L’AfD aurait recueilli 33,1% des voix en Thuringe, devant la CDU (24,3%), et 31,4% en Saxe, selon les premiers sondages de sortie.
De notre correspondant à Berlin
Bien qu’opposée dans les médias et rejetée par la classe politique traditionnelle, l’AfD a réalisé une nouvelle percée lors de deux élections régionales dans l’est de l’Allemagne, en Saxe et en Thuringe. Le parti d’extrême droite a récolté près de 30% des voix, arrivant en tête en Thuringe pour la première fois et deuxième en Saxe derrière la CDU (32%), qui gouverne cet État depuis la réunification. « Nous célébrerons cette victoire historique », “C’est un scandale”, a lancé l’homme fort de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke, qui représente la branche radicale du parti et qui a réussi à renverser par les urnes le gouvernement actuel dirigé par le parti de gauche Die Linke. En guerre contre les médias, Björn Höcke a interdit l’accès de son siège aux journalistes.
À Erfurt, capitale de la Thuringe, selon les projections de la chaîne ARD, le score du parti anti-immigrés est en hausse de 7%, contre +2,5% à Dresde. « Le triomphe », tel que caractérisé par le journal Le miroirLa tendance est toutefois moins marquée que celle annoncée ces derniers jours par les sondeurs. Le fait divers tragique de Solingen – un attentat islamiste perpétré par un réfugié afghan en situation irrégulière – ne semble pas avoir particulièrement joué en faveur de l’AfD. Cette dernière réclame une interdiction de toute immigration pendant au moins cinq ans.
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Les trois partis formant la coalition au niveau fédéral, dont la politique est vivement rejetée en Saxe et en Thuringe, dépassent à peine les 13%. Le SPD d’Olaf Scholz parvient tout juste à se maintenir à flot (entre 7% et 8%) tandis que les Verts pourraient perdre leur représentation au parlement du Land de Thuringe. De son côté, le FDP du ministre des Finances Christian Lindner disparaîtra complètement des deux chambres. L’agitation a rapidement atteint le siège de la coalition. Le secrétaire général du SPD, Kevin Kühnert, a exigé d’Olaf Scholz une meilleure communication. « Nous devons faire connaître davantage notre approche politique, écouter ceux qui ne nous suivent pas et en tirer des leçons. La chancelière est l’une d’entre elles. », a prévenu le numéro un du parti social-démocrate.
Victoire du populisme
Hormis l’AfD, un seul parti – qui n’existait pas il y a encore six mois – tire son épingle du jeu. Il s’agit de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), du nom de l’ancienne cheffe du groupe Die Linke au Bundestag, qui a claqué la porte au parti de gauche en début d’année. Utilisant des tons populistes, ce dernier a fait campagne sur le rejet du gouvernement Scholz, dénonçant notamment l’augmentation de la facture énergétique et la livraison d’armes à l’Ukraine. BSW a obtenu respectivement 16 % et 12 % des voix en Thuringe et en Saxe, s’imposant comme une force politique incontournable pour construire des coalitions. Sous le régime du cordon sanitaire, les partis traditionnels allemands ont tous exclu de s’allier à l’AfD.
Les résultats de l’extrême droite, traditionnellement forte en ex-RDA, reflètent la solidité de son establishment. Les aléas de sa fortune semblent désormais insensibles aux campagnes de mobilisation lancées contre elle. L’élan des fortes manifestations de l’hiver dernier, déclenchées en réaction à l’annonce d’un plan secret de « remigration », s’est évanoui. Et lors des élections européennes, la colère de la rue n’avait finalement coûté au parti que quelques pourcentages de voix, sans parvenir à nier sa progression.
Identité “Ossie”
L’Allemagne s’interroge à nouveau sur l’avenir de ses régions mal-aimées, dont la particularité n’a pas été effacée après trente-cinq ans de réunification. Au-delà des inégalités économiques et sociales entre l’Est et l’Ouest, les inégalités « identité osie » (abréviation familière de « Ostdeutscher », « Allemand de l’Est ») continue d’interroger Berlin. « Nous voici sceptiques », « C’est un fait, résume un militant de l’AfD rencontré lors d’un meeting à Bautzen, qui exprime son dédain pour la capitale allemande. Selon une enquête de l’institut Infratest Dimap, 40 % des habitants de l’ex-RDA se définissent explicitement comme « Allemands de l’Est ». Seule la moitié se qualifie d’« Allemands ».
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A court terme, la priorité des partis traditionnels ne sera toutefois pas de panser les plaies mais de construire dans les deux Länder des coalitions gouvernementales qui puissent contourner l’AfD. La tâche est moins difficile en Saxe, où la CDU, arrivée en tête, prendra l’initiative de consulter ses alliés potentiels, à l’exclusion de l’extrême droite.
En Thuringe, les trois partis composant l’actuelle coalition (Linke, SPD, Verts), qui formaient un gouvernement minoritaire au parlement régional, se trouvent dans l’impossibilité arithmétique de renouveler leur union. Avant le scrutin, la CDU avait exclu toute coalition avec la gauche radicale, tout en acceptant de discuter avec son ancienne cheffe de file, Sahra Wagenknecht, dont l’apport de voix ne suffira pas à former une majorité bipartite. En Saxe, où le score de Die Linke dépasse les 10 %, l’équation s’avère tout aussi difficile. Bien que rompus à l’art du compromis, les partis allemands, dont l’influence s’effrite à chaque scrutin, vont devoir effectuer de nouvelles contorsions idéologiques pour obtenir des majorités gouvernementales arithmétiques dont les contours s’annoncent inédits.