Häubi
Conflits armés, crises humanitaires, climat, santé… Rachel décrypte les enjeux géopolitiques de la Genève internationale. Journaliste spécialisée en environnement, elle s’intéresse de près aux matières premières et est allée sur le terrain, notamment dans l’Arctique, pour enquêter sur les conflits miniers. Elle coordonne également le projet éditorial « Genève Vision », à cheval sur SWI Swissinfo.ch, Géopolitis RTS et l’Union européenne de radiodiffusion (UER).
Le débat sur le rapatriement des biens culturels pillés ou spoliés, souvent lors des conquêtes coloniales du XIXe et du début du XXe siècle, n’est pas nouveau. Ce mouvement est apparu avec les indépendances africaines des années 1960 ainsi qu’après la dépossession nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, ce n’est que récemment que certains musées et États ont vraiment commencé à s’y intéresser.
«Depuis les années 2010, nous bénéficions d’un réel soutien de l’opinion publique sur cette question, notamment dans le cadre de la lutte contre les discriminations et contre le racisme», constate Jacques Ayer, professeur de muséologie à l’Université de Neuchâtel et directeur de l’agence Museolis, sur le plateau de GéopolitiqueLien externe
Des règles strictes
Si certains musées sont parfois réticents à restituer les œuvres demandées par leur pays ou communauté d’origine, d’autres se montrent plutôt volontaristes. Le Musée d’Ethnographie de Genève a par exemple restitué plusieurs objets depuis les années 1990, dont un masque sacré et un hochet de cérémonie à la nation Haudenosaunee en 2023.
Restituer une œuvre peut cependant s’avérer être un véritable chemin de croix, car les procédures juridiques sont strictes et complexes, et peuvent différer d’un pays à l’autre. « Un principe d’inaliénabilité est exigé de chaque musée européen. Elle ne permet pas la restitution ou le retrait d’un objet des collections publiques européennes pour être détruit, vendu ou restitué », souligne Jacques Ayer. À cela s’ajoute un véritable travail de détective pour identifier la provenance de ces œuvres, mais aussi les conditions – légales ou non – dans lesquelles elles ont été acquises.
Un levier diplomatique
Les anciennes puissances coloniales, comme le Royaume-Uni ou la France, sont particulièrement concernées par cette question. En 2017, le président français Emmanuel Macron a commandé un rapport sur le patrimoine africainLien externe. Dans cette étude, il est mentionné que près de 90 % du patrimoine culturel africain se trouve dans des musées étrangers, avec entre autres environ 70 000 pièces au Quai Branly, 69 000 au British Museum, 75 000 au Forum Humboldt de Berlin, et 180 000 à l’AfricaMuseum en Belgique.
Près de 90 % du patrimoine culturel africain se trouve dans des musées étrangers, notamment européens.
Géopolite/RTS
Si le rapport préconise une restitution définitive et immédiate des œuvres acquises illégalement, les démarches se heurtent parfois aux réticences des États, mais peuvent aussi servir leurs intérêts économiques et diplomatiques. « Nous rendons rarement les choses gratuitement, dans certains pays. On voit qu’il y a souvent une contrepartie qui est envisagée», constate Jacques Ayer. Il cite l’exemple d’un manuscrit coréen restitué par le président français François Mitterrand en 1993, dans le cadre de négociations commerciales avec la Corée du Sud concernant l’achat du TGV et de sa technologie.
ossements humains
Au-delà des œuvres d’art et des objets culturels, certains musées occidentaux conservent également des restes humains dans leurs réserves. En 2002, l’Afrique du Sud obtient la restitution des restes du corps de Sarah Bartman, une jeune femme née vers 1789 dans ce qui était alors une colonie hollandaise. Emmenée en Europe, Sarah Bartman sera exhibée telle une bête de foire en Angleterre puis en France, où elle était surnommée « la Vénus hottentote ». Après sa mort, son corps sera disséqué puis exposé au Musée de l’Homme, pour étayer les théories selon lesquelles il existe une hiérarchie des êtres humains en fonction de leurs caractéristiques physiques.
Jacques Ayer lui-même a été confronté à ce problème en 2014, lorsqu’une tête coupée d’Afrique australe, baignée d’alcool, est apparue au Muséum d’histoire naturelle de Genève, qu’il dirigeait alors. « L’Université de Genève a prêté la tête au musée pour un traitement antibactérien. Des tentatives ont été faites pour retrouver l’origine de cette personne, malheureusement en vain », se souvient-il. Finalement, la tête coupée sera inhumée au cimetière Saint-Georges de Genève, sur le carré de l’inconnu, pour lui redonner sa dignité.
Les musées d’histoire naturelle concernés
La question de la restitution ne se limite pas aux musées ethnographiques. « Les musées d’histoire naturelle se sont saisis de cette question depuis plusieurs années, à juste titre car on s’est rendu compte que la constitution même des collections s’effectuait souvent dans un cadre colonial », note Jacques Ayer. C’est par exemple le cas du squelette original du Tyrannosaure-Rex qui trône à l’entrée du Musée d’Histoire Naturelle de Berlin et qui a été fouillé dans un contexte colonial sous domination allemande en Tanzanie dans les années 1910.
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“Concrètement, il ne s’agit peut-être pas de restaurer un zèbre, ou une collection de papillons, précise le muséologue, mais plutôt de comprendre son origine et de repenser les discours qui l’entourent dans l’exposition.” Certains musées, ajoute-t-il, présentaient par exemple la « diversité humaine » en exposant des crânes humains – depuis ce qui était alors perçu comme des « races » différentes, jusque dans les années 2000.
Le débat sur la restitution des œuvres muséales ne fait que commencer et bouscule la notion de « musée universel », née au XVIIIe siècle, selon laquelle les grands musées, comme le Louvre ou le British Museum, ont le droit rôle de rassemblement en un seul site du patrimoine culturel mondial. « Le problème, c’est que c’est une logique qui reste très eurocentrique et parfois un peu paternaliste. Il est important de se saisir de cette question de l’universalisme des musées et de l’imaginer de manière plus large, également géographiquement, en considérant par exemple que nous avons de grands musées dans des pays africains voire asiatiques », commente Jacques Ayer. Avant de conclure :
« Les musées ont une magnifique opportunité de repenser leur identité et leur posture, et peut-être de devenir des lieux non seulement de conservation, d’étude et d’exposition pour le grand public, mais aussi de rencontres, de dialogue, voire de réparation et de réconciliation. »
Cet article a été réalisé Géopolitis.
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