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« Matisse est l’une de nos expositions les plus chères »

L’événement est aussi artistique pour la Fondation Riehen, qui rassemble 73 œuvres marquantes de l’artiste, si rares en version rétrospective. Visite des coulisses.

Publié aujourd’hui à 11h01

Bref:
  • L’exposition « Matisse, invitation au voyage » est visible à la Fondation Beyeler.
  • Il présente des œuvres du monde entier, sauf de Russie.
  • La sélection comprend des chefs-d’œuvre rares, qui ne sont plus exposés en Suisse depuis des années.
  • Ce projet colossal a nécessité le soutien de nombreux mécènes et fondations.

Oui… l’impossible est dans l’exposition « Matisse, invitation au voyage », accrochée à plusieurs endroits de la Fondation Beyeler. Sans les désigner, le réalisateur Sam Keller arpente quatre scènes d’intérieur, réunies dans une pièce, si semblables dans l’art de créer une vie débordante à huis clos et si singulières dans leur gamme de motifs.

L’oxygène – chez Matisse, on peut dire couleur, souverain, sensible – circule dans un vide fermé. Parfois les fenêtres se fondent dans le décor, parfois intérieur et extérieur se confondent. Mais la respiration de ce peintre n’imite jamais la réalité. Elle ne se dissocie jamais de la présence de l’imaginaire. Et jamais, il y a quatre ans, Sam Keller n’aurait osé rêver de réunir un tel quatuor pour célébrer l’art d’un enfant du Nord (1869-1954) qui trouvait le « bonheur » dans la lumière.

Le miracle s’est répété avec trois versions de « Intérieur du bocal à poissons rouges » réunies sans tomber dans la paresse d’un simple appel à la comparaison. Ou encore avec ces « Nus bleus », découpes vedettes d’un peintre, vieux, infirme, obligé de réinventer un art en « dessinant aux ciseaux ». Tout le monde danse, ponctuant la dynamique de groupe d’une œuvre obsédée par l’expression. On sent leur sororité sculptée dans la feuille de gouache, on observe leur émancipation de la platitude, on les envie même d’être si libres d’aller à l’essentiel.

« Quand on reçoit un morceau, on est super contents. Vient ensuite une deuxième réponse positive. Et même un troisième, alors oui… on devient vite gourmand », se réjouit ouvertement Sam Keller. Il y a eu des refus ! C’est le jeu des exhibitions mais elles augmentent aussi l’énergie des troupes pour trouver autre chose. A négocier. Insister, encore une fois.

Les « Baigneurs à la tortue » – toile aussi synthétique que dense, aussi narrative qu’énigmatique – pourraient en témoigner. Quittant rarement leur écrin au Musée d’Art de Saint-Louis, ils renforcent le pouvoir magnétique de l’ensemble et font oublier les réserves exprimées par les commissaires de la dernière grande rétrospective Matisse en Suisse – il y a dix-huit ans au même endroit – convaincus d’avoir “a touché les limites de ce qui est réalisable en termes de coûts et d’assurance.”

Se passer de la Russie

Nous parlons cette fois d’une trentaine de prêteurs pour environ soixante-dix pièces, arrivant des États-Unis et de toute l’Europe. Mais « La Danse » est restée accrochée à Saint-Pétersbourg comme un chef-d’œuvre audacieux du XXe siècle.e siècle. Comme le triomphal « Dessert rouge » de Matisse, esprit tutélaire du noyau des artistes fauves.

“Bien sûr, s’il n’y avait pas eu la guerre, nous aurions demandé des prêts”, répond Sam Keller. « Mais c’est une question d’intégrité, ce n’est pas le moment de collaborer avec les musées d’État russes. Au début, on a pensé à la difficulté de s’en passer, mais avec ce qu’on a obtenu, murmure-t-il, ce ne sont vraiment pas ces prêts qui manquent pour parcourir et raconter près de six décennies de création.

Une révolution en à peine dix ans

Et cela commence fort avec « La desserte » (1896-1897), cet héritier des leçons impressionnistes que ses propriétaires acceptèrent de prêter pour la première fois depuis trente ans. En face, l’idée de couleur, sensation de lumière, se faufile déjà dans le sépulcral « Nu au chausier rose » (1900) avant de s’éclairer, jubilatoire dans « La terrasse à Saint-Tropez » ou expérimentale dans la touche divisionniste de « Luxe, calme et volupté », tableau réalisé la même année, 1904. Sans réelle suite, la singularité recherchée n’étant pas là. Matisse le trouvera en voyageant encore plus loin, en Orient et dans l’intensité émotionnelle de la couleur.

« Montrer l’importance et l’éblouissement de cette évolution est l’une des raisons majeures de faire une rétrospective », note son commissaire, Raphaël Bouvier. Paysages, femmes, odalisques, natures mortes, tous les thèmes défilent dans ce parcours qui alterne peintures et sculptures pour souligner la dynamique d’une œuvre autofécondante.

D’ailleurs, il y a toujours un Matisse en diagonale par rapport à un autre, en miroir ou en embuscade, preuve de l’inspiration infinie de l’artiste autant qu’un clin d’œil ludique, voire malicieux, du commissaire. Comme cette nudité allongée qui louche sur une autre, capturée de dos. Ou cette forêt de têtes de bronze qui fusionnent un même regard à 360 degrés. Ou encore cette silhouette sculptée au mimétisme affiché avec celui du « Grand nu allongé ».

C’est l’une des icônes du Baltimore Museum of Art et l’un des plus beaux clichés de l’exposition de la Fondation Beyeler. Et comme pour tous les autres, à l’exception des frais de voyage et d’assurance, aucun dollar n’a été dépensé pour obtenir le prêt. La pratique est peut-être courante dans certaines institutions américaines, mais Sam Keller ne fonctionne pas. « Quand on laisse voyager une œuvre, c’est au nom de son partage avec le public. L’argent ne devrait jamais être un motif ! Nous ne le demandons pas, nous ne le payons pas. Mais nous échangeons très volontiers, c’est ce qui a permis de sortir les pièces de Saint-Louis et de Baltimore.

« Une exposition copieuse »

Si la Fondation Beyeler compte dans le succès d’une telle rétrospective, le réalisateur ne le nie pas. Le nom est respecté dans le monde des musées, il a sa confiance et une masse critique de visiteurs qui le soutiennent. Au-delà de cela, il n’y aurait pas d’autres secrets de fabrication que celui de pouvoir réunir les moyens nécessaires. Sam Keller reconnaît des valeurs d’assurance « autour » des 2,5 milliards de Gauguin accrochés en 2015 et présente ici « l’une des trois expositions les plus chères avec ce même « Gauguin » et « Le Jeune Picasso » de 2019. « Nous avons eu besoin de beaucoup de soutien, dit-il. Sans eux, l’exposition ne serait pas aussi abondante.

Riehen, Fondation Beyeler, jusqu’au 26 janvier, tous les jours (10h-18h), mercredi (10h-20h), ven (10h-21h). fondationbeyeler.ch

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Florence Millioud a rejoint la section culturelle en 2011 par passion pour les gens de culture, après avoir couvert la politique et l’économie locales depuis 1994. Historienne de l’art, elle collabore à la rédaction de catalogues d’expositions et d’ouvrages monographiques sur des artistes.Plus d’informations

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