C’est d’abord l’histoire d’un méga-contrat de la Sicomines, Sino-Congolaise des Mines, une joint-venture montée dans l’ex-Katanga avec l’entreprise publique congolaise, la Gécamines et le GEC, le Groupement des entreprises chinoises.
L’ancienne présidence Kabila en a été l’architecte. Mines de cobalt et de cuivre contre routes, voies ferrées, etc.
C’était sur le papier, car en réalité : le contrat du siècle était plutôt le casse du siècle, selon Jean-Pierre Okenda, directeur des industries extractives chez Resource Matters : » C’est l’arnaque du siècle. Pour quelle raison ? […] En gros, la Chine s’engage à mettre à disposition une ligne de crédit : 6 milliards de dollars américains. Il a été réduit de moitié après l’intervention du FMI qui craignait une dette, que le projet n’était pas viable. Et donc il y avait cet argent. Et de l’autre côté, la Chine avait besoin d’accéder aux minerais, et donc la RDC a dit qu’elle avait des réserves très, très importantes : à l’époque, la Gécamines estimait les réserves à 10 millions de tonnes de cuivre, 600 000 tonnes de cobalt. Voilà à quoi ressemblait cet accord. »
Un accord resté lettre morte ou presque
Routes, barrages hydroélectriques de Kakobola et Katende, milliers de logements sociaux, 145 centres de santé… Tous ces projets devaient être réalisés. Mais quinze ans plus tard, le montant effectivement investi par la partie chinoise est resté minime, selon Jean-Pierre Okenda : « Nous sommes en 2023 et nous réalisons aujourd’hui que la Chine n’a dépensé que 30%, soit 822 millions de dollars dans les infrastructures. »
Ce chiffre est donné par un rapport officiel congolais. L’Inspection générale des finances a publié un rapport accablant : gaspillage », « vendre », « colonialisme économique “. L’IGF estime que pour Sicomines, les mines katangaises ont été une machine à sous : 10 milliards de dollars.
Le président congolais passe à l’offensive avec Pékin
Une task force dans le cadre d’une commission ad hoc composé de ministres, du cabinet présidentiel et de membres de la société civile a abouti il y a une semaine à un document que nous avons pu consulter.
---Il a été conçu comme une base pour les négociations avec Pékin. Première leçon : Kinshasa veut renverser le rapport de force actionnarial au sein de la Sicomines et passer de 32% actuellement détenu par la Gécamines à 70% pour l’entreprise publique et les autorités congolaises
C’est l’idée maîtresse de la renégociation qui semble être en vue lors de cette visite d’Etat. Même si des sources contactées par RFI au sein de la délégation présente à Pékin affirment qu’il faut plutôt reconstruire la relation sino-congolaise.
La pression est immense sur les autorités congolaises. L’entreprise congolaise qui dénonce ce contrat chinois depuis plus de dix ans, les Occidentaux, les Américains et les Européens ou encore l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Itie) poussent tous pour que Kinshasa reste dans ce cadre de négociations. ” Tout en saluant l’initiative du gouvernement de vouloir renégocier, il est aussi vraiment indispensable de mettre en place des garanties pour qu’au final ces négociations soient bénéfiques au Congo et à l’entreprise publique. », déclare Jean-Pierre Okenda
Vers une indemnisation ?
La RDC pourrait réclamer 2,2 milliards de dollars comme l’exige ce document de négociation. Reste que pour un autre acteur de la société civile congolaise, Jean Claude Mputu de Congo Not for Sale, le timing est loin d’être anodin : « L’arme la plus puissante du pouvoir congolais est sa richesse minérale, notamment stratégique pour la transition énergétique. Donc tous les moyens sont bons pour l’utiliser, pour des raisons électorales […] parce qu’on se rend compte que l’Occident est très prudent sur les élections, il faudrait peut-être éviter de mettre trop de pression sur la Chine, et avoir au moins un allié pour les derniers mois. »
Au-delà de ce contrat, Kinshasa vient clairement de trouver des appuis. Après la rencontre bilatérale de tout à l’heure avec le président Xi Jinping, Félix Tshisekedi se rendra demain chez Norinco, un trafiquant d’armes, puis dimanche chez Huawei à Shenzen avant de quitter Hong Kong à l’issue de cette visite d’Etat.