L’Union européenne (UE) se porte-t-elle mieux ou moins bien qu’elle ne l’était lorsque vous avez pris vos fonctions ?
Je suis assez convaincu qu’il est dans un meilleur état, mais cela ne veut pas dire que tout est sous contrôle et que nous pouvons être rassurés pour l’avenir car le monde a aussi énormément changé ces dernières années. Mon mandat (début 2020 – fin 2024, NDLR) a vraiment été façonné par les crises. Nous avons traversé des moments très difficiles, mais l’UE a réussi à se ressaisir. Nous avons beaucoup appris de la crise du Covid, comme nous avions déjà tiré beaucoup de leçons de la (d’abord, NDLR) La présidence Trump. Puis vint la guerre en Ukraine, la crise énergétique… Le projet d’autonomie stratégique de l’UE s’est accéléré. Tout n’est pas prêt mais il y a une plus grande prise de conscience de notre vulnérabilité, mais aussi des recettes à suivre pour y remédier. Les rapports de (ancien Premier ministre italien) Letta (sur le marché intérieur, NDLR), par (ancien président de la Banque centrale européenne) Draghi (sur la compétitivité, NDLR) et (ancien président finlandais) Niinistö (sur la préparation aux crises) concrétiser cette évolution des esprits qu’il faut mettre en œuvre plus de choses. Nous avons déjà renforcé notre boîte à outils ces dernières années, mais le travail n’est jamais terminé.
mouetteLe projet d’autonomie stratégique de l’Union s’est accéléré. Il y a une plus grande prise de conscience de notre vulnérabilité et des recettes à suivre pour y remédier.
Les rapports Letta, Draghi et Niinistö dressent des constats inquiétants sur les défaillances de l’Union. Mario Draghi a mis en garde contre le risque d’une mort lente de l’Union européenne et a appelé à ce que des décisions très ambitieuses soient prises rapidement. Mais les Européens en ont-ils la capacité politique, quand on voit la situation en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Hongrie ?
Les observations de M. Draghi sont encore largement partagées, et c’est très bien. Avec son rapport, il a mis le doigt sur la plaie et, par sa franchise, il a ouvert les yeux de nombreuses personnes. Même s’il y a une grande urgence à mettre en œuvre tout cela, il ne faut pas tout décider en deux semaines. Il nous faut préparer le terrain, notamment lors du Conseil européen informel de Budapest. (tenu le 8 novembre, NDLR). La présidente von der Leyen a clairement indiqué qu’elle inclurait des éléments clés de ces rapports dans les lettres de mission des commissaires et dans le programme de la Commission. Le processus décisionnel plus formel commencera alors. Mais c’est vrai que c’est incroyablement difficile. Il y a désormais un chemin tracé. Nous devons avoir fait des premiers pas importants d’ici 2025-1926.
L’Union européenne doit agir vite et fort, sinon elle s’effondrera, prévient Mario Draghi. En est-elle capable ?
La discussion sur le prochain budget pluriannuel de l’Union débutera l’année prochaine. Le principal enjeu sera de définir ce que les Vingt-Sept sont prêts à faire ensemble ?
Cette question se pose à chaque fois que nous négocions un cadre financier, mais sa pertinence ne cesse de croître. Avec la guerre en Ukraine, l’éventuel changement d’administration aux Etats-Unis (l’entretien a été réalisé avant l’élection de Donald Trump, NDLR)Avec l’affirmation de soi et le dynamisme économique de la Chine mais aussi d’autres pays émergents, les défis sont bien plus grands qu’il y a dix ans. Nous sommes à une époque de grands choix. L’Union est bien armée pour faire face aux crises du « quotidien » mais pour faire un pas en avant – pour son positionnement dans le monde, la prospérité de nos citoyens, notre sécurité, notre bien-être sur la planète… -, la gouvernance actuelle n’est pas suffisante et les moyens financiers non plus.
mouetteL’Union est bien armée pour faire face aux crises du « quotidien » mais pour faire un pas en avant – pour son positionnement dans le monde, la prospérité de nos citoyens, notre sécurité, notre bien-être sur la planète… -, la gouvernance actuelle n’est pas suffisante et les moyens financiers non plus.
On retrouve dans les gouvernements des États membres, ou au Parlement européen, des personnalités et des partis nationalistes et d’extrême droite qui ne parlent plus de détruire l’UE, mais de la changer en profondeur. Y a-t-il un risque que des valeurs fondamentales et fondatrices finissent par être niées ?
Nous entendons ce discours plus en évidence qu’il y a quelques années, oui. Mais s’il est difficile de changer rapidement l’Union européenne, il est également très difficile de la détruire rapidement. Le pouvoir y est très diffus. C’est parfois une faiblesse, mais cela empêche aussi un courant qui a l’avantage temporaire des élections de pouvoir changer radicalement ou rapidement la nature de l’Union. Il y a une certaine inertie qui, à mon avis, nous protège aussi. Je ne suis pas trop inquiet d’un changement radical dans l’Union européenne.
N’est-ce pas un danger sous-estimé, quand on voit la capacité de nuisance d’un homme comme le Premier ministre hongrois Orban ? Que se passera-t-il si demain il y a trois ou quatre personnes comme lui au pouvoir dans l’UE ?
La présidence hongroise du Conseil se termine dans deux mois et demi. M. Orban ne restera pas Premier ministre avant trente ans. Je continue de croire – c’est plus un acte de foi qu’une dure réalité – qu’il existe des forces au sein de l’UE qui continuent d’émerger pour rechercher le juste équilibre. Il existe une sagesse collective, non seulement chez les chefs des vingt-sept chefs d’État et de gouvernement, mais aussi chez ceux des leaders d’opinion, de la presse, des intellectuels, des citoyens, des entrepreneurs… Elle nous a donné les enseignements tirés des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. La guerre mondiale jusqu’au point où nous en sommes aujourd’hui.
Union européenne : Viktor Orban reçoit une tape sur les doigts de la part de (presque) tous les États membres, après ses visites controversées à Moscou et Pékin
Les Européens soulignent que l’issue du conflit en Ukraine est pour eux une question existentielle. Mais en font-ils assez pour éviter le scénario d’une défaite ukrainienne ?
Il est difficile de donner une réponse claire sur l’effet définitif des mesures que nous prenons dans une guerre telle que nous n’en avons pas vue sur notre continent depuis des générations. Je reste quand même assez convaincu que nous faisons beaucoup, dans la mesure du possible et de nos moyens actuels. Cependant, je crains que nous n’ayons pas encore vu la fin du conflit. Le front peut se stabiliser, mais il est également possible que les choses dégénèrent et que nous soyons contraints de prendre des mesures plus fermes. L’aide à l’Ukraine se poursuivra. Le soutien n’est peut-être pas aussi unanime qu’au début de la guerre, mais il reste très fort. L’opinion publique a aussi instinctivement le sentiment que quelque chose d’injuste se produit ici et que cela menace potentiellement le modèle de liberté qui est le nôtre.
mouetteL’Europe ne pourrait tout simplement pas remplacer l’aide américaine à l’Ukraine en cas de retrait américain
Si Donald Trump était élu et décidait de réduire le soutien américain à l’Ukraine, l’UE serait-elle en mesure de compenser une défection des États-Unis ?
Soyons honnêtes : un retrait américain de l’assistance militaire à l’Ukraine serait un coup très dur, d’abord pour l’Ukraine évidemment mais aussi pour l’UE. Cela ne peut tout simplement pas remplacer l’aide américaine. Mais il est également clair que ce retrait – s’il avait lieu – nous obligerait soudainement et rapidement à mieux contrôler notre sort, et donc également en ce qui concerne la défense de l’Ukraine.
Related News :