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Houris de Kamel Daoud | Pour éviter que l’histoire ne se répète

Dans l’épigraphe de son nouveau roman, HourisKamel Daoud rappelle qu’il est interdit en Algérie depuis 2005, sous peine d’emprisonnement, d’utiliser « les blessures de la tragédie nationale » pour « ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ». Quant à la liberté d’expression, il faudra attendre…


Publié à 01:19

Mise à jour à 11h15

Kamel Daoud ne manque pas de courage. J’avais rencontré l’auteur de l’excellent Meursault, contre-enquêteun hommage miroir à L’étranger d’Albert Camus, qui lui a valu le prix Goncourt pour son premier roman en 2015, alors qu’il était la cible d’une fatwa. Il sait à quoi il s’expose en brisant le silence autour de la guerre civile algérienne des années 1990, tragédie nationale qui a fait quelque 200 000 morts.

Hourisfinaliste du prix Goncourt, qui sera décerné le 4 novembre, est l’un des romans les plus célébrés de la rentrée en France, où vit désormais Kamel Daoud (il enseigne à Sciences Po et tient une chronique pour le magazine Le point). Le journaliste n’est jamais loin de l’écrivain dans ce roman, qui s’inspire en partie de la couverture du reporter de guerre Daoud Oran Quotidien alors que le Groupe islamique armé faisait rage.

Le narrateur deHourisAube, 26 ans, porte depuis l’âge de 5 ans les stigmates d’une attaque terroriste dans son village natal. Elle a été égorgée le 31 décembre 1999 à Had Chekala. Une nuit sanglante où 1000 personnes ont été massacrées, à commencer par sa famille.

Aube, qui vit à Oran, va faire un pèlerinage dans ce lieu qu’elle appelle « le lieu mort », cherchant sa voie et sa voix. Ses cordes vocales ont été lacérées, elle est presque muette. Il ne lui reste qu’un fil de voix à faire entendre, celui du monologue intérieur, destiné à cette Houri qu’elle a récemment portée dans son ventre.

« J’ai l’impression d’être coupée en deux corps, en deux langues. Ce qui me coupe, c’est mon sourire », lui confie Aube. Ce sourire, c’est la cicatrice sacrificielle de 17 centimètres sous son menton, motif morbide de cette histoire et rappel d’une guerre que les gens autour d’elle préfèrent oublier.

La jeune femme respire à travers une canule dans la gorge, qu’elle cache le plus souvent sous un foulard. Pourtant, elle ne porte pas le voile islamique dans sa ville balnéaire où les chants du muezzin se font de plus en plus insistants. A la place, elle porte des pantalons moulants, elle fume et elle boit. Son salon de coiffure, le Shéhérazade, est un lieu de douce révolte féminine, perçue comme une rébellion par l’imam ultraconservateur de la mosquée d’en face.

Dans un langage à la fois poétique et allégorique, mais aussi dur, brutal et presque insupportable, Kamel Daoud critique l’islam radical, de plus en plus influent dans son pays et dans le monde arabo-musulman.

Il dénonce notamment la complaisance envers la misogynie des islamistes, qui fait des ravages dans la société algérienne.

Elle-même sacrifiée à l’enfance comme un mouton à l’Aïd, Aube s’interroge sur la pertinence de donner naissance à Houri, qu’elle présume être une fille, dans un pays où tout le monde ne reconnaît pas les pleins droits des femmes. Hourisqui fait référence aux vierges promises aux fidèles au paradis, est la réponse cinglante de Daoud à ceux qui dirigent son pays bien-aimé.

Quand un autre survivant, Aïssa, gardien de la mémoire de la barbarie de la « décennie noire », vient chercher Aube sur la route dans sa camionnette, le flot d’images qui surgit de ses descriptions de viols, de mutilations et de massacres est presque insoutenable. Une lecture difficile et fastidieuse, mais nécessaire pour rendre justice aux victimes. Je l’ai d’ailleurs recommandé cette semaine à quelques lecteurs qui reprochaient à « Muslims » de ne pas dénoncer les inégalités entre les sexes.

Kamel Daoud revient sur cette guerre civile effacée, bannie des livres d’histoire, à la différence de la guerre d’indépendance contre la France, érigée en mythe.

Il rappelle que l’amnistie a été accordée aux terroristes islamistes dans les années 1990, encouragés à se déclarer « cuisiniers » du maquis plutôt que d’avouer leurs crimes de guerre, afin d’éviter la prison. Il souligne l’absurdité d’une peine de prison prévue pour ceux qui parlent de la guerre, mais pas pour ceux qui la provoquent.

Daoud refuse de laisser cet épisode sanglant s’effacer dans la mémoire refoulée de l’Algérie. Il a été témoin des atrocités à l’époque et le récit qu’il en fait aujourd’hui est aussi saisissant qu’inquiétant. Les détails sont extrêmement précis, les lieux minutieusement circonscrits, à tel point qu’il est parfois difficile de distinguer le journaliste du romancier. Il écrit en étant conscient des risques qu’il court en évoquant le passé, car oublier, c’est faire en sorte que l’histoire se répète.

Houris

Kamel Daoud

Gallimard

416 pages

 
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