Les pesticides sont présents dans notre quotidien, dans des proportions que nous ignorons souvent. Il est donc difficile de mesurer le risque, bien qu’il soit réel, d’un lien avec le développement d’un cancer ou d’une autre maladie grave. Pourtant, de nombreuses recherches, comme celles menées par le Centre Léon Bérard, centre de cancérologie de Lyon, établissent clairement ce lien.
Mais qui est assez attentif, dans son quotidien, pour déceler la menace dans les fruits et légumes qu’il s’abstient d’éplucher, dans les répulsifs utilisés contre les moustiques, dans les produits ménagers utilisés pour le soin de bébé ou encore dans les traitements anti-puces de son animal de compagnie ?
Les pesticides sont partout et il est essentiel d’en être conscient pour minimiser notre exposition. Le point sur cette nécessaire sensibilisation avec Émeline Girard, du service de prévention santé environnement du Centre Léon Bérard, à Lyon.
Plusieurs pesticides officiellement reconnus comme cancérigènes
Le lien entre exposition aux pesticides et développement de cancers est-il avéré ?
Oui, un certain nombre de pesticides ont été reconnus comme cancérogènes probables ou certains par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). C’est notamment le cas du lindane, un insecticide pour lequel il a été établi, chez l’homme comme chez l’animal, un lien avéré avec le lymphome non hodgkinien.
Ce n’est pas la seule substance concernée : le DDT, le diazinon et le glyphosate sont respectivement deux autres insecticides et un herbicide, actuellement considérés comme probablement cancérigènes. Pour les autres pesticides pointés, on en est encore à « peut-être probable », ce qui signifie dans la classification du CIRC que des preuves suffisantes découvertes chez les animaux ou des preuves mécanistiques fortes
n’a pas encore été officiellement confirmé chez l’homme.
*Ou comment un agent (qu’il s’agisse de substances chimiques, de facteurs physiques ou biologiques) peut induire des modifications dans les cellules, les tissus ou les organes, conduisant à l’apparition de cancers.
Pourquoi est-il si compliqué d’identifier ce lien ?
D’abord parce qu’il existe une multitude de substances à analyser. Ensuite parce qu’au niveau de la population générale, les expositions sont faibles.
C’est la raison pour laquelle les études du Centre international de recherche sur le cancer se concentrent principalement sur des contextes professionnels, avec des catégories de personnes touchées par des doses bien plus élevées de ces pesticides. Cette population est plus ciblée et donc plus facile à analyser, mais elle n’est pas représentative de la population générale.
Quels sont les groupes à risque ?
Les études récentes menées par le Centre Léon Bérard ont porté principalement sur les territoires agricoles. Ces études ont fait état d’une exposition bien plus importante des professionnels aux pesticides que des populations locales.
Concernant la population générale, les personnes dites « vulnérables » doivent être protégées au maximum : les femmes enceintes tout au long de la grossesse, les enfants qui peuvent être particulièrement exposés en jouant par terre et en mettant les mains à la bouche, les personnes souffrant d’asthme ou allergies.
Cancer et environnement : l’activité agricole en première ligne
Quelles sont les principales sources de pesticides ?
Pour la population générale, cela concerne principalement la nourriture et l’eau, à travers plusieurs origines. La plus connue, sans surprise, reste l’activité agricole, qui contamine les sols, l’eau et l’air.
Mais nous utilisons aussi de nombreux pesticides sans même nous en rendre compte, en utilisant des produits ménagers, en chassant parasites et insectes, en traitant nos plantes d’intérieur ou nos animaux domestiques, en utilisant des herbicides dans notre jardin… Certaines expositions proviennent aussi du traitement des routes, des verts. espaces, équipements sportifs…
Ces expositions sont-elles perceptibles par la population ?
Non, bien au contraire. Une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, baptisée Pesti’Home, a recensé en 2019 plus de 5 400 produits courants disponibles à la vente en France et contenant des pesticides dans les foyers de 1 507 foyers.
Cette étude a également montré que plus de 75 % des ménages utilisaient au moins un pesticide chaque année. Un exemple concret : les anti-moustiques sont utilisés par la majorité de la population, qui oublie qu’il s’agit, fondamentalement, d’un insecticide.
Est-il vrai que c’est aujourd’hui un facteur équivalent au tabagisme ?
Le tabac, premier facteur de risque de cancer en France et dans le monde, est responsable de plus de 17 localisations de cancer. Mais il est encore trop tôt pour se prononcer sur une équivalence, car on ne dispose pas de suffisamment de recul pour estimer la part des cancers liés à l’exposition aux pesticides.
Les substances sont malheureusement trop nombreuses, avec des doses globalement trop faibles. Et si tout le monde est quelque peu exposé, on ne peut actuellement pas calculer la part réellement imputable aux pesticides.
Santé et pesticides : des cancers, mais pas que…
Quels cancers sont susceptibles de se développer ?
Une expertise collective de l’Inserm en 2021, basée sur des études épidémiologiques, a démontré une forte présomption entre l’exposition aux pesticides et le développement d’un lymphome non hodgkinien ou d’un cancer de la prostate. Le doute est également très fort concernant certains cancers de l’enfant, notamment les tumeurs cérébrales et les leucémies qui pourraient être liées à des expositions prénatales sur le lieu de travail.
Des liens ont également été identifiés avec une présomption moyenne pour les cancers du système nerveux et central.
Quel est le mécanisme d’action des pesticides sur les cellules ?
Dans le cas d’une maladie hématologique maligne, comme le lymphome non hodgkinien ou la leucémie, plusieurs mécanismes biologiques peuvent être observés. Le lindane est ainsi suspecté de provoquer un dysfonctionnement génétique des cellules et d’agir comme un agent immunosuppresseur, affaiblissant le système immunitaire.
Autre exemple, révélant cette fois une action indirecte : le chlordécone (pesticide utilisé aux Antilles dans les bananeraies, NDLR) est soupçonné d’avoir un rôle de promoteur tumoral dans le cadre du cancer de la prostate, entraînant une prolifération de cellules cancéreuses. .
Y a-t-il des liens avec d’autres pathologies possibles ?
L’expertise collective de l’Inserm a établi une forte présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et notamment la maladie de Parkinson, ainsi qu’avec les troubles neuropsychologiques et du développement moteur de l’enfant. Il existe également une présomption modérée de liens avec la maladie d’Alzheimer et les troubles anxieux-dépressifs.
Pouvons-nous échapper à l’exposition aux pesticides ?
A notre échelle, nous pouvons réduire nos sources d’exposition en suivant des conseils simples, comme rincer et éplucher soigneusement nos fruits et légumes, consommer des produits contrôlés ou issus de l’agriculture biologique, choisir des produits domestiques parmi les moins risqués, remplacer l’anti-moustique par une moustiquaire. , rester à l’intérieur pendant les périodes de pulvérisation, ou encore choisir des produits écolabellisés pour les jeunes enfants… Chacun, à son niveau, peut donc au moins tenter de minimiser son exposition.
Lisez également notre article sur les liens entre environnement et infertilité.
À SAVOIR
Le Centre Léon Bérard, centre de cancérologie de Lyon, et le Cancéropôle Lyon Auvergne-Rhône-Alpes (CLARA) ont lancé en décembre 2024 la campagne de sensibilisation « Protégeons-nous des pesticides » réalisée en co-construction avec la Métropole de Lyon et ses citoyens. L’objectif de cette campagne est d’aider le public à identifier les sources de pesticides dans la vie quotidienne.
Santé
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