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« Le procès Mazan montre que les violences sexuelles existent partout »

Dans le procès Mazan, qui se déroule depuis le 2 septembre devant le tribunal correctionnel du Vaucluse, le profil des accusés est frappant. Ils sont électricien, vendeur, journaliste, camionneur, menuisier, pompier, entre autres, ou ce qu’on appelle communément M. Everyman. L’un des enjeux du procès est-il de briser le mythe du monstre prédateur ?

Assez. Le procès Mazan est spectaculaire à plus d’un titre. D’abord parce qu’il ne vise pas un individu qui aurait fait plusieurs victimes, mais bien au contraire : on a plusieurs accusés qui font une seule victime, ce qui change complètement le rapport aux violences sexistes et sexuelles. Ensuite, leur profil est effectivement inquiétant car si on peut accorder le statut de monstre à Dominique Pelicot, on est empêché de le faire pour les coaccusés. Ces derniers nous confrontent à la banalité du mal puisqu’ils viennent de toutes les tranches d’âge et de toutes les professions. En tout cas, ils constituent une large représentation de M. Everyman. C’est pourquoi ce procès est édifiant : il démontre que les violences sexistes et sexuelles se produisent un peu partout, dans les cellules familiales, dans les foyers, alors que, culturellement, on a tendance à les attendre soit dans des exceptions maléfiques ou des tueurs en série, soit dans l’espace public.

Or, selon vous, ceux que vous appelez de bons pères vivent dans l’illusion de ne pas être des hommes violents. Selon eux, ce sont toujours les autres qui sont coupables. Un raisonnement qui ne tient pas ici…

En réalité, cela fonctionne rarement, et pas ici. Je crois qu’il y aura un avant et un après de ce procès : ce prétexte de dire “je suis un bon père”, “je suis bien intégré dans la société”, ne tiendra plus après, car nous sommes en train de démontrer le contraire . C’est comme dire que faire du jogging seule le soir est dangereux pour les femmes. C’est faux. Les chiffres sont imparables : pour les femmes en couple, le premier danger est potentiellement la cellule familiale.

L’inhumanité à la barre du procès Mazan

Non seulement vous défendez l’idée que les monstres n’existent pas, mais selon vous, la théorie des monstres est dangereuse dans la mesure où elle entretient le mythe selon lequel la sphère privée est un lieu sûr.

Je crois qu’on aurait tout à gagner à lire ainsi les violences sexistes et sexuelles. On gagnerait beaucoup d’énergie en arrêtant de se laisser surprendre. Ce qui ne veut pas dire devenir cynique ou penser que tout le monde est potentiellement un violeur ou un homme violent, mais plutôt arrêter de croire aux idées et regarder les choses de face, un peu froidement. Je viens de voir la rediffusion de l’émission « Ça commence aujourd’hui » de Faustine Bollaert, au cours de laquelle témoignait la fille de Dominique Pelicot. C’était bien avant le procès, bien avant que nous connaissions tous les horribles détails. Sur le plateau, la réaction des participants qui ont découvert son histoire a été de dire : c’est impensable. Je trouve que le mot « impensable » est important, car si nous n’avons pas la capacité de penser les faits, si nous avons construit l’idée que ces hommes sont incapables de violence, alors nous passerons à côté d’autres signaux possibles. Lorsque nous ne sommes pas formés à repérer les choses et que la possibilité de violence est impensable, alors la violence se produit. Ne pas penser donne une forme de protection invisible. Il faut déconstruire ce qui nous empêche de penser.

Le Code Napoléon (1804) stipulait que « la femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme ». Selon vous, force est de constater que les mentalités n’ont pas évolué au même rythme que le droit.

C’est évident. Au procès, c’est édifiant. Les accusées ont commencé à se défendre en disant qu’elles avaient l’autorisation du mari et que, selon elles, cette délégation de consentement constituait un consentement. Nous sommes toujours dans cette croyance que le mari possède la femme et qu’il peut faire d’elle ce qu’il veut à partir du moment où il a autorité sur elle. Ce n’est plus dans la loi, mais il faut que cela soit profondément ancré en eux pour qu’ils se disent : si le mari a donné son autorisation, je ne suis coupable de rien. Car Gisèle Pelicot n’existe pas dans cette équation. On voit donc bien qu’il ne s’agit pas d’une question de droit. On dit souvent aux féministes qu’elles ont désormais des droits égaux. Or, on constate que, culturellement, des situations de cet ordre produisent de fausses croyances.

mouette

Certains prévenus ont reconnu les faits tout en niant qu’il s’agisse d’un viol. Il est clair qu’ils ne connaissent pas du tout le sujet, qu’ils n’ont aucune formation en la matière. Ils pensent que si on n’a pas l’intention de violer, ce n’est pas un viol.

Les viols ayant été filmés, on pourrait croire qu’ils sont indiscutables. Malgré les preuves, les accusés se dérobent, s’exonèrent, quand ils ne mentent pas. Pourquoi ont-ils tant de difficulté à admettre la réalité des faits ?

Je pense que si nous commençons à démêler le fil, s’ils admettent que ce qui s’est passé est un viol, ils peuvent s’effondrer. Comme ils sont construits sur un mode binaire – être 100% monstre ou être un homme bon – reconnaître le viol les pousse du côté de la monstruosité. Et le cerveau résiste à cette idée. De plus, leur entourage témoigne de leurs bons côtés. Il y a donc quelque chose qui empêche la prise de conscience. Mais le plus important pour moi, c’est le manque de sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles. Les féministes insistent pour utiliser les mots justes : agression sexuelle et non mains errantes, fémicide et non crime passionnel, etc. Il faut une qualification plus factuelle et moins interprétée des faits. Cependant, du côté des hommes, on constate un manque de compréhension de ce qu’est un viol. Certains prévenus ont reconnu les faits tout en niant qu’il s’agisse d’un viol. Il est clair qu’ils ne connaissent pas du tout le sujet, qu’ils n’ont aucune formation en la matière. Ils pensent que si on n’a pas l’intention de violer, ce n’est pas un viol. Le viol, pour eux, c’est se retrouver dans un parking, un couteau entre les dents, avec l’intention de violer. Mais d’une manière générale, la société dans son ensemble a également du mal à reconnaître ce qu’est un viol.

Au procès pour viol de Mazan, les visages se sont figés : « N’hésitez pas à sortir »

Vous montrez que, dans de nombreux procès, les victimes sont discréditées par les médias. Cependant, le traitement médiatique est, là encore, différent.

L’affaire elle-même évite les biais médiatiques. Ici, il était totalement impossible de s’opposer à Gisèle Pelicot. D’une part parce qu’il existe des centaines de preuves filmées. D’autre part, parce que son profil correspond à ce que la société considère comme une bonne victime – même si on a tenté de la salir en montrant des photos d’elle dans des tenues affriolantes. Pour démontrer quoi, d’ailleurs ? Qu’elle aurait enquêté sur ce qui lui était arrivé ? C’est horrible, mais c’est le sale jeu des avocats. Dans les médias, sur les plateaux de télévision, impossible de dire qu’elle l’avait cherché. Il n’y a donc pas eu les excès habituels du discours médiatique, qui remettent souvent en cause la victime. Ensuite, comme le souligne Valérie Rey-Robert, l’auteur deUne culture française du violil faut ensuite se garder de tomber dans l’héroïsation des victimes.

Pour quoi ?

Parce que cela sert ceux qui ont un profil moins accepté socialement ou qui disposent de moins de preuves. Il ne faut ni faire d’exceptions sur le profil des victimes, ni en faire des affaires individuelles. Gisèle Pelicot est au centre d’une affaire exceptionnelle, mais l’héroïsation de la bonne victime permet encore au langage patriarcal de distinguer les bonnes et les mauvaises victimes. Il faut au contraire continuer à décrypter, expliquer ce qui se passe, ce qui est en jeu, sans oublier qu’il y aura toujours des victimes qui auront moins de visibilité, moins d’éléments dans leur dossier, ce qui n’en fait pas moins de bons dénonciateurs ou moins bons plaignants.

⇒Rose Lamy | En bons pères | Essai | Points seuil, 208 pp., 8,40 €

 
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