le procès d’un long supplice – Libération

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L’enfer est parfois pavé de rêves ordinaires : profiter d’une retraite au soleil, quitter le rythme effréné de la région parisienne pour un quotidien plus doux. En mars 2013, Gisèle P., 60 ans, emménage avec son mari, Dominique P., dans une maison avec piscine, louée à Mazan, ville du Vaucluse de 6 000 habitants. C’est derrière les murs épais de cette banalité que se cache l’abjection. Elle sera décortiquée devant le tribunal correctionnel départemental du Vaucluse, dans un procès hors norme qui s’ouvre à Avignon ce lundi 2 septembre et durera jusqu’au 20 décembre. 51 hommes, dont Dominique P., y comparaîtront – la grande majorité pour des faits de corruption – « viol aggravé », un crime passible de vingt ans de réclusion criminelle. Les faits reprochés ? Entre 2011 et 2020, droguée à de nombreuses reprises par son mari, jusqu’à perdre connaissance « proche du coma » Selon l’ordonnance du juge d’instruction qui a mené l’enquête, Gisèle P. a été violée par une multitude d’hommes recrutés sur le site Coco.gg. Dominique P. documente l’horreur : 20 000 photos et vidéos – aux titres sans ambiguïté (comme « ABUS / nuit du 09 06 2020 avec charly 6ème fois ») – ont été retrouvées sur l’ordinateur de cette retraitée, aujourd’hui âgée de 71 ans. Ces images ont permis de dénombrer 92 viols, la plupart commis dans sa chambre.

Gisèle et Dominique P. se sont rencontrés en 1971 et se sont mariés deux ans plus tard. De leur union sont nés trois enfants, aujourd’hui âgés de 34 à 47 ans. Installée dans la cité pavillonnaire de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), la famille est “union”, des traces remontant à Figaro leur fille Caroline Darian, engagée dans la lutte contre la soumission chimique avec son association M’endors pas. Ancienne salariée d’EDF, Dominique P. a plusieurs vies professionnelles jusqu’à devenir vendeuse de matériel informatique ; quant à Gisèle P., elle a une carrière de chargée d’affaires chez EDF. Elle est décrite comme « serviable », « généreux », « jovial » par ses deux belles-filles. L’une d’elles souligne néanmoins cette tendance à mettre « son mari est très en avance », a « Allez après lui » Le couple a connu plusieurs crises, marquées par des infidélités mutuelles.

« Elle ne se doute de rien ? »

Au cours de ses dernières années en région parisienne, Gisèle P. a noté quelques «absences». De son propre aveu, son mari a commencé à la droguer, notamment à l’aide de Temesta, un anxiolytique, que lui prescrira plus tard son médecin à Mazan. Le retraité, qui n’a jamais été rémunéré en contrepartie des viols et dont le mobile sera au cœur des auditions, a raconté lors de l’information judiciaire un basculement vers la soixantaine. Détaché de son « responsabilités familiales », « seul » avec sa femme, il devient « plus exigeant dans ses fantasmes sexuels. » Gisèle P. parle de « sexualité normale » ; elle ne sait pas qu’il utilise la soumission chimique pour se livrer à « certaines pratiques sexuelles qu’elle refusait. » Le mari suppose également « tirer du plaisir de voir sa femme touchée par quelqu’un d’autre » un “pratique” découvert en ligne au milieu de la cinquantaine. Son expertise psychologique conclut que « l’absence de pathologie ou d’anomalie mentale, mais une déviance sexuelle ou une paraphilie de type voyeurisme » et à « une personnalité perverse ».

Les pertes de mémoire et la fatigue de Gisèle P. s’intensifient à son arrivée à Mazan. « Un matin, elle s’est réveillée en panique, avec une nouvelle coupe de cheveux, sans comprendre comment cela était possible. Elle est allée chez son coiffeur qui lui a dit « mais oui Mme P., vous êtes venue hier ! » rapporte Stéphane Babonneau, l’un de ses avocats, précisant que le couple entouré d’amis ne vivait pas dans une « à huis clos », plus « je suis sorti, j’ai voyagé. » Durant cette décennie de violences, elle consulte plusieurs médecins, toujours accompagnée de Dominique P., qui justifie ses symptômes par un surmenage lié à la garde de leurs petits-enfants en région parisienne. Aucun médecin n’établit de soumission chimique. Démunis, ses proches soupçonnent des débuts d’Alzheimer, tandis que Gisèle P., angoissée, se retrouve gênée jusque dans ses déplacements. « Elle vit avec les symptômes d’une maladie que personne ne peut expliquer, ce qui a été un moyen d’isolement », supports Stéphane Babonneau.

L’apparente normalité s’effondre le 12 septembre 2020, lorsque Dominique P. est interpellé par les agents de sécurité du Leclerc de Carpentras pour avoir filmé sous les jupes de plusieurs femmes. L’analyse de son matériel informatique révèle l’horreur : des milliers de photos de Gisèle P. inconsciente, des vidéos de viols, des échanges sur Skype et Coco, dans un salon de discussion numérique baptisé « A l’insu ». « Est-ce que tu le fais encore tester de temps en temps ? Il est sûrement propre ? » demande un internaute. « Elle ne se doute de rien ? » demande un autre. « Non, elle met ça sur le compte de la fatigue. » le mari répond. « Tu es comme moi, tu aimes le mode viol » Il a écrit à un troisième. Dominique P. a rapidement avoué les faits, en garde à vue. Confronté à la photo de sa fille Caroline Darian nue, qu’il a reconnu avoir prise à son insu, Dominique P. a nié l’avoir droguée. Plus loin dans l’horreur, la correspondance ADN du retraité a permis à la cellule « cold case » de Nanterre, à l’automne 2022, de mettre en examen Dominique P. pour meurtre précédé ou suivi de viol sur une femme de 23 ans en décembre 1991 à Paris et pour tentative de viol avec arme sur une autre femme de 19 ans le 11 mai 1999, à Villeparisis.

« Chaque individu avait le libre arbitre »

Pour Gisèle P., comme pour ses enfants, il s’agit d’un deuil. Pour un mari (dont elle a aujourd’hui demandé le divorce) qu’elle a décrit lors de sa première audience comme « un super mec » ; d’un père représenté par sa fille comme « super présent », qui l’accompagne à l’école et à la danse ; le deuil d’une vie et une façade de bonheur. Ces révélations cataclysmiques, puis leur médiatisation en 2023 dans le monde et le parisien, déstabiliser la cellule familiale, redevenue soudée à l’approche du procès. « Après une vie de travail, une vie sans drame, [Gisèle P.] « Elle rêvait de passer des jours heureux avec son mari. Lorsque la liaison a éclaté, son monde s’est effondré. Sa vie a été brisée », insiste son avocat. Gisèle P. souffre de quatre IST, est atteinte d’une « un grave trouble de stress post-traumatique, ainsi qu’un grave préjudice sexuel », prend note de l’expertise psychologique. « L’expert [a conclu] que les atteintes qu’elle a subies étaient directement, certainement et exclusivement imputables aux événements qu’elle a subis », “Relevant du juge, elle a songé à mettre fin à ses jours”, a-t-elle ajouté.

Par son ampleur, sa durée, le nombre d’accusés, cette affaire vertigineuse détruit la figure du monstre, du « fou »., ces hypothèses de culture du viol tentent de déshumaniser les auteurs de violences. Les 51 accusés sont « Monsieur Tout-le-Monde » et la majorité ne souffre d’aucune maladie mentale ou psychologique. Ils ont entre 26 et 74 ans et viennent de tous les horizons. Ils travaillent comme journalistes, militaires, gardiens de prison, ouvriers, informaticiens, chauffeurs de camions, etc. « Chacune de leurs trajectoires est unique : celui qui est séropositif et qui est revenu six fois, sans jamais se protéger, celui qui a voulu faire la même chose à sa mère, le pompier… Est-il possible qu’on trouve un point commun entre eux tous ? » avocat de projets Stéphane Babonneau. Si certains des accusés ont des antécédents de violences conjugales ou sexuelles, la plupart d’entre eux sont considérés comme des pères investis, des compagnons “attentif” et « aimants », amis «soucieux des autres», disent leurs proches.

Tout le monde savait que Gisèle P. était sous l’emprise de médicaments, assure Dominique P. Avec ces informations en main, selon lui, seul un tiers des individus contactés auraient refusé sa proposition. Aux enquêteurs, peu avouent avoir été au courant de son état de soumission chimique, enjeu clé du procès. Presque d’une seule voix, ils témoignent avoir cru participer à une « jeu libertin », et « scénario de couple » auxquelles ils se seraient conformés, parfois sous la “manipulation” par Dominique P. L’instruction précise que « chaque individu avait le libre arbitre » et aurait pu « quitter les lieux ». La plupart d’entre eux affirment avoir d’abord pensé que Gisèle P. faisait « comme dormir ». Le modus operandi laisse peu de doute quant à leur niveau d’information. Ces hommes sont priés par Dominique P. de se garer à distance de la maison pour ne pas attirer l’attention du voisinage, de ne pas fumer de cigarette, de ne pas se parfumer. A leur arrivée, ils doivent se déshabiller dans la cuisine, se laver les mains, voire les réchauffer sur le radiateur avant de pénétrer dans la pièce surchauffée.

Forme de solidarité criminelle masculine

Les vidéos finissent par éclaircir la confusion : les ronflements de Gisèle, sa léthargie, la “doucement” chuchoté par Dominique P. « Non ! Non ! Pas avec… Pas avec tes mains, pas avec tes ongles, ça la réveillerait, elle est chatouilleuse. » il a laissé entendre en octobre 2020 à Mathieu D., 49 ans. Son “invité” est surpris à côté de lui, « C’est fou qu’elle ne se réveille pas. » « La somnophilie, à ce niveau de sédation, pourrait faire penser à la nécrophilie. » un expert témoigne. Dans certains enregistrements, la victime présente « étouffement et pauses respiratoires lors de certaines fellations » Face à leurs contradictions, plusieurs des mis en examen tentent d’échapper à leurs responsabilités en invoquant le droit de la première nuit. « Tant que le mari était présent, il n’y avait pas de viol » tente Adrien L., un chef de chantier de 34 ans. Redouan E., un infirmier de 55 ans, estime que son mari « était titulaire de son consentement. »

Derrière ces individus aux trajectoires multiples, les audiences consisteront à décrypter un système de reproduction de la violence, fondé sur la soumission chimique. Dès 2012, sur Coco, une infirmière avait donné à Dominique P. des conseils sur la dose de Temesta à administrer. Dans une forme de solidarité masculine criminelle, le principal accusé reproduisit le même schéma, au point de fournir des comprimés à quatre coaccusés. Parmi eux, Jean-Pierre M., 63 ans, à qui il avait proposé à plusieurs reprises de « viens violer sa femme. » Entre 2015 et 2020, une dizaine de tentatives de viols et de viols auraient été commis par les deux hommes sur l’épouse de Jean-Pierre M., pour lesquels ils sont également mis en examen.

Au cours de ce procès, d’une ampleur inédite pour une affaire de common law, Gisèle P. devra faire face pour la première fois « ces 50 personnes qui l’ont violée et qu’elle ne connaît pas », rappelle ses conseils. « C’est une épreuve que personne n’a jamais vécue. Personne n’a eu autant de violeurs présumés et la découverte des faits devant un tribunal », ajoute-t-il. Les audiences ne devraient pas se dérouler à huis clos. Gisèle P. souhaite une « procès d’entreprise » pour sensibiliser les gens au viol sous l’effet de substances chimiques. Pour que l’illusion de la normalité n’enferme plus jamais les victimes dans la violence pendant si longtemps.

 
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