La COP 29 s’est ouverte lundi 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, avec une liste d’absents longue comme le bras, à commencer par les présidents français et américain, la chancelière allemande et le Premier ministre canadien. En toile de fond de cette COP 29, le climato-sceptique Donald Trump a été réélu, alors même qu’il avait lors de son premier mandat mené les États-Unis à sortir des accords de Paris.
Christian Gollier est économiste du climat, co-auteur des rapports du GIEC en 2007 et 2013 et directeur de la Toulouse School of Economics. Il appelle les citoyens à comprendre que se soucier du climat implique de réels sacrifices.
franceinfo : Faut-il craindre que les ambitions climatiques mondiales soient réduites à néant par la victoire de Donald Trump ? ?
Christian Gollier : L’arrivée de Trump rendra l’ambition américaine bien moindre qu’elle ne l’était sous l’administration précédente. Mais en plus, cela va enclencher un processus qui peut être très destructeur, car si les Américains ne décarbonent pas, les autres se diront : “mais pourquoi vais-je faire des efforts au profit de gens qui, eux, refusent de contribuer à l’effort collectif ?
« Nous devons comprendre que la guerre mondiale contre le changement climatique nécessite une mobilisation générale de tous les pays, de tous les citoyens de cette planète. »
Christian Gollier, économiste du climatsur franceinfo
Et en effet, la défection des Etats-Unis peut être le début d’un nouvel échec, comme on l’a vécu avec les accords de Kyoto, lorsque les Américains ne ratifient pas le projet, et qu’ensuite les Européens et les Japonais décident, eux aussi, d’abandonner. parce que les Américains abandonnent.
Alors si Trump met à exécution sa menace en quittant les accords de Paris, que se passera-t-il ?
Mais je crains que si nous ne créons pas une coalition de pays qui restent ambitieux sur le climat, il y ait une désintégration comme nous l’avons vécu avec le protocole de Kyoto.
Cela signifie-t-il qu’il n’y aura plus d’ambition mondiale de réduire la température de 1,5 degré ?
Pendant quatre longues années, nous allons devoir souffrir d’un pays leader mondial, qui a construit un système mondial organisé autour de la coopération, et nous allons transformer cet ordre mondial en un autre ordre chaotique, dans lequel nous allons être le chacun pour soi et le tous contre tous.
Les ambitions énergétiques de Trump soulèvent également une question. Il souhaite reprendre la fracturation hydraulique. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?
En reprenant les forages, les Américains extrairont encore plus de pétrole et de gaz de schiste, ils réduiront encore le prix de l’essence et du gaz naturel aux Etats-Unis, ils seront encore plus compétitifs avec l’Europe. Et donc, si l’Europe persiste dans son ambition de pénaliser les industries les plus intensives en carbone, nous risquons de nous retrouver dans une situation où nous déplacerons simplement la production la plus intensive en carbone vers les États-Unis et la Chine.
« Une désindustrialisation de l’Europe n’aura aucun bénéfice écologique si nous déplaçons simplement la production vers des pays qui s’expriment moins sur le changement climatique. »
Christian Gollier, économiste du climatsur franceinfo
Avec des conséquences sur le réchauffement climatique.
Exactement. Ici donc, nous ne sommes plus dans un diagramme à 1,5 degrés, ni à 2, ni même à 3 degrés. Nous pourrions être à 4 ou 5 degrés, si nous n’arrivons vraiment pas à maintenir la cohésion entre des pays ambitieux sur le climat.
Une baisse des prix de l’énergie serait une bonne nouvelle pour les prix de l’énergie et une mauvaise nouvelle pour le climat.
Nous aimerions que le prix de l’énergie décarbonée baisse ! Là-bas, le prix de l’essence à la pompe est de 0,89 euro aux Etats-Unis, donc on est déjà très bas. Et la baisse des prix de l’énergie qui résulte de l’augmentation de la production aux États-Unis est une très mauvaise nouvelle.
Mais rien ne dit que nous ne produirons pas en même temps plus d’énergie décarbonée, notamment solaire. Personne ne dit que la politique menée par Joe Biden, avec l’IRA et ses ambitions autour des énergies propres, prendra fin avec Trump. C’est une politique qui fonctionne particulièrement dans les États républicains comme le Texas.
Mais si le prix des énergies fossiles baisse, la rentabilité des énergies renouvelables est plus problématique. Nous le constatons depuis plusieurs années.
“La baisse des prix du gaz naturel, du pétrole et du charbon signifie que les fabricants qui se concentrent sur le vert seront en difficulté.”
Christian Golliersur franceinfo
À la COP 29, l’un des défis sera de financer les pays en développement pour qu’ils puissent se développer sans pétrole ni charbon. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est important de parvenir à un accord ?
Parce que les pays en développement représentent une très grande partie de la population mondiale. Et si cette population mondiale atteint le même niveau de vie que les pays occidentaux, avec les mêmes méthodes de production d’énergie, notamment fossile, nous serons à nouveau à plus de 4 degrés. Il est donc absolument nécessaire que le développement de ces pays se fasse de la manière la moins intensive possible en carbone.
Il ne s’agit donc pas de faire la charité aux pays en développement.
Premièrement, ce sont les pays occidentaux qui sont responsables du changement climatique depuis un siècle et demi, nous avons rejeté une quantité incroyable de CO2 dans l’atmosphère. Cet accident s’est imposé aux victimes : les pays du Sud. Maintenant, ils nous demandent des comptes et nous ne voulons pas indemniser la victime de cet accident dont nous sommes responsables.
L’ambition initiale était d’atteindre 100 milliards d’aide par an. Est-ce suffisant ?
Ainsi, les pays du Sud mettent aujourd’hui sur la table une proposition à Bakou où ils demandent plus de 1 000 milliards de dollars par an. En 2009, on mettait 100 milliards par an sur la table, c’était l’accord de Copenhague lors de la COP15. Et aujourd’hui, en effet, c’est très insuffisant.
Rien qu’en France, 60 milliards d’euros par an devraient être consacrés au changement climatique, selon le dernier rapport Mahfouz-Pisani-Ferry, dont la moitié est de l’argent public. Etes-vous d’accord avec ce montant ?
Oui, nous sommes dans l’ordre de grandeur de 2 à 4 % du PIB français. Ce n’est pas négligeable. En fin de compte, ce sont toujours les gens qui paieront, soit par des impôts plus élevés s’il s’agit de subventions publiques, soit par des biens carbone qui seront plus chers, car les producteurs seront pénalisés s’ils continuent à utiliser ces produits.
Mais nous en sommes loin. Le fait de diviser par deux l’enveloppe dédiée à l’achat d’un véhicule électrique dans le prochain budget, entre le bonus écologique, le leasing et la prime à la conversion, on voit bien qu’on est loin de ces 60 milliards par an dédiés au changement.
Il n’y a plus d’argent dans les caisses et il y a des priorités majeures en matière d’éducation et de santé. Le gouvernement est en grande difficulté à ce sujet. Mais quel que soit le gouvernement, l’équation est extrêmement complexe et les gens ne veulent pas payer. Les gens, ils veulent d’abord la fin du mois avant la fin du monde. C’est vrai depuis plusieurs années et c’est encore plus vrai aujourd’hui avec l’élection de Donald Trump, avec de vraies interrogations sur ce que les politiques parviendront à imposer comme sacrifices à la population, aux citoyens, aux électeurs, aux atteindre les objectifs que nous aimerions tous atteindre. Mais l’importance des coûts n’a pas encore été pleinement prise en compte. Et vous venez de nous rappeler que 60 milliards d’euros par an en France, c’est important.
Nous ne sommes donc pas du tout à la hauteur de ces ambitions.
Les citoyens doivent comprendre que chaque fois qu’ils émettent une tonne de CO2 dans l’atmosphère, ils sont responsables de plusieurs milliers d’euros de dégâts qui seront supportés par les générations futures. Tant que les citoyens ne comprendront pas cela, ils ne voteront pas pour des hommes politiques qui mettront en œuvre des stratégies de réduction des émissions de CO2, c’est-à-dire des sacrifices consentis par les citoyens.
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