Invité à l’occasion du prochain AI France Summit 2025, Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d’éthique du CNRS, aborde les usages concrets de l’intelligence artificielle. Les entreprises en font aujourd’hui un usage positif, à condition de respecter les bons dosages.
Les usages de l’intelligence artificielle, notamment par les entreprises, sont désormais ancrés dans la réalité. Partagez-vous cette évolution et cette analyse ?
Jean-Gabriel Ganascia : Il me semble qu’on considère encore à tort que l’intelligence artificielle n’était pas mature. Et c’est le cas depuis plusieurs années. Beaucoup de gens oublient que de nombreuses technologies utilisées depuis longtemps proviennent de l’IA. Je pense par exemple à la reconnaissance de formes et de voix pour les services de dictée. Ces outils sont déjà présents dans les entreprises depuis de nombreuses années. Je pense aussi au langage orienté objet, dont une partie trouve sa source technologique dans les outils de reconnaissance de l’IA, voire les systèmes experts.
De son côté, l’intelligence artificielle générative se révèle très impressionnante. Cela conduit à des projections sur son évolution dans le futur. Je qualifierais même certaines spéculations de très ambitieuses. Certaines d’entre elles se réaliseront mais d’autres ont peu de chances de réussir. mais je découvre chaque jour de nombreuses nouvelles applications intéressantes et pertinentes. Le potentiel est donc là.
Vous ne croyez donc pas à un développement exponentiel de l’IA dans les années à venir ?
Jean-Gabriel Ganascia : Les experts, tout comme les entreprises, se rendent compte que les résultats produits par l’intelligence artificielle, notamment générative, peuvent créer de nombreuses hallucinations. Ce dernier engagera alors la responsabilité de l’établissement ou de l’entreprise qui l’utilise.
Les résultats produits peuvent être hautement spéculatifs. Et certaines intelligences artificielles se comportent comme des perroquets en enchaînant les mots sans les confronter à la réalité des faits. Il est alors possible d’utiliser le RAG (Retrieval-Augmented Generation) pour spécialiser les réponses produites et s’appuyer sur un corpus de référence. Mais la machine ne dit pas toute la vérité.
De nombreux investissements réalisés jusqu’à présent risquent d’être décevants à long terme. Je recommande donc à chacun de faire preuve de prudence car tout ce que nous prévoyons est loin d’être certain de se réaliser.
Cependant, l’intelligence artificielle, notamment générative, devrait se généraliser dans certains domaines et offrir des usages majeurs, notamment dans le domaine de la traduction. Si l’on ne fait confiance qu’à la technologie, alors des dangers peuvent rapidement surgir avec des risques de malentendus.
Les traducteurs pourront toujours relire le travail fourni par l’IA, mais leur tâche sera fastidieuse. La technologie pourrait donc créer des effets néfastes. Si l’idée est de surmonter les barrières linguistiques, il est également probable que l’intelligence artificielle n’atteindra pas pleinement cet objectif.
Numeum met en avant la notion d’usage pharmacologique de la technologie. Vous rejoignez ce poste ?
Jean-Gabriel Ganascia : Je suis entièrement d’accord avec cette position. La technologie constitue à la fois un médicament et un médicament. C’est là que réside la difficulté d’utiliser la technologie. Dans le monde éducatif, par exemple, l’un des sujets majeurs est d’apprendre aux élèves à écrire correctement. Mais cela ne s’apprend pas uniquement en classe. Aussi, les enseignants peuvent utiliser l’intelligence artificielle et conduire à de formidables simplifications. Alors qu’on attend de l’école le contraire des lieux communs. Il faut y apporter de la subtilité.
-Bref, le risque n’est pas que les étudiants trichent mais qu’ils ne sachent plus s’en passer. De son côté, l’Université est faite pour acquérir des connaissances et se développer. Il n’est donc pas impossible de voir réapparaître dans les années à venir des cas où l’IA générative sera interdite.
Une partie de la population a développé par le passé une certaine peur à l’égard de l’IA. Pourquoi ce sentiment a-t-il disparu avec son aspect générateur ?
Jean-Gabriel Ganascia : La particularité de l’intelligence artificielle générative est que la population a la sensation de la toucher du doigt. Elle interagit avec lui sous la forme d’un dialogue, alors qu’avant, l’IA pouvait apparaître obscure, capable de se substituer à un individu.
Mais cette crainte n’a pas disparu. Il continue d’exister mais sous une autre forme.
Est-il encore raisonnable de croire au progrès, notamment technologique ?
Jean-Gabriel Ganascia : Le danger dans le domaine de l’intelligence artificielle est que les acteurs dominent. Ils continuent même d’étendre leur pouvoir. Leur prédominance risque de s’élargir, à l’image de ce que l’on observe avec Elon Musk aux États-Unis. Ma crainte n’est donc pas technologique. Le dernier prix Nobel de chimie attribué aux particules du vivant est un signe clair que la technologie peut mieux prendre soin de la population. En créant de nouveaux médicaments grâce à l’IA. Cela ouvre des perspectives extraordinaires mais cela dépend avant tout des hommes derrière cette technologie.
Mes préoccupations sont donc plus politiques que métaphysiques. Par exemple, le problème n’est pas de créer de fausses informations ou de les profiler pour les diffuser à certaines personnes notamment pour jeter de l’huile sur le feu et encourager certaines catégories de population. Le risque est alors de noyer les internautes sous des informations qui créent un climat extrêmement fort, voire suspect.
Le salon AI France Summit 2025 rassemble cette année encore tous les experts et professionnels de l’intelligence artificielle. Organisé par Numeum, l’événement transversal de référence met en lumière la technologie comme une réalité concrète pour toutes les entreprises de l’écosystème, y compris le numérique. Le thème de cette année est ” Électrifiez le présent de l’IA : ensemble, nous créons« . L’idée est de transformer la vision de l’intelligence artificielle en une réalité qui propulse les ambitions de chacun vers de nouveaux sommets.
Olivier Robillard
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