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Dans la tourmente, le CICR reviendra-t-il à ses racines ? – .

J’ai récemment rencontré un responsable du CICR dans un café à Genève. Après les salutations d’usage, je lui ai demandé comment ça se passait, dans le contexte actuel. Il a répondu :

« Vous, journalistes, pouvez passer d’une crise à une autre. Lâchez l’Ukraine pour vous occuper de Gaza. Chez nous, humanitaires, les crises s’additionnent. Et c’est très lourd.

Sur ce, il se dirige vers l’avenue de la Paix où l’attendent ses énigmes humanitaires quotidiennes avec des interlocuteurs russes, israéliens, talibans, congolais, yéménites, ukrainiens, soudanais et palestiniens. Même si nous, journalistes, ne lâchons évidemment pas les grands sujets, je voudrais croire que le défi auquel le CICR est confronté ces jours-ci est considérable.

D’un côté, une guerre conventionnelle d’une ampleur sans précédent depuis 1945 avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a duré 22 mois. De l’autre, après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre, une guerre israélienne à Gaza dont la violence et les conséquences sur les civils sont également sans précédent.

Et ce, alors que le CICR traverse une crise interne qui est sans doute la plus grave de ses 160 ans d’existence. Crise de ressources : le budget, qui avait explosé ces dernières années à 2,8 milliards de francs (alors qu’il n’était que de 820 millions en 2002), doit être réduit. Plus de 3 000 suppressions d’emplois sont évoquées. Le budget 2024 n’est toujours pas couvert, même s’il a été réduit à 2,1 milliards.

Querelle des anciens et des modernes

Mais c’est aussi et surtout une crise des valeurs, quant à la mission et à la spécificité du CICR. Pour faire simple, il y a deux écoles.

La première, rattachée aux quatre Conventions de Genève, a été progressivement mise de côté au cours des douze dernières années. Il s’est concentré sur le soulagement des souffrances inutiles dans les guerres. « Nous n’étions pas là pour la paix, ni pour un modèle de justice ou de société », m’a expliqué Jacques de Maio, 33 ans du CICR, aujourd’hui à la retraite. Notre objectif était précis, ancré dans les Conventions de Genève et une interprétation stricte de notre mandat : ​​engager un dialogue avec les belligérants sur leur responsabilité humanitaire et agir sur le terrain. Nous ne torturons pas les prisonniers, nous épargnons les populations, nous faisons la guerre en faisant le moins de dégâts possible aux non-combattants. Et ils nous ont laissé travailler.

Cette première vision de la mission du CICR porte plusieurs noms. Elle est dite « traditionnelle » ou « fondée sur des principes », soutenue par les délégués de la « chaîne historique » à laquelle appartiennent les dix témoins réunis par le cinéaste Frédéric Gonseth pour cette série, nés entre 1925 et 1963 et deux des qui ne sont plus ce monde.

La deuxième école, qui s’est implantée sous la présidence de Peter Maurer (2012-2022), est bien plus ambitieuse – et donc plus chère, d’où l’explosion du budget. Il porte également plusieurs noms : « transactionnel », « holistique », « diplomatique », « pragmatique ». Ou, quand on veut le déprécier, « marketing ». Il ne s’agit plus seulement de soulager les souffrances inutiles de la guerre, mais de stabiliser les régions en conflit, pour qu’une paix durable règne. Pour ce faire, il faut intégrer d’innombrables questions périphériques : questions de genre, de climat, de logement, de migration, de sécurité alimentaire, de santé mentale et de soutien psychosocial, etc. Ces thématiques, qui expliquent le doublement des effectifs du CICR, sont perçues comme « sexy ». par des donateurs, notamment des multinationales, qui ont soutenu l’institution dans son incroyable expansion.

Le danger de la dispersion

Outre le budget qui gonfle et devient insoutenable, de nombreuses critiques sont adressées à cette deuxième école :

  • L’ajout de tâches de développement aux missions du CICR le rend très similaire à d’autres organisations, comme les Nations Unies, et le rend difficile à financer car ce qu’il fait, d’autres le font aussi.

  • Pour répondre aux attentes des bailleurs de fonds, de nombreux programmes ont été mis en place, qui nécessitent du recrutement et de la formation et conduisent à un brouillage des priorités. Lorsqu’une guerre à grande échelle éclate soudainement, comme en Ukraine, ces personnels des projets périphériques se révèlent inutiles.

  • Cet élargissement de la mission du CICR a progressivement modernisé et transformé le CICR, sa gouvernance et sa culture. Pas seulement pour le bien. Les réunions et leurs participants se sont multipliés, la responsabilité de la prise de décision s’est diluée et a été absorbée par le siège. « Il n’y a plus de « délégués », il n’y a que des « salariés », estime Jacques de Maio. Qui définit ce qu’est une « bonne action » du CICR ? Le diplomate, le manager ou le praticien de terrain ? Le siège est-il au service du terrain, ou l’inverse ? Quelle autonomie ? Ces questions ont toujours existé, mais elles sont particulièrement brûlantes aujourd’hui pour le praticien qui se sent dépossédé du sens de son action.conclut l’ancien délégué.

  • La logique transactionnelle consiste à négocier pour trouver un terrain d’entente et accueillir des partenaires privés ou étatiques autour de projets adaptés. Mieux vaut-il un mauvais accord que pas d’accord du tout ? Le CICR a oublié qu’il faut parfois dire « non » et tracer des lignes rouges. « Où en serions-nous si en 1967 nous avions renoncé à invoquer la 4e Convention de Genève ? (qui régit notamment les devoirs de l’occupant et les droits de l’occupé, ndlr.) et donc le statut d’occupation militaire de Gaza et de la Cisjordanie par Israël ?, demande Jacques de Maio. La question se pose notamment avec l’occupation russe en 2014 de la Crimée et d’une partie du Donbass et la position « flexible » adoptée par le CICR face à l’intransigeance de Moscou.

  • L’ambition de stabiliser les territoires plutôt que de simplement gérer l’urgence intéresse évidemment les grands acteurs économiques, pour qui celles-ci sont « marchés frontières », des marchés émergents à conquérir. Sera-t-on un jour capable de transformer les 2,3 millions de Gazaouis de victimes à secourir en heureux consommateurs de grandes marques occidentales ? Cette perspective, présentée ici de manière caricaturale, justifiait le rapprochement du CICR avec les multinationales, notamment au sein du Forum économique mondial, dont le président du CICR, Peter Maurer, a rejoint le conseil de fondation en 2014. Ces interactions entre humanitaire et commercial ont beaucoup choqué au sein du institution. Ils ont apporté des fonds, qui se sont ensuite taris.

Face à la surdité des faiseurs de guerre

Dans les guerres en Ukraine et en Palestine, en raison de leur ampleur et de leur brutalité, le CICR est censé jouer son rôle très traditionnel de gardien du droit international humanitaire (DIH) et d’acteur neutre et impartial entre les belligérants, plutôt que de servir d’instrument. fournisseur de support. Mais c’est aussi l’occasion de se recentrer. « Ils disent, face à Gaza ou à l’Ukraine, que le DIH ne sert à rien… c’est compréhensible mais c’est fauxestime Jacques de Maio. Non seulement le DIH a historiquement fourni une protection et une assistance substantielles aux Palestiniens sous occupation et au-delà, mais Gaza est aujourd’hui une terrible démonstration de ce qui se produit lorsque l’on laisse la loi être piétinée pendant des décennies. Quant au conflit Ukraine-Russie, il est en effet intolérable de ne pas avoir accès à tous les prisonniers de guerre.»

On ressort les Conventions de Genève, on met de côté les programmes sur la justice climatique ou la mixité. Sauf que personne n’écoute et que l’institution n’était pas prête. En février 2022, face à l’attaque russe, le système du CICR en Ukraine s’est désintégré puis s’est remonté, mais en position de faiblesse. Une opération humanitaire d’envergure a été montée dans le domaine de l’assistance, mais pas ce que l’on attendait de l’institution de référence « gardienne du DIH ». Ceci explique en partie les vives critiques des autorités ukrainiennes à l’égard du CICR, pour sa neutralité perçue comme complice de la Russie, et pour l’absence de résultats en matière de protection, notamment des prisonniers de guerre ukrainiens.

À Gaza, le CICR n’avait pas le choix. L’ampleur de la réponse israélienne après le 7 octobre est dévastatrice et écrase tout espace humanitaire. Les bureaux du CICR à Gaza ont été évacués, et l’organisation accusée d’être impuissante, face aux otages, aux pertes civiles, à la colonisation…

Pendant ce temps, la situation au Soudan est dramatique. La Somalie et le Congo ne font pas mieux. Et demain, Taïwan ?

Un retour à la fermeté

C’est à cela que réfléchit la nouvelle présidente du CICR, Mirjana Spoljaric, avec son équipe dans laquelle des vétérans ont été rappelés. Un nouveau directeur doit être nommé pour remplacer Robert Mardini, qui a démissionné, et il y a fort à parier qu’il (ou elle) aura également à l’esprit ce qu’était le CICR il y a quelques décennies.

Déjà, la présidente hausse le ton et rappelle les principes du droit international humanitaire. « La situation à Gaza est dévastatrice »» a-t-elle déclaré la semaine dernière à la BBC à son retour du terrain, parlant d’opérations sans anesthésie dans des hôpitaux à moitié détruits. « Nous devons resterelle dit, nous ne partirons pas. Et nous avons besoin d’un espace opérationnel qui nous permette de nous déplacer. Des propos qui font écho à ceux des onze délégués sur place de 1967 à 2018 que Frédéric Gonseth a longuement interrogés et que vous pourrez lire dans les prochains jours sur Heidi.nouvelles.

 
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