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« Avec ses propos, Joe Biden a fait souffrir Kamala Harris »

A quelques jours du scrutin, l’un des deux candidats a-t-il irrémédiablement remporté cette campagne ?

Non. Il est absolument impossible de dire aujourd’hui qui va gagner ou qui est le favori. Compte tenu des sondages et des bouleversements de la campagne des dernières semaines, ce scrutin s’annonce extraordinairement serré. Cela ne veut pas dire que le résultat final sera le même. Cette élection fonctionne avec un système d’électeurs. Si les dominos tombent du bon côté dans l’un ou l’autre cas, ils pourraient gagner avec une marge de victoire relativement importante.

On voit encore ça Kamala Harris est en tête dans sondages dans quatre des sept États swing. Pourtant, on dit souvent que c’est là que se joue l’élection…

Oui, mais si l’on prend en compte les marges d’erreur, on se rend compte que son avance est extrêmement faible. Ces sept États indécis peuvent encore basculer d’un côté ou de l’autre.

Dans cette dernière partie de la campagne, on a vu l’équipe de Donald Trump rencontrer quelques difficultés suite aux propos d’un comédien présent au meeting du candidat républicain. Il a qualifié Porto Rico d’« île flottante d’ordures ». Comment expliquer une telle bourde si proche des élections ?

C’est une plaisanterie de très mauvais goût dont les démocrates se sont immédiatement emparés. Mais Trump n’est pas à l’origine de la plaisanterie. Au final, la principale bourde de cette histoire n’est pas venue du candidat républicain mais de Joe Biden. Le président s’est exprimé mercredi en affirmant que les déchets étaient en réalité des électeurs de Trump. Le Républicain s’est immédiatement saisi de cette attaque avec toute l’habileté politique qu’on lui connaît. Il s’est fait photographier au volant d’un camion poubelle, déguisé en éboueur, pour dénoncer le mépris de la campagne de Kamala Harris. Le candidat s’est également montré très gêné et a dû désavouer les propos du président sans vraiment le citer. Paradoxalement, c’est Kamala Harris qui va le plus souffrir de cet épisode, à cause de Joe Biden.

Donald Trump ne joue-t-il pas à un jeu dangereux depuis le début de la campagne migratoire ?

C’est sa troisième campagne et il a toujours utilisé cette technique. En 2015, Trump avait déjà tenu un discours d’une violence incroyable à l’égard des migrants qu’il avait associés à des violeurs. Cela a toujours été son message de campagne. Cela a fonctionné une fois, mais a également perdu la deuxième fois. Nous verrons ce qui se passe maintenant. Avec ce type de déclaration, il galvanise sa base, cela peut lui coûter des électeurs indépendants au centre.

Compte tenu de l’écart extrêmement faible entre les candidats, l’erreur de Joe Biden pourrait-elle faire perdre l’élection à Kamala Harris ?

Il est difficile d’isoler un seul événement de campagne et de le considérer comme un véritable tournant. Mais il est certain que, dans la toute dernière ligne droite, chaque inflexion peut compter. L’embarras de la Maison Blanche et de Kamala Harris démontre clairement qu’il ne s’agit pas d’un épisode favorable. D’autant que cette gaffe de Biden fait référence à un épisode quelque peu sensible pour les démocrates, lorsqu’Hillary Clinton avait qualifié les partisans de Trump de personnes méprisables en 2016. Ce mot lui est resté tout au long de la campagne. On considérait à l’époque que cela avait eu un impact sur le résultat.

Joe Biden n’est-il pas devenu le boulet de Kamala Harris ?

L’expression est un peu forte. Mais il est certain qu’on n’en entendra pas beaucoup plus d’ici le vote.

Le démocrate doit faire face à un exercice compliqué : ne pas baisser le bilan de Biden, tout en l’inflation est terrible aux Etats-Unis

Oui, c’est un exercice d’équilibre. Notamment sur l’inflation qui est un sujet brûlant. Les Américains sont extrêmement sensibles à la hausse des prix. C’est un point sur lequel Donald Trump insiste régulièrement et sur lequel le démocrate a du mal à formuler des propositions à la fois en continuité et en contradiction avec ce qu’a fait Biden, dont elle était vice-présidente. pendant quatre ans.

Kamala Harris a décidé de durcir son discours face à Trump en fin de campagne : «Fasciste“, « petit tyran », « un aspirant dictateur »… Cette stratégie peut-elle s’avérer payante ?

On sent qu’elle hésite depuis le début de sa campagne. Au début, elle s’est plutôt tenue à l’écart des propos durs à l’égard de Trump, pour une raison simple : elle sait que l’issue du vote reposera en grande partie sur les indépendants et les indécis. Ce sont des républicains modérés ou des démocrates qui penchent un peu vers le républicain. C’est pourquoi elle a pris soin jusqu’à présent de n’offenser personne. Mais Kamala Harris a durci le ton sur la fin. C’est un pari qui peut pousser les électeurs dans un sens ou dans l’autre.

Si le démocrate gagne, devrions-nous nous attendre à ce que Donald Trump refuse sa défaite et les Etats-Unis sombrent dans le chaos ?

Il est certain que l’ancien président n’acceptera pas sa défaite. Il faut garder en tête l’épisode du 6 janvier 2020 (l’assaut du Capitole, ndlr). Ce n’est pas un bon perdant. Mais deux choses peuvent faire la différence par rapport à ce que nous avons vécu en 2020. Tout d’abord, l’ampleur de la victoire ou de la défaite de l’un ou de l’autre. Ensuite, le fait que Donald Trump ne soit plus président. S’il perd, sa seule plateforme sera celle d’un candidat. Cependant, à l’époque, il était toujours à la Maison Blanche et bénéficiait toujours du pouvoir du bureau présidentiel. C’est encore très différent en termes de capacité de mobilisation.

Vous avez travaillé aux côtés de Trump pendant quatre ans à la Maison Blanche. Est-ce vraiment instable et imprévisible ?

Oui. Durant son mandat de quatre ans, un mot revenait tout le temps lorsqu’on parlait de ses journées et de ses opérations : cacophonie. Il épuisait un peu tout le monde à la Maison Blanche et au Congrès. Cela n’a fonctionné qu’à travers une succession de polémiques. Je me souviens de la fois où il a proposé d’acheter le Groenland. Cela avait donné lieu à des tensions avec le Danemark. L’affaire a fini par s’effondrer, mais elle reflétait en grande partie le mandat de Trump. Il a lui-même créé et alimenté ses propres controverses.

Quelle relation aviez-vous avec le Républicain ?

Il y a un paradoxe dans la relation entre Donald Trump et les journalistes : il les insulte du matin au soir, mais il cherche constamment à être en contact avec eux, car il adore la couverture médiatique. Alors il venait tout le temps nous voir et improvisait des petites conférences de presse.

Comment êtes-vous devenu l’un des 49 journalistes travaillant au Maison Blanche ?

Je travaillais déjà aux Etats-Unis pour l’AFP. Et il se trouve que le poste francophone à la Maison Blanche s’est ouvert suite à une rotation. J’y suis resté plus longtemps que prévu.

Avez-vous travaillé à proximité directe du célèbre Bureau Ovale ?

Oui ! L’endroit où tout se décide, tout se planifie, c’est l’aile Ouest. Il s’agit d’une petite partie du bâtiment où l’on trouve le bureau du président, quelques bureaux de ses conseillers, puis les journalistes. Nous bénéficions d’une proximité précieuse en travaillant à quelques dizaines de mètres du Bureau Ovale. Nous ne pouvons pas circuler librement, mais nous voyons le président lorsqu’il reçoit ses invités, lorsqu’il quitte la Maison Blanche… Il ne peut pas passer des jours sans expliquer où il se trouve, sans rendre des comptes.

Avez-vous été témoin de scènes amusantes ?

Oui, beaucoup ! En travaillant à la Maison Blanche, nous vivons des moments historiques et des moments plus légers, voire drôles. Tout est formalisé, le président ne se présente jamais seul devant les journalistes. Mais je me souviens d’un jour où Donald Trump a surpris tous les journalistes en ouvrant la porte coulissante pour signaler qu’il avait une grande annonce à faire. Il s’agissait d’avertir d’une prochaine rencontre avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. Je me souviens aussi de moments très forts, très solennels. Aux Etats-Unis, il y a eu tout un débat sur la torture, appliquée notamment en Irak, et sur la manière de la qualifier. On parlait alors de « technique d’interrogatoire ». Et, à un moment donné, Barack Obama a déclaré que les États-Unis avaient torturé des gens et qu’il fallait le dire. Il y a ensuite eu un lourd silence dans la salle car il est rare qu’un président américain s’exprime en ces termes.

Vous travaillez désormais au bureau de l’AFP à Bruxelles…

Oui, je suis chargé de couvrir la Belgique et l’Union européenne pour l’AFP, et c’est un tout autre monde. Bruxelles est aussi un lieu de pouvoir, mais très différent, en termes de codes, de visibilité, d’incarnation de l’autorité… Mais cette ville est fascinante.

 
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