Patriote, par Alexeï Navalny | Souvenirs d’outre-tombe

Il aurait pu devenir le Nelson Mandela russe. Mais Vladimir Poutine ne lui a pas donné cette chance. Le 16 février, Alexeï Navalny est décédé dans une colonie pénitentiaire en Russie, à l’âge de 47 ans. Triste fin pour cet avocat de formation, devenu l’opposant politique le plus célèbre du président russe. Huit mois plus tard, son autobiographie posthume est publiée, comme un dernier pied de nez au gouvernement corrompu qu’il ne cesse de dénoncer. Pièces sélectionnées.

Victime des Nazgûl

Le 20 août 2020, Navalny a été victime d’un empoisonnement au novichok dans l’avion le transportant de Tomsk à Moscou. Deux jours plus tard, il a été envoyé dans un hôpital de Berlin pour y être soigné. Son récit de l’événement confirme son étonnant sens de l’humour. « Quand quelqu’un me demande ce que ça fait de mourir à cause d’une arme chimique, deux associations d’idées me viennent à l’esprit : les Détraqueurs de Harry Potter et le Nazgûl de Seigneur des Anneaux. Le baiser d’un Détraqueur est indolore, la victime sent sa vie la quitter, c’est tout. L’arme principale des Nazgûl est leur terrifiante capacité à vous vider de toute force et de toute volonté… La vie me fuit et je n’ai aucun moyen de résister. »

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PHOTO WOJTEK RADWANSKI, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’autobiographie posthume de l’opposant politique Alexeï Navalny a été lancée le 22 octobre, huit mois après sa mort.

Un procès kafkaïen

Cinq mois après son empoisonnement, Navalny est rentré en Russie pour poursuivre son combat. Dès son arrivée dans le pays, l’opposant de Poutine est arrêté. S’ensuit une série de faux procès qui le maintiennent en prison jusqu’à sa mort. « En Russie, c’est un cliché de dire qu’un procès est kafkaïen. Pourtant, l’analogie était pertinente. Si je me souviens bien, le héros de Kafka entre dans un tribunal pour une affaire et découvre que son procès s’y déroule. C’est exactement ce qui se passe ici. Je sors de ma cellule pour un commissariat, pour un entretien avec mon avocat, et me retrouve dans un tribunal peuplé d’un faux public et de faux journalistes. »

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PHOTO MAXIM CHEMETOV, ARCHIVES REUTERS

Alexeï Navalny attend le début d’une audience au tribunal de Moscou, le 20 février 2021.

Combattre la corruption

Avocat de formation, Navalny est entré en politique au début des années 2000. Dès le début, sa mission était claire : « combattre les gens qui détruisent mon pays, sont incapables d’améliorer notre existence et n’agissent que dans leur intérêt personnel ». D’emblée, il vise Vladimir Poutine, qui deviendra à la fois son Voldemort et son Sauron. «Je savais que je ne pouvais pas croire un mot de ce qu’il disait. Sa nomination m’a déterminé à résister. » Un dossier brûlant le préoccupe particulièrement : révéler au peuple russe que Poutine possède un château au bord de la mer Noire, où il donne des réceptions luxueuses et reçoit ses maîtresses. Internet sera pour lui une plateforme de distribution vitale. Sa carrière politique a atteint son apogée lors des élections municipales de Moscou de 2013, où il a obtenu 27 % des voix, malgré la pression croissante des autorités. Trois ans plus tard, sa candidature à la présidentielle est rejetée.

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PHOTO VASILY MAXIMOV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Alexeï Navalny descend d’un véhicule de police et arrive au tribunal pour assister à son procès en août 2018.

L’œuvre d’une vie

Beaucoup l’ont interrogé sur son choix de rentrer en Russie après son empoisonnement. Beaucoup lui ont demandé pourquoi il persistait à combattre le monstre Poutine, malgré les risques croissants. Navalny répond clairement à cette question : « Un jour, j’ai pris la décision de ne pas avoir peur… J’aime ce que je fais et je crois que je devrais continuer à le faire. Je ne suis ni fou, ni irresponsable, ni intrépide. C’est juste que je sais que je dois le faire. Que c’est l’œuvre de ma vie. »

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PHOTO KIRILL KUDRYAVTSEV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Rassemblement de soutien à Alexeï Navalny à Moscou, en avril 2021

Dans le noir de Shizo

Alexeï Navalny a commencé à écrire ses mémoires alors qu’il était en convalescence en Allemagne. Il espérait écrire un livre d’espionnage basé sur sa lutte contre la corruption. De retour en Russie, il doit se rendre à l’évidence : Patriote sera aussi une histoire de prison, dans la lignée duArchipel du Goulagpar Alexandre Soljenitsyne. La seconde moitié du livre se déroule dans une colonie pénitentiaire à sécurité maximale. Dans des passages éloquents, il évoque ses séjours à « Shizo », sorte de trou d’isolement destiné à briser les détenus. « La cellule dans laquelle je me trouve est un trou noir en béton mesurant huit pieds sur cinq pieds. Il fait si chaud qu’on peut à peine respirer. Mais le plus souvent, on a l’impression d’être dans une cave froide et humide. C’est ici que se déroulent normalement les mauvais traitements, la torture et les meurtres de prisonniers. Rester là est une véritable torture… »

La guerre en Ukraine

Le 22 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Navalny suit les événements en prison à la télévision d’État russe. Il s’exprime peu sur la question, sauf pour condamner les justifications artificielles de Poutine. « Des centaines, puis des dizaines de milliers de citoyens ukrainiens et russes mourront à cause de Poutine. Cela empêchera l’Ukraine de se développer et la repoussera dans le bourbier, mais la Russie en paiera également le prix fort. »

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PHOTO VYACHESLAV PROKOFIEV, REUTERS

Vladimir Poutine, président de la Russie

Perdre espoir

Navalny collectionne les procès « comme d’autres collectionnent les timbres ». Il a finalement été condamné à 19 ans de prison. À ce stade, il comprend qu’il ne reverra plus jamais le monde extérieur. Sa résilience demeure, mais la lucidité prend le dessus. «Je passerai le reste de ma vie en prison et j’y mourrai. Je ne pourrai même pas dire au revoir à qui que ce soit. Ou pendant que je suis en prison, tous ceux que je connais vont mourir avant que je puisse leur dire au revoir. Les diplômes d’études secondaires et collégiales me manqueront. Les mortiers voleront dans les airs sans moi. Je n’assisterai à aucun mariage. Je ne reverrai jamais mes petits-enfants… » La dernière inscription dans son journal date du 17 janvier 2024. Il est décédé un mois plus tard « de mort naturelle », selon les autorités.

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PHOTO NATALIA KOLESNIKOVA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des fleurs ont été déposées près de la tombe d’Alexeï Navalny dans un cimetière de Moscou le 21 octobre.

Humour et grande distribution

Loin des lamentations attendues, Patriote révèle la volonté de fer d’un homme qui a résisté jusqu’au bout, malgré la guerre sans merci que lui a menée Vladimir Poutine. Même si la mort l’attendait, l’homme avait aussi un vrai sens de l’humour, ce qui allège grandement cette brique de 520 pages : « S’ils me tuent, ma famille recevra l’avance et les droits d’auteur », écrit-il, mi-figue, mi-raisin. . Patriote a été lancé simultanément le 22 octobre dans « des dizaines de pays et dans plus de 20 langues », selon la veuve de Navalny, Ioulia Navalnia. Quelque 60 000 exemplaires ont été initialement édités pour le monde francophone.

 
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