La Croix : Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris votre nomination comme cardinal ?
Mgr Jean-Paul Vesco : J’ai été totalement surpris, parce que je ne pouvais tout simplement pas l’imaginer pendant un millième de seconde. Honnêtement, je l’ai vécu et je continue de le vivre comme un véritable mystère. Je sais que le Pape seul nomme les cardinaux. Pourtant, si je me sens en phase avec sa vision de l’Église, je ne fais pas du tout partie de ses amis proches ! Je n’ai donc pas de réponse évidente quant à la raison pour laquelle il m’a choisi.
J’en ai entendu dire qu’il m’avait choisi pour ma sensibilité “ouvrir”, mais je comprends qu’il n’en avait pas conscience lorsqu’il m’a choisi. Quoi qu’il en soit, quelque chose m’a frappé : dans le jargon, on dit que le pape « crée » de nouveaux cardinaux. J’ai aimé ce terme « création » car très vite après cette nomination, j’ai ressenti un appel à me renouveler profondément.
Quelques jours après votre rendez-vous, vous avez dit : « Ce n’est pas un nouveau cardinal français, c’est un nouveau cardinal algérien qui a été créé. » Que voulais-tu dire ?
Mgr J.-PV : Tout d’abord, je pense que, par ma nomination, le Pape a voulu donner un signe fort à cette petite Église d’Algérie. D’autant plus qu’il porte un fort amour et un grand intérêt à Saint Charles de Foucauld, qu’il a canonisé. Mais surtout, j’ai acquis la nationalité algérienne il y a deux ans, je suis en Algérie depuis vingt ans et j’y mourrai sans doute. Cette nationalité algérienne a été un geste important pour que cette Église soit véritablement une Église de ce pays, citoyenne, inscrite dans la vie de la société. Que l’archevêque soit algérien change tout, sinon l’Église aurait pu continuer à être perçue comme une institution étrangère.
Vous avez pris position sur des sujets bien identifiés et pas toujours consensuels dans l’Église, par exemple pour défendre la place des divorcés remariés ou celle des femmes. Allez-vous conserver votre liberté d’expression ?
Mgr J.-PV : Je me suis beaucoup demandé comment cette nouvelle responsabilité pouvait changer ou non ma liberté de ton. Quelques choses me sont apparues assez vite : quand on est nommé cardinal, on l’apprend en même - que tout le monde, on n’en est pas informé au préalable. Cela me fait dire que le Pape n’espère pas que nous nous conformions ou changions, mais qu’il nous appelle tels que nous sommes. Je pense aussi qu’être cardinal, ce n’est pas être la voix du Saint-Père. Je dois évidemment au Pape une loyauté, un amour. Mais je dois aussi cette fidélité à l’Église universelle. Je resterai donc libre dans mes propos et les sujets que je souhaite aborder.
Mon livre sur les divorcés remariés (1), j’ai écrit par amour pour l’Église où si l’on ne remet pas en cause le dogme, la pensée est et doit rester vivante. C’était mon devoir en tant qu’évêque de lancer ce plaidoyer. Mais je suis conscient que plus nous prenons des positions qui nous engagent, plus nous devons être capables de les tenir et de les expliquer, avec ascétisme et travail. Au fond, je suis convaincu, d’autant plus que j’adhère pleinement à la sensibilité ecclésiale du pape François, que c’est une énorme opportunité.
Tu te dis « Bergoglia (du nom de naissance de François, Jorge Bergoglio, NDLR) jusqu’au bout de mes ongles. Qu’est-ce que cela signifie?
Mgr J.-PV : On raconte que, en tant que futur pape, François a été repéré par ses futurs pairs lors des congrégations précédant le conclave, parce qu’il prônait l’Évangile au cœur de l’Église. Et c’est exactement ce qu’il fait ! Sa simplicité est profonde. L’une des dernières fois que je l’ai vu, il m’a rappelé que la seule possibilité pour une personne d’être en position de supériorité sur une autre est de tendre la main et de la lever. Tout cela me parle dans la mesure où ce pape conteste toutes les images de pouvoir que l’on peut avoir de l’Église et qu’il met aussi en garde contre la tentation d’uniformité qu’il y a dans notre institution.
Au fond, il a lancé un véritable mouvement de conversion de l’Église, certes parfois avec force et autorité. Mais il existe un désir d’amener le monde dans l’Église. « L’Église est pour tous, tous, tous » comme il l’a dit aux JMJ de Lisbonne en 2023. On perçoit son projet d’une Église proche, simple et fraternelle, attentive aux pauvres… Moi qui vais au Vatican depuis 2009, j’ai vu un changement flagrant avec plus de femmes et des laïcs occupant des postes de responsabilité dans la Curie. Et pourtant, l’Église reste l’Église. L’institution a un besoin profond d’altérité et de diversité, et ce n’est pas parce que je suis cardinal que je m’interdis de le dire. (Rires).
-Les relations entre la France et l’Algérie sont notoirement mauvaises. L’Église d’Algérie a-t-elle un rôle à jouer ?
Mgr J.-PV : Non, car l’Église n’a aucun lien institutionnel avec la France. Longtemps assimilés à la France par les autorités algériennes, nous avons lutté contre cette perception. Aujourd’hui, c’est une évidence : l’Église en Algérie n’est pas française, 99 % de ses membres ne le sont pas. Cela relève du Saint-Siège, pas de la France.
En revanche, sur le plan personnel, en tant que Franco-Algérien, je souffre de cette animosité entre les deux pays, tout en y voyant un immense potentiel de fraternité. Chrétien dans un monde musulman, je suis naturellement en dialogue avec l’Islam. Je travaille personnellement au rapprochement des deux pays. Mais ce combat est le mien, pas celui de l’Église.
Mon sentiment est que la France n’a pas encore pris la mesure des séquelles coloniales. Nous devons, en tant que Français, reconnaître humblement une responsabilité historique et collective, qui n’a rien à voir avec nos responsabilités personnelles d’aujourd’hui.
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21 nouveaux cardinaux pour l’Église catholique
Dimanche 6 octobre, lors de l’Angélus, Le pape François a annoncé la création de 21 nouveaux cardinaux, dont 10 sont membres d’ordres religieux (trois franciscains, deux dominicains, deux missionnaires de la Parole divine, un rédemptoriste, un scalabrinien et un vincentien). Ils seront officiellement créés cardinaux lors d’un consistoire le samedi 7 décembre au Vatican.
Le Vatican a annoncé, le 22 octobre, que le pape avait accepté la demande de l’évêque indonésien Mgr Paskalis Bruno Syukur de ne pas être créé cardinal. François le remplace en nommant Mgr Domenico Battaglia, archevêque de Naples. C’est pourquoi ils seront 21 futurs cardinaux à recevoir la barrette des mains du Pape dans la Basilique Saint-Pierre.
Parmi eux figurent notamment le franco-algérien Mgr Jean-Paul Vesco, 62 ans, archevêque d’Alger, Mgr Dominique Mathieu, archevêque de Téhéran-Ispahan (Iran), Timothy Radcliffe, dominicain, ancien maître de l’ordre des prédicateurs, ou encore Mgr Jaime Spengler, président du Conseil épiscopal latino-américain (Celam) et archevêque de Porto Alegre (Brésil).
(1) Tout véritable amour est indissoluble. Plaidoyer pour les divorcés remariésCerf, 112 p., 9 €