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“Nous avons assisté aux derniers spasmes des forces ukrainiennes”, estime le spécialiste Yves Boyer

Mille jours de combats, des centaines de milliers de morts et de blessés et près de dix millions d’Ukrainiens qui ont quitté leur pays. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, huit ans après l’annexion de la Crimée, a ramené une guerre de haute intensité en Europe. Et après une résistance héroïque durant les premiers jours du conflit, puis une contre-offensive à l’été 2023 avec un succès relatif, l’armée et la population ukrainiennes donnent au début de l’hiver 2024 des signes d’épuisement.

Le parquet général ukrainien fait état de plus de 15 500 hommes ayant déserté l’armée ukrainienne entre janvier et août 2024, soit cinq fois plus qu’en 2022 (3 300) et presque deux fois plus qu’en 2023 à ce jour. dont 7 800 déserteurs avaient été dénombrés. “Nous avons toujours considéré que parce que l’Ukraine était soutenue par l’Occident, elle allait gagner”, note Yves Boyer, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et membre du groupe de réflexion The Alphem. Et désormais, pour ce spécialiste des conflits, « le réalisme l’emporte » et il paraît évident que l’Ukraine ne parviendra pas à regagner le terrain qu’elle a cédé.

Mille jours après le début du conflit, où sont les troupes sur le terrain ?

On a assisté aux derniers soubresauts des forces ukrainiennes avec l’offensive de juillet, celle sur la mer d’Azov, qui fut un échec, et avec l’incursion de Koursk. L’objectif de se rendre à la centrale nucléaire et à son dépôt de munitions stratégiques – même s’il avait été vidé par les Russes – n’a pas été atteint. Les Ukrainiens y ont épuisé une partie de leurs dernières troupes aguerries. De leur côté, les Russes, qui savent faire la guerre, ont en partie corrigé leurs erreurs initiales. Ils ont à leur tour développé massivement des drones. Ils ont également modifié leur méthode d’attaque, en y mettant plus de vitesse et de mobilité, en envoyant de petits groupes de huit à dix motos qui, au lieu de mener des attaques frontales, ont contourné les lignes. Mais aussi en prenant les défenseurs par derrière avant que les autres n’attaquent par l’avant.

Les Ukrainiens sont moins armés et le ratio de tir a augmenté en faveur des Russes. La tactique russe consiste à tuer par 1 000 blessés, sur un front de 1 000 kilomètres de large. On attaque, on grignote et ça nous permet d’avancer. Bientôt, ils contrôleront tout le Donbass, Kourakhove et Pokrovsk tomberont dans les semaines à venir. La situation est très défavorable pour l’Ukraine, ce qui ne veut pas dire que les Russes n’ont pas de pertes.

Dans quel état se trouve l’armée ukrainienne ?

Les forces ukrainiennes les mieux entraînées ont été écrasées après plus de deux ans de guerre. Les nouvelles recrues sont moins déterminées. L’âge moyen est de 45 ans. L’armée s’essouffle. Cette fatigue a pu être masquée par l’extraordinaire leadership ukrainien et sa capacité à embellir les choses, à communiquer quelques succès. Lorsqu’ils perdent du terrain, ils parviennent à mettre en avant certains de leurs petits succès. On parle par exemple de frappes profondes de drones, qui ont pu atteindre Moscou, sans causer de réels dégâts, mais aussi certains dépôts de munitions.

On évoque également une augmentation croissante des désertions dans l’armée ukrainienne…

Quand des gars de 40 ou 50 ans sont au front et voient que l’offensive de juillet ou celle de Koursk ont ​​été des échecs, le moral baisse et n’est pas bon. Huit à dix millions d’Ukrainiens ont fui le pays, les blessés se multiplient et les familles ne savent pas où se trouve leur oncle, leur frère ou leur père. Ils ne peuvent donc même pas recevoir la prime. Le mécontentement de la population augmente. Des commissaires vérifient l’identité et l’âge des hommes dans la rue afin de les envoyer de force au front avec une formation très rudimentaire et avec peu ou pas de surveillance des officiers.

Que pense-t-on du soutien à l’Ukraine après l’élection de Donald Trump et celle des autres alliés ?

Le réalisme prévaut. La guerre a ses lois et quand une guerre dure, elle peut durer longtemps. On a toujours considéré que l’Ukraine gagnerait si elle était soutenue par l’Occident. Mais sur le terrain, les Ukrainiens sont entrés dans une phase militaire très difficile pour eux. Les alliés ukrainiens font semblant de le faire, même si l’argent et les armes sont importants. Mais c’est un peu comme tapoter quelqu’un dans le dos en le regardant se diriger vers le front. Concernant Donald Trump, on sait que son secrétaire d’État à la Défense, Pete Hegseth, n’est pas enthousiaste à l’idée de soutenir l’Ukraine.

Pouvons-nous envisager un scénario de paix dans les conditions russes ?

Pour la Crimée, les choses sont réglées depuis longtemps. Pour le reste, les Russes n’accepteront pas de se retirer même s’ils ont subi de lourdes pertes. Et si les États-Unis s’en mêlent, cela devient bien plus complexe. Les négociations seront plus larges et dépasseront l’Ukraine, en se concentrant par exemple sur les questions de sécurité européenne ou sur les traités sur les armes stratégiques. L’Ukraine restera un sujet essentiel mais elle fera partie d’un ensemble bien plus important… Quand vos protecteurs ont d’autres agendas que le vôtre, vous restez une pièce parmi d’autres sur l’échiquier d’un rapport de force économique, diplomatique, militaire.

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Faut-il craindre un effondrement du front ukrainien ?

Même si le front s’effondrait, je ne pense pas que les Russes iraient à Kiev du jour au lendemain. Ils auraient besoin de capacités logistiques pour suivre le rythme. Ce qui pourrait arriver, cependant, c’est un changement politique à Kiev, avec le départ de Volodymyr Zelensky, qui a suspendu les élections, et son remplacement par Valeri Zalouzhny qui peut parler aux Russes où Volodymyr Zelensky assure qu’il ne négociera jamais avec Vladimir Poutine. Parce qu’à Washington, on peut finir par s’énerver contre ces gens qui ne veulent pas négocier.

 
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