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Amérique française | La presse

(Milwaukee) En conduisant entre Minneapolis et Mankato cet été, une fleur de lys sur un château d’eau a attiré mon attention. J’ai pris la sortie.


Publié à 1h28

Mis à jour à 5h00

Faribault, Minnesota (25 000 âmes), manquait à ma culture. Sur les portes de l’hôtel de ville, sur les banderoles du centre ancien, dans les emblèmes municipaux : le symbole de la vieille est partout, même si ici plus personne ne parle français.

On connaît l’épopée des explorateurs français et québécois, les anciens Canadiensqui ont laissé leurs traces partout dans ce qu’on appelle aujourd’hui « les États-Unis » depuis le XVIIIee siècle.

Mais le Faribault qui a donné son nom à cette ville autrefois prospère n’était pas issu de la génération des découvreurs européens. Alexandre Faribault arrive 200 ans plus tard dans l’histoire. Il fait partie d’une autre génération de « voyageurs », trappeurs, coursiers des bois et commerçants. Ceux qui ont colonisé le Midwest après qu’il soit devenu américain – Napoléon ayant ruiné cet immense territoire en 1803.

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PHOTO YVES BOISVERT, THE PRESS

Faribault, Hôtel de ville du Minnesota

Alexandre était en fait un Américain, fils d’un notaire de Berthier venu faire fortune dans le commerce des fourrures autour des Grands Lacs, et d’une Métis de la nation Dakota.

C’était une époque où les frontières étaient fluides, les métissages étaient naturels. Mais des Grands Lacs aux Plaines et même aux Rocheuses, la langue européenne dominante était le français, explique Gilles Havard, dans son Histoire des coureurs en bois (Tempus, 2021). Havard raconte même que des trappeurs canadiens-français disaient aux « Indiens du Haut Missouri » que les Français étaient les véritables propriétaires des États-Unis.

Mais quand vient le temps de prendre parti entre Américains et Anglais, ces « Français » de la frontière se rangent du côté des Américains, quitte à se faire emprisonner par les Britanniques.

Il s’agit de la ville de Nicollet, dans le Minnesota. L’histoire du Québec a retenu le nom de Jean Nicolet, avec un seul « l » : trappeur et explorateur, il se rend au lac Michigan en 1634. Mais qui est ce Nicollet-aux-deux-l ?

Celui-ci est né en France, comme l’autre, mais 200 ans plus tard. Mathématicien, astronome, découvreur d’une comète, il avait une certaine notoriété dans les milieux scientifiques parisiens… Jusqu’à ce qu’il s’enfuie pour l’Amérique, après avoir tout perdu à la Bourse, en 1832. Il n’était donc pas un envoyé du gouvernement ou un explorateur envoyé en Amérique, mais un homme qui veut échapper à ses créanciers et à l’emprisonnement pour dettes.

Il se retrouve à Saint-Louis, ville devenue américaine, mais toujours culturellement française, et part explorer le Haut Mississippi, pour le cartographier, ce qu’il fait avec une grande précision, en plus de noter les noms donnés par les peuples autochtones. . . Son travail faisait autorité.

En 1835, un journal new-yorkais affirmait qu’un astronome avait vu des animaux et des formes humanoïdes sur la Lune à l’aide d’un nouveau télescope, et Nicollet fut injustement accusé d’être à l’origine de ce canular. Il est mort sans qu’on sache en France ce qu’il avait accompli aux Etats-Unis, et sans qu’on sache aux Etats-Unis ce qu’il avait accompli en France.

« Celui qui sait concilier les avantages du passé et les besoins du futur triomphera », peut-on lire sur sa pierre tombale.

Avant de s’appeler Chicago, la capitale du Midwest avait été visitée par Marquette et Joliet. Mais il n’y a pas si longtemps que Jean Baptiste Pointe du Sable était célébré comme le fondateur de la ville.

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PHOTO YVES BOISVERT, THE PRESS

Buste de Jean-Baptiste Pointe du Sable à Chicago

Né apparemment à Saint-Domingue (Haïti) vers 1745 d’un père venu de la Nouvelle-France et esclave affranchi, il se retrouve en Louisiane, puis à Saint-Louis, où il se lance dans la traite des fourrures. Aussi. Marié à Kittiwaha, la fille du chef Potéouatami, il finit par installer un poste de ravitaillement pour les « voyageurs ». Leur fille, née en 1796, serait la première à naître dans ce qui allait bientôt être appelé « Chicago ». Il a fait plusieurs voyages au Québec.

Il est mort dans l’anonymat le plus complet, sauf qu’on raconte qu’un homme noir est enterré au cimetière de Saint-Charles dans le Missouri, sans même qu’une pierre retienne son nom.

La ville le reconnaît désormais comme le fondateur de Chicago, un buste de lui est installé au centre-ville et la poste américaine lui consacre un timbre.

En courant surplombant le lac Michigan à Milwaukee, j’ai aperçu une cabane en bois pas tout à fait ronde, réplique de la maison de Laurent Salomon Juneau, le fondateur de la ville.

Un gars de Repentigny, ce Juneau, né en 1793. Il est parti gagner sa vie à la Compagnie de la Baie d’Hudson, il a aussi été marié à une métisse du Midwest et a fini par s’établir dans cette baie qui allait prospérer.

Juneau a d’ailleurs prospéré également et il est devenu le premier maire de la ville lors de sa fondation en 1846, et il est resté dans l’histoire officielle. Son neveu, Joe Juneau, de Saint-Paul-L’Hermite, a donné son nom à la capitale de l’Alaska, où il allait chercher de l’or.

Ce doit être le mal du pays, mais je peux me perdre des heures durant dans ces histoires de « remarquables oubliés », comme disait Serge Bouchard. Ils me montrent une Amérique qu’on ne nous a pas enseignée, ou que nous n’avons pas voulu glorifier. Celle d’aventuriers un peu fous, iconoclastes, désobéissants, inventeurs d’un nouveau mode de vie, métissés, hors des sentiers battus du conformisme.

Comme de minuscules touches sur la carte américaine, leur souvenir est partout.

Eau Claire, Prairie du Chien, Butte des Morts, Fond du Lac, Bay Minette, Lac Qui Parle…

Ces mots chargés d’histoire deviennent une sorte de poésie routière.

Ils ouvrent un territoire imaginaire et nostalgique infini au « voyageur » de 2024, sachant que le mot lui-même s’est dégradé, quand on réfléchit un peu à ce qu’était un Voyageur…

 
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