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quand « Sud Ouest » suivait la piste chinoise du premier frelon arrivé en France via le Lot-et-Garonne

Trouvez-y un apiculteur et le frelon viendra à vous. Il fait 42 degrés sur les collines de Zhou Wu Ka, la chemise colle au dos. Une tempête de pluie tomba en vain.

Seule la climatisation du van apporte un peu d’air frais dans l’humidité de l’été chinois. Li Hua-fang propose du thé et s’amuse de ses étranges visiteurs. Une trentaine de ruches en forme de djembés sont alignées sous la fenêtre. A bout de bras, quatre entomologistes du Muséum national d’histoire naturelle de Paris avancent lentement dans les allées, écoutant à leurs oreilles le bourdonnement d’un éventuel frelon : « J’en ai un ! »

A trois heures de route de la tentaculaire Shanghai, l’équipe de Claire Villemant, chercheuse à l’unité d’entomologie du Musée, va collecter des frelons dans les environs de Yixing. Des scientifiques suivent la trace des « poteries chinoises » importées dans le Lot-et-Garonne et qui auraient fait le lit de l’espèce Vespa velutina en France. Introduit il y a plus de cinq ans, le frelon asiatique, terreur de nos abeilles, est signalé à ce jour dans 32 départements. [le 25 septembre 2010, NDLR].

« La ville de la poterie »


Dans le village de Zhou Wu Ka, un entomologiste du Musée chasse le frelon.

Daniel Bozec / Archives Sud Ouest

Les théières en terre cuite ont rendu Yixing célèbre à l’époque de la Chine impériale et lui valent aujourd’hui le titre international de « ville de la poterie ». Ses céramistes ont une vitrine dans le tout nouveau quartier qui leur est réservé à Dingshu, en périphérie, et des usines de poterie avec des entrepôts à ciel ouvert défilent le long de l’autoroute.

«Ça pourrait correspondre…» raisonne Claire Villemant. Rêverie d’un entomologiste : l’ADN des frelons chassés en Chine sera séquencé et croisé avec la souche importée dans le Lot-et-Garonne. D’abord pour rappeler qu’il ne s’agit là que d’une « hypothèse introductive », le scientifique se prononcera à l’automne. Enfin, nous vérifierons « la théorie de la poterie » – comme la appelle l’entomologiste agenais Jean Haxaire –, trop vite présentée comme acquise.

“Ça a cliqué”

Spécialisé dans la culture du bonsaï, il s’approvisionnait en pots auprès d’artisans chinois.

« Il y a beaucoup plus d’échanges qu’on ne le pense. Ne vous contentez pas de cette trace », insiste un ancien pépiniériste lotet-garonnais. Il n’est autre que l’importateur de la célèbre poterie. « N’utilisez pas mon nom… » demande-t-il simplement. Il ne s’était jamais prononcé, il avait souvent cru passer pour le marchand coquin, lui qui, dès le début, avait joué franc-jeu. Spécialisé dans la culture du bonsaï, il s’approvisionnait en pots auprès d’artisans chinois. Presque partout dans le pays et « 80 % » à Yixing.

À l’été 2004, il surprend la bête qui planait dans la cour de sa maison, dans le village de Pinel-Hauterive, au bord du Lot. Une grande guêpe noire, avec une bande jaune orangé imparable. Ce n’est que deux ans plus tard que la présence du frelon asiatique est établie dans le Lot-et-Garonne. Et s’il était le premier à le voir ? À l’automne suivant, un énième voyage de prospection en Chine le conduit dans la province du Yunnan. C’est par hasard sur un marché local que le pépiniériste tombe sur un frelon copie conforme de l’autre.

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L’explication lui viendra à son retour. « En novembre, quand les feuilles du chêne sont tombées, j’ai vu les nids… Ça a cliqué. » Suspendus aux branches, non pas un, mais deux nids gros comme des tambours de machine à laver, du jamais vu pour qui lève les yeux dans le Lot-et-Garonne. « Je me sentais absolument dans mon devoir de signaler cela, en toute transparence. » Le mois suivant, il alerte le service de la protection des végétaux, son interlocuteur privilégié à la préfecture du Lot-et-Garonne, et va jusqu’à téléphoner au Musée, où il est invité à établir un formulaire. Ce pour quoi il a à peine le temps. Les nids lui semblent abandonnés, il n’y a pas le moindre va-et-vient. Par précaution, le propriétaire les arrache des arbres, l’un avec un fusil, l’autre en sciant une branche.


Un nid de frelons asiatiques dans le Lot-et-Garonne.

Archives du Sud-Ouest

Une poignée de reines

Une année passe… Jean-Pierre Bouguet de Nérac sera à l’honneur d’avoir capturé dans son jardin le premier frelon de l’espèce Vespa velutina en France. “Nous recommandons à tous les entomologistes la plus extrême vigilance concernant cette espèce et son éventuelle expansion”, Jean Haxaire, Jean-Philippe Tamisier et Jean-Pierre Bouguet, auteurs du premier article ensuite publié dans le “Bulletin de la Société d’Entomologie de France”. . Chaque année, le Musée évalue le terrain gagné par l’insecte à une distance de 100 kilomètres. « L’épaisseur d’un département », convertit Claire Villemant.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’introduction de quelques femelles fondatrices, et peut-être d’une seule, aurait suffi à lui permettre de s’enraciner en France. « Les caractéristiques génétiques des différents individus de la population française sont similaires. » Ainsi, la ou les reines fécondées dans un nid en Chine auraient trouvé refuge, le temps d’hiverner, dans le coin d’une présumée boîte de pots à bonsaï prêts à être emportés pour un long voyage en porte-conteneurs.

Un succès parti de Shanghai, atterrissant non pas à Bordeaux mais au Havre, et inauguré au printemps à Pinel-Hauterive. « Mais ce n’est pas forcément par là que ça est arrivé », veut croire l’ancien pépiniériste. Après tout, la base logistique des magasins Gifi, important importateur de produits manufacturés en Chine, n’est-elle pas située à Villeneuve-sur-Lot ? « Nous avons toujours essayé de ne stigmatiser personne », affirme Hélène Delefosse, cheffe du service de protection de l’environnement à la préfecture.

L’ADN du frelon de Yixing révélera la clé de l’énigme


Claire Villemant et l’apiculteur Li Hua Fang, tenant un frelon.

Daniel Bozec / Archives Sud Ouest

Ils sont une centaine baignés dans l’alcool, confinés dans un réfrigérateur du laboratoire d’entomologie du Musée. Frelons Vespa velutina collectés cet été sur des lieux de capture dûment référencés par GPS. Les captures seront prochainement confiées au laboratoire du CNRS de Gif-sur-Yvette, en région parisienne. L’ADN collecté sur les pattes des spécimens sera analysé par Mariangela Arca, étudiante en thèse. Les résultats devraient arriver “avant la fin de l’année”, espère Claire Villemant.

Bien qu’elle et son équipe n’aient trouvé qu’une poignée de frelons chez l’apiculteur du village de Zhou Wu Ka, les entomologistes ont fait de leur mieux pour ratisser le terrain dans l’arrière-pays de Shanghai. En partant à la chasse dans un parc forestier à la périphérie de Yixing, ils mettent la main sur un nid formé dans une haie. L’intérêt de la manœuvre : se rapprocher le plus possible de la prétendue souche génétique importée en France.

Expansion

À l’heure où les apiculteurs attendent désespérément de voir le frelon asiatique attaquer leurs abeilles, pourquoi s’embêter avec son ADN ? « Il y a beaucoup de questions sans réponse avant de monter le puzzle, explique Claire Villemant. « Cela nous permet d’étudier le devenir de la lignée invasive… Son patrimoine génétique diffère-t-il grandement ou non de la population d’origine ? Le goulot d’étranglement représenté par une poignée de femelles fondatrices a-t-il influencé le potentiel écologique de l’espèce ? »

A notre connaissance, les nouvelles du front ne sont pas très encourageantes. L’espèce Vespa velutina, qui s’étend du nord de l’Inde à l’est de la Chine, semble capable de coloniser l’ensemble du territoire français et au-delà. « La combinaison des variables climatiques dans les pays d’origine est proche de celle de l’Europe. Les conditions climatiques, notamment vers le nord, sont relativement favorables. L’un des principaux facteurs limitants est la sécheresse. »

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Du Lot-et-Garonne à l’Europe occidentale : vingt ans du frelon asiatique

CHRONOLOGIE – Une femme est décédée après l’attaque d’un groupe de randonneurs par des frelons asiatiques dans les Côtes-d’Armor, lundi 23 septembre 2024, et quatre autres personnes ont été hospitalisées. Depuis son arrivée dans le Lot-et-Garonne en 2004, l’insecte envahisseur venu de Chine a colonisé la France par le Sud-Ouest, avant de débarquer ailleurs en Europe.

Des hypothèses à exclure

Et si l’ADN prélevé ne correspond pas à la lignée française ? Déjà, le séquençage des frelons du Yunnan, autrefois élevé au rang de plomb par les entomologistes, avait le mérite d’exclure cette province du sud de la Chine. D’autres spécimens, collectés en Indonésie et au Laos, feront partie du lot analysé. Ils contribueront sans aucun doute à fermer d’autres portes.

Seule certitude, le « foyer de diffusion » de l’espèce se trouve bien dans le Lot-et-Garonne. Mais n’aurait-il pas été repéré dans le département pour la simple raison qu’il y a là de fins observateurs de la nature ? « Il existe en France un réseau d’entomologistes très efficace », précise Jean Haxaire, professeur de biologie au lycée Baudre d’Agen et entomologiste rattaché au Musée. « Un insecte de la taille de Vespa velutina ne leur aurait pas échappé longtemps, car jusqu’alors il n’existait qu’une seule espèce de frelon en France. L’idée qui circule selon laquelle le frelon asiatique serait présent en France depuis 1996, et même avant, est également totalement fantaisiste. » Et, ajoute Jean Haxaire, « tout aussi hypothétique est l’existence d’un deuxième foyer de dispersion à Bordeaux », parfois citée dans un article.

En 2004, le premier nid filmé

Au moins, cette nouvelle soulagera les apiculteurs de leur vaine colère. Bien que le pépiniériste d’Hauterive ait signalé la présence de nids clandestins à l’automne 2004, il était sans doute trop tard. Il y en avait déjà un autre au sommet d’un acacia à Bourgougnague, près de Lauzun, dans le nord du département du Lot-et-Garonne. 24 kilomètres à vol d’oiseau. « C’était incroyable, un nid parfaitement rond, gros comme trois ballons de basket, mesurant 25 à 30 mètres de haut. J’ai pensé à un nid d’oiseau», raconte Francis Marboutin, un voisin.

Naturaliste à la réserve de la Mazière, Laurent Joubert est venu, appareil photo à la main. « Il y avait encore des animaux qui entraient et sortaient. » Bien qu’il ait conservé la séquence sur une cassette vidéo intitulée « octobre-novembre 2004 », aucun contact n’avait alors été établi avec un entomologiste.

Fatalité?

Et que dire de l’information immédiatement transmise au Service de la Protection des Végétaux : « Nous avons eu du mal à prendre des mesures concrètes. Le SPV a fait son rapport et après, il y a un trou», reconnaît aujourd’hui un agent de l’Etat. « Au ministère de l’Agriculture, nous nous occupons de l’apiculture, mais pas de la faune sauvage. Au ministère de l’Ecologie, nous nous occupons de la faune, mais pas de l’apiculture. Il y a bien eu une démarche embryonnaire mais elle n’a abouti à rien. » Et de déplorer un « chaînon manquant » dans le cas des espèces envahissantes.

L’introduction du frelon, dommage collatéral de l’essor des échanges commerciaux avec l’Asie ? « Historiquement, le transport maritime est un vecteur d’introduction de faune et de flore étrangères », rappelle Vincent Groizeleau, rédacteur en chef du site d’information meretmarine.com. « Les conteneurs sont normalement traités à l’aide d’insecticides mais, compte tenu de l’ampleur et de la diversité du trafic, nous ne pouvons garantir une efficacité parfaite, comme semble le démontrer l’introduction du frelon asiatique. »

Points de repère

Automne 2004. Des nids caractéristiques du frelon asiatique sont observés, deux à Hauterive, un à Bourgougnague. 1er novembre 2005. Le premier frelon de l’espèce Vespa velutina est capturé dans un jardin de Nérac. Le Musée est informé de la présence d’un nid à Tombeboeuf. 8 mai 2006. D’autres spécimens sont piégés dans la réserve de la Mazière, près de Tonneins. 20 mai 2006. Constatation officielle de l’insecte en France. 2009. Sa présence est attestée dans 32 départements

 
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