En Ukraine. chant de victoire

En Ukraine. chant de victoire
En Ukraine. chant de victoire

et guerre

En Ukraine, la victoire en chantant

Vivant à Kiev, le Suisse Marc Wilkins réalise un documentaire sur le rôle des musiciens dans la défense de leur pays. Un processus fait de difficultés et de belles rencontres. Entretien.

Yann Zitouni

Publié aujourd’hui à 20h34

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Bref:
  • Marc Wilkins filme le quotidien des musiciens ukrainiens.
  • Il explore le rôle de l’art face aux conflits menaçants.
  • Le documentaire révèle une scène musicale ukrainienne résiliente et audacieuse.
  • Durant le tournage, il ne verra le jour que grâce, en partie, au financement participatif.

Au moment de notre rendez-vous téléphonique, Marc Wilkins est à Berlin. Ce réalisateur suisse qui vit à Kiev devait y tourner quelques séquences avec l’un des musiciens du groupe auquel il consacre son prochain documentaire. « Il n’avait pas l’autorisation de quitter l’Ukraine, le ministère de la Culture lui a refusé l’autorisation. C’est incompréhensible. Je ne pense même pas à l’argent ou au temps perdu. Je pense au fait que les musiciens sont également touchés par la guerre, que la guerre détruit la vie des gens de multiples manières.»

On l’imagine furieux, mais il a la courtoisie de nous en parler comme s’il ne s’agissait que d’un léger désagrément. Après tout, il en a probablement vu d’autres. Ces dernières années, Marc Wilkins s’intéresse à des sujets troublants, voire douloureux, comme notre responsabilité collective dans la mort des migrants en Méditerranée ou l’échec du rêve américain.

Aujourd’hui, il filme le quotidien d’un groupe de musiciens ukrainiens qui s’interrogent sur leur rôle et leur responsabilité alors que leur pays est en danger. « Au début de l’invasion russe, je ne pouvais pas écouter une seule note de musique. Pendant plusieurs semaines, c’était impensable. Je crois que c’est un réflexe animal qui nous oblige, en situation de danger, à mobiliser toute notre attention et toutes nos ressources. C’est un réflexe de survie. Et puis, au fil du temps, on prend conscience d’un autre besoin, celui de célébrer la vie et la création, d’autant plus que la mort nous menace à tout moment.

Un concert pour approvisionner les drones

Mais quand on joue de la guitare pendant que d’autres meurent sur le front, il faut plus que de jolies phrases pour se débarrasser d’un inévitable sentiment de culpabilité. Marc Wilkins nous raconte l’histoire de ce musicien ukrainien qui, grâce à ses concerts, a récolté des fonds pour financer l’achat de drones qu’il transportait lui-même vers les lignes ukrainiennes. « Misha s’est rendu à Kramatorsk, une ville où de nombreuses personnes mouraient chaque jour. Et puis quelque chose de décisif s’est produit. Un officier ukrainien lui a dit qu’il était effectivement plus utile en faisant cela qu’en prenant les armes. Il lui a donné sa bénédiction. Et en entendant cela, il se sentit libéré. Moi-même, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, je suis d’abord allé à Berlin. Mais je ne pouvais pas accepter d’être là, à boire un cappuccino, assis sur une terrasse, alors que le pays était attaqué. J’ai fini par revenir et j’ai même envisagé de rejoindre la légion étrangère. Mais je n’avais aucune compétence, je n’aurais même pas pu piloter un drone. On m’a confirmé que je ne pouvais pas être recruté et je me suis senti soulagé à partir de ce moment-là. Je n’avais plus à me poser cette question.

Une scène artistique audacieuse

Marc Wilkins a découvert la ville de Kyiv en 2006 lors du tournage d’une publicité. Selon ses mots, il est tombé amoureux de la société ukrainienne, il a été attiré par une scène artistique audacieuse, inspirée et enfin libérée. «En comparaison, Berlin ou Zurich me paraissaient très insignifiantes.» En 2016, il décide de s’y installer et, trois ans plus tard, il rencontre celle qui deviendra son épouse. Aujourd’hui, lorsqu’il parle du peuple ukrainien, il dit « nous ». « Nous ne nous battons pas pour Zelensky. Nous nous battons pour défendre ce pays que nous avons construit, ce pays dans lequel notre culture existe. En tant que créateur, je pourrais aller ailleurs, continuer mon travail à Lyon, Lausanne ou Copenhague. Mais cela ne serait pas possible car je puise mon inspiration dans cette terre.

Il se souvient d’une époque où le marché musical ukrainien était constitué aux trois quarts de chansons russes. Il estime que, depuis le début de la guerre, cette proportion est tombée à environ 10 % et que le public s’est tourné vers une musique un peu plus introspective, un peu plus sombre. Sur son site Internet, Marc Wilkins a mis en ligne une vidéo de présentation de ce documentaire qu’il produit actuellement. En moins de trois minutes, on découvre les membres de Fusion Jam, une communauté d’artistes plus qu’un groupe au sens un peu rigide du terme.

Jouez plus fort que les bombes

Régulièrement, ces musiciens se réunissent par dizaines dans une salle où, suite à un tirage au sort, sept personnes sont désignées pour former un orchestre éphémère qui improvisera pendant sept minutes. Et lorsque ce mini-concert se termine, nous organisons un autre casting et une autre expérience musicale. A la mobilisation aléatoire et aveugle des troupes armées, Fusion Jam répond par une conscription musicale et propose une autre idée de l’arbitraire. En créant ces compositions d’un soir, les membres de ce collectif montrent comment un dialogue – musical en l’occurrence – permet de répondre à l’inattendu en réunissant des gens qui ne se connaissent pas, d’unir leurs forces. Il s’agit de construire ensemble, puis de reconstruire encore et encore. Il s’agit de tenir malgré le fracas des sirènes et des explosions qui, certains soirs, menacent la fête en même temps qu’elle lui donnent sa raison d’être.

Il s’agit de jouer plus fort que les bombes, comme le confirme le titre de ce documentaire : « Louder Than Bombs ». En poursuivant ce travail, Marc Wilkins s’engage lui aussi dans un bras de fer. « À ce jour, nous n’avons aucun partenaire financier ni diffuseur. Le travail a commencé il y a un an et j’ai tourné environ 20 % des images de ce que sera le film, notamment grâce à une campagne de financement participatif. Ce n’est pas l’histoire de l’enregistrement d’un album, il ne s’agit pas de raconter l’histoire d’une tournée, du premier au dernier rendez-vous. Il n’y a donc pas de fin déjà écrite à cette histoire. Ce documentaire montre comment les gens tentent de survivre à la guerre. J’espère qu’un jour on comprendra que la guerre est finie et que ce sera mon dernier jour de tournage. En attendant ce moment, je poursuis mon travail de réalisatrice et de récolteuse de fonds. Parce que si j’attends que quelqu’un, dans une administration en Suisse, accepte de financer ce film, certains des protagonistes de l’histoire pourraient être morts.

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