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40 ans après la catastrophe chimique, l’Inde n’a toujours pas tiré les leçons de Bhopal

Chennai (Inde), connexion

Symbole de l’impunité des industriels et de l’abandon des pouvoirs publics, l’usine Union Carbide reste abandonnée au cœur de Bhopal, 2,5 millions d’habitants. Ses déchets toxiques continuent d’empoisonner les nappes phréatiques, comme pour prolonger l’enfer vécu par ses habitants depuis 1984.

« On ne se souvient de Bhopal que par le spectacle de ses conséquences immédiates, mais c’est une tragédie lente et progressive, dans le - et dans l’espace. »écrit Nikhil Deb, spécialiste de la justice environnementale et auteur de Violence lente et crise du gaz dans l’Inde néolibérale (Oxford, 2021).

L’enfer commence le matin du 3 décembre, dans le froid hivernal du nord de l’Inde. Les habitants de Bhopal se réveillent en vomissant, avec des brûlures aux voies respiratoires et aux yeux, et une toux si douloureuse « nous prions Dieu de mourir rapidement »se souvient Rashida Bi, alors âgée de 25 ans.

Dans ces premiers jours, au moins 3 800 personnes mourront par asphyxie, œdème pulmonaire ou cérébral. Ils ne le savent pas encore, mais ils ont respiré, entre autres, de l’isocyanate de méthyle, un gaz 500 fois plus toxique que le cyanure d’hydrogène. Dans la nuit du 2 au 3 décembre, 45 tonnes de ce gaz s’échappent de l’usine de pesticides d’Union Carbide, une entreprise américaine faisant désormais partie du géant Dow Chemical.

« Nous ne savons pas quand

l’horreur prendra fin »

Mais le pire attend encore les habitants. Plus de 10 000 personnes mourraient de complications au cours des décennies suivantes. Le calvaire continue aujourd’hui. « Plus de 150 000 personnes exposées souffrent toujours d’une constellation de symptômes imputables à la catastrophe : maladies respiratoires, gastro-intestinales, neurologiques, ophtalmologiques ou psychiatriques. »note un rapport de Lancette sorti pour ce triste anniversaire.

« Nous ne savons pas quand l’horreur prendra fin. Les enfants in utero au moment de la catastrophe naissaient malades. Les nouvelles générations connaissent un taux alarmant de cancer »témoigne pour - Rachna Dhingra, une militante qui dirige leONG Groupe de Bhopal pour l’information et l’action.

Le “ le plus grand crime industriel » impuni

La négligence d’Union Carbide a été rapidement établie pour expliquer la catastrophe de Bhopal. Ce n’est qu’au bout de cinq ans que l’entreprise versera des indemnisations aux victimes. 450 millions d’euros, une somme dérisoire par rapport au nombre de personnes touchées.

« 93 % de victimes ayant reçu moins de 300 euros» déplore Satinath Sarangi, une figure clé de Bhopal, qui a ouvert une clinique pour les victimes en 1996. De plus, aucun des auteurs n’a été condamné et le gouvernement américain s’est toujours opposé à leur extradition. Il s’agit du plus grand crime industriel de l’histoire et il reste impuni. »

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Sur les murs de l’ancienne usine Union Carbide : « Pas de justice pour Dow Chemical à Bhopal, pas d’affaires en Inde. »
Flickr/CC PAR 2.0/Jean-Pierre Dalbera

Le 2 décembre, des militants de Bhopal ont organisé l’envoi de milliers de lettres de victimes au Premier ministre Narendra Modi, exigeant une action. Ils avaient auparavant saisi la Cour suprême pour exiger que les réparations soient prolongées face à l’enfer sanitaire sans fin que connaît Bhopal. Selon Satinath Sarangi, Dow Chemical s’efforce de se soustraire à ses responsabilités. « Ils font pourrir le dossier avec des techniques connues des multinationales : retarder les délais, ne pas aller en procès, refuser de reconnaître la compétence de la justice indienne. »

De son côté, l’État indien n’a envisagé qu’un nettoyage superficiel du site de l’usine, ce qui a provoqué l’hostilité des groupes de survivants.

« Un mini Bhopal au pouvoir »

Pour éviter d’autres Bhopal, l’Inde a adopté un ensemble de garanties environnementales et industrielles à travers l’Environment (Protection) Act en 1986. Elle a soumis les projets polluants ou destructeurs à des études d’impact préalables, même si celles-ci pouvaient être falsifiées au vu de la corruption qui gangrène l’Inde.

Ces maigres fondements du principe de précaution sont enterrés depuis dix ans, au nom de la croissance économique. « Le gouvernement veut à tout prix attirer les investisseurs et toutes les réglementations environnementales ont été supprimées »alerte Satinath Sarangi, pour qui « L’Inde est parsemée de mini Bhopals ».

En 2021, le ministère du Travail a informé le Parlement qu’au moins 6 500 employés étaient morts alors qu’ils travaillaient dans des usines, des ports, des mines et des chantiers de construction au cours des cinq années précédentes. Bien qu’à moindre échelle, plusieurs catastrophes industrielles se sont produites en Inde au cours des cinq dernières années. Comme lorsqu’en 2020, les vapeurs dangereuses du LG Les polymères ont tué douze personnes dans l’État d’Andhra Pradesh.

« La catastrophe de Bhopal aurait pu être évitée et elle aurait aussi pu permettre aux acteurs concernés de rectifier leurs erreurs.juge Nikhil Deb, professeur à la California Polytechnic State University. Au contraire, les acteurs étatiques et privés, poussés par le libéralisme, ont aggravé les souffrances de la population. »

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