Le 30 octobre dernier, le gouvernement du Québec a étendu l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. On a appris récemment que cet élargissement du droit avait ses limites. Selon les informations de -, dans deux mois, il n’y aurait eu aucun quoi 119 demandes d’aide précoce à mourir. En effet, dans l’état actuel des choses, l’élargissement ne serait applicable qu’à un très petit nombre de cas, puisque la loi sur l’aide médicale à mourir ne pourrait s’appliquer qu’aux patients éprouvant de grandes souffrances. .
Cependant, comme l’explique la Dre Danielle Michaud, « la plupart du temps, nos patients atteints de la maladie d’Alzheimer ne souffrent pas ». Comme on peut déjà le prédire, ce n’est qu’une question de temps avant que le législateur n’assouplisse encore la loi pour garantir que chaque malade y ait accès. Mais à quel prix ?
Rappelons qu’au début des débats sur le suicide assisté, les « avant-gardes » favorables à la légalisation assuraient constamment que la loi serait limitée aux personnes en fin de vie. Depuis, les provisions n’ont fait que s’ouvrir pour accueillir d’année en année tous les pauvres dans des conditions diverses. Mais réfléchit-on réellement aux conséquences concrètes de telles dispositions, compte tenu de ce qui nous est présenté comme un nouveau consensus collectif ?
Devenez quelqu’unautre
La demande anticipée est un objet juridique pour le moins curieux. Comment une personne peut-elle consentir à être mise à mort, à un moment où elle ne sera plus complètement se? C’est un peu comme si on demandait à un enfant ce qu’il veut faire comme carrière quand il sera grand, et qu’une fois devenu adulte, il se voit obligé de poursuivre son rêve d’enfant, quels que soient les changements. dans sa personnalité qui s’est déroulée au fil de sa maturité et de ses expériences de vie.
Toute comparaison est accusée d’être boiteuse : mais dans le cas de la demande anticipée d’aide à mourir, peut-être sommes-nous dans une situation bien pire que dans notre exemple hypothétique. Quand un homme perd la mémoire, il devient quelqu’un autre. Ce n’est pas pour rien que les proches disent souvent qu’ils ne le reconnaissent plus : c’est parce que la personne âgée n’est, en quelque sorte, déjà plus de ce monde.
Dès lors, comment autoriser la personne lucide à décider à la place du patient qui il deviendra, ce double du futur ? Aussi, dans l’état de lucidité qui précède l’évolution de la maladie, le patient ne peut pas savoir quel type de souffrance il éprouvera en tant que malade. Bien sûr, un médecin peut toujours lui décrire avec des mots ce qui va se passer, mais tant qu’un homme n’éprouve pas de souffrance, les mots ne veulent rien dire. En d’autres termes, personne ne sait ce que c’est réellement de perdre la mémoire avant d’avoir vécu cette expérience (que nous ne souhaitons à personne, bien sûr).
Et rappelons-nous ce fait : les médecins n’ont pas à juger devant un patient ce qu’est ou non une vie digne, quel que soit leur point de vue sur l’état du patient. L’AMM anticipée constitue en ce sens une pression de l’État sur le patient pour qu’il se soumette à ce qu’on attend de lui.
-Nouvelle norme sociale
On peut se poser des questions sur les ambitions réelles de certains membres du corps médical à travers la volonté d’élargir les « soins de fin de vie ». Il est étrange que le nombre de 119 demandes attendues en deux mois soit présenté comme un « petit nombre », comme s’il s’agissait d’atteindre des objectifs de performance. Le bon vieux Weber n’avait pas tort : on n’échappe jamais à la cage d’acier de l’esprit du capitalisme. Une loi qui se présentait initialement comme un acte d’humanité dans des moments exceptionnels devient une nouvelle norme sociale. La grande rupture anthropologique que traverse le monde occidental depuis au moins quarante ans n’a pas que des conséquences heureuses.
En tenant en horreur la souffrance sous toutes ses formes, on risque de désacraliser la vie et de voir la souffrance comme des sortes de fardeaux de la société, coûteux pour le système de santé, et qui serait invité à faire office d’air. La société hédoniste ne tolère pas la souffrance, quitte à neutraliser quiconque ne rentre pas dans l’idéologie de la fête permanente.
Si nous nous soucions vraiment de la condition des patients, nous devrions penser les choses différemment. Avant même de défendre un soi-disant droit de mourir dignement, il faut avant tout défendre vigoureusement le droit de vivre dignement. Un patient souffrant, pris dans une société atomisée et froide, avec des familles disloquées et des institutions médicales chaotiques, peut en effet vouloir quitter ce monde sans demander son repos. Mais l’État et surtout la société dans son ensemble n’ont-ils pas le devoir de faciliter la vie des malades, au lieu de penser d’emblée à leur départ ?
Photo fournie par Philippe Lorange
Philippe Lorange
Étudiante au doctorat en sociologie (UQAM)
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