En plus de 25 ans de carrière à Radio-Canada, Azeb Wolde-Giorghis aura couvert les pires drames. Guerres civiles, attentats, catastrophes naturelles, cet ancien correspondant en Afrique et en Europe le sait. Mais il n’en reste pas moins que même pour ce journaliste aguerri, ce qui se passe ces jours-ci aux Etats-Unis est quelque chose d’inquiétant, voire d’inédit.
Publié à 1h36
Mis à jour à 5h00
«On sent que c’est la plus grande démocratie au monde qui pourrait basculer», constate avec une certaine crainte le correspondant de Radio-Canada à Washington.
Depuis sa prise de fonction il y a près de quatre ans, Azeb Wolde-Giorghis a parcouru les États-Unis. Ce pays immense, traversé de divisions apparemment insurmontables, elle en comprend aujourd’hui un peu mieux les contradictions et les subtilités, mais elle continue de s’en surprendre. L’une des choses qui la dérange le plus lorsqu’elle fait un reportage est le niveau de désinformation au sein de la population qui donne l’impression que les Américains ne partagent plus la même réalité.
Trump a réussi à créer un climat de méfiance à l’égard des journalistes. Mais je dois dire qu’en tant que correspondant à l’étranger, c’est plus facile. Quand on dit que nous sommes canadiens, et francophones en plus, la plupart des républicains acceptent de nous parler, alors qu’ils auraient probablement dit non si nous avions été CNN.
Azeb Wolde-Georges
La journaliste précise qu’elle n’a jamais craint pour sa sécurité depuis qu’elle s’est installée aux Etats-Unis.
Elle reste cependant marquée par la tension qui régnait dans les rues de Washington lors d’une manifestation des Proud Boys, un groupe d’extrême droite pro-Trump, quelques jours avant l’assaut du Capitole. « Lorsque nous avons parlé à des gens à Washington, ils nous ont dit qu’ils avaient peur de quitter leur domicile. Ce sont des choses qu’on n’aurait pas cru entendre dans un pays comme les Etats-Unis”, se souvient celle qui a pourtant constitué une carapace au fil des années, couvrant la guerre civile au Libéria ou les lendemains difficiles du génocide au Rwanda. , en particulier.
Résultat incertain
Azeb Wolde-Giorghis n’ose pas commenter le résultat de mardi soir tant la course entre Donald Trump et Kamala Harris est très serrée. Mais le journaliste n’exclut pas que le candidat républicain puisse l’emporter avec une large majorité, défiant une nouvelle fois les sondages. Sur le terrain, ces derniers jours, elle dit avoir constaté un certain essoufflement de la campagne démocrate.
« En 2020, les Afro-Américains ont voté en grand nombre, notamment à cause de l’assassinat de George Floyd. Cette fois, on ne ressent pas la même mobilisation. Ce qui joue également contre les démocrates, c’est que les jeunes sont plus divisés. La situation à Gaza pourrait leur coûter des votes sur les campus. Les républicains attirent aussi de plus en plus de jeunes hommes, grâce à des influenceurs aux discours très conservateurs», observe le journaliste, qui sera mardi en direct de Washington pour le meeting de campagne de Kamala Harris.
“S’il y a un espoir pour les démocrates, en revanche, ce sont les femmes, qui pourraient se mobiliser plus qu’on ne le pense à cause de la question de l’avortement”, renchérit Azeb Wolde-Giorghis, joint à Charlotte, en Caroline du Nord.
La femme derrière le journaliste
Le correspondant de Radio-Canada aura passé beaucoup de temps sur la route ces derniers mois. Ce sont les aléas du métier, qui demande quelques sacrifices, reconnaît la mère de deux enfants, aujourd’hui âgés de 19 et 21 ans. Mais soucieuse de ne pas s’appesantir sur sa vie privée, elle a ensuite rapidement changé de sujet. « Quand on est journaliste, il est plus facile de parler des autres que de parler de soi », s’amuse-t-elle.
Discret de nature, Azeb Wolde-Giorghis a accepté de partager un peu plus son histoire personnelle en 2020 dans le documentaire L’Ethiopie de mon coeurtoujours disponible sur ICI Tou.tv. Cette fille d’un ancien ambassadeur d’Ethiopie à Paris revient sur l’exil forcé de sa famille après l’arrivée au pouvoir des révolutionnaires marxistes à la tête du pays en 1974.
Enfant, Azeb Wolde-Giorghis a vécu la douleur du déracinement. Difficile de rester de marbre face à des sujets comme le racisme ou l’immigration, qui étaient au cœur de la campagne qui s’achève.
« C’est sûr que lorsqu’on est journaliste, il faut essayer de mettre le plus de distance possible entre son vécu et le sujet qu’on traite. Après, chaque journaliste traîne son histoire. Nous ne pouvons pas l’ignorer complètement. Sans dire que ça influence notre reportage, c’est sûr que ça le colore », admet-elle.
Visitez la page du documentaire L’Ethiopie de mon coeur
Related News :