Troisième cause de mortalité par cancer chez l’homme, le cancer de la prostate est connu pour sa lente progression… “jusqu’à ce que ça accélère”souligne le professeur Pascal Rischmann, chirurgien urologue et ancien président de l’Association française d’urologie et de l’Académie nationale de chirurgie, lors d’un point presse. Les interventions médicales se limitent à deux extrêmes pour les cancers localisés : la surveillance active et les thérapies radicales (prostatectomie radicale, radiothérapie, curiethérapie). Bien qu’ils soient intéressants, une désescalade thérapeutique reste nécessaire dans ce cancer pour éviter un surtraitement aux stades intermédiaires.
C’est là qu’intervient une technologie nouvelle mais encore expérimentale : les ultrasons focalisés de haute intensité (Hifu). Cette alternative se situe entre les deux options pour les cancers à risque faible ou intermédiaire. Elle permet de sauver l’organe et de préserver les tissus sains en réalisant un traitement focal. L’onde ultrasonore traverse les tissus sains sans agression puis converge vers l’emplacement cible en le chauffant à la manière d’un laser. La nécrose de la coagulation qui en résulte détruit les tissus, y compris les tissus cancéreux.
Une meilleure continence urinaire
En 2014, la Haute Autorité de Santé autorise la technique pour une étude clinique française, l’essai Hifi., visant à valider la technique Hifu dans le cancer de la prostate. Une dizaine d’années plus tard, la preuve de son efficacité est sans appel : le traitement par ultrasons d’une tumeur de la prostate améliore la survie sans traitement et préserve les fonctions urinaires et sexuelles, une des principales préoccupations des patients. “On est totalement sorti de la phase expérimentale, la technique est validée”se réjouit le professeur Rischmann, chercheur principal du procès.
Les résultats de l’étude sont publiés dans la revue Urologie européenne. Mené entre 2015 et 2019 auprès de 3 300 patients atteints d’un cancer de la prostate à risque faible ou intermédiaire dans 46 centres, l’essai clinique démontre la non-infériorité du Hifu total ou partiel sur le taux de survie sans traitement de sauvetage à 30 mois : 90 % versus 86 % en radical prostatectomie (rapport de risque = 0,71).
Nous sommes totalement sortis de la phase expérimentale
Professeur Pascal Rischmann, chercheur principal de l’essai Hifi
Le score de mesure stricte de la continence urinaire (pas de fuite versus au moins une fuite par jour) était significativement moins dégradé pour le groupe intervention (29 %) que pour le bras témoin (44 %) (risque relatif = 0,66). En termes de fonction érectile, sa perte était moindre sous Hifu.
Une thérapie non ionisante en une seule séance
La thérapie mini-invasive est personnalisable en fonction des sextants concernés et du volume tumoral. L’autorisation délivrée par la HAS imposait de traiter au moins 70 % de la prostate pour garantir la sécurité des patients dans cet essai clinique expérimental. Mais à terme, le but est de traiter la plus petite zone possible (avec des marges de sécurité de 1 cm) pour réduire les effets secondaires.
L’échographie ne dure qu’une séance, soit environ une heure (variable selon le volume traité) alors que la radiothérapie nécessite 30 à 40 séances. « Il est possible de soigner trois à quatre patients en une seule journée »commente le professeur Rischmann. Dans 10 % des cas, les patients nécessitent un traitement de sauvetage, y compris une radiothérapie indiquée au-delà de 70 ans. L’avantage du traitement initial par Hifu est la réduction de la toxicité par rapport à la radiothérapie initiale lorsqu’un traitement de sauvetage est nécessaire (exposition du patient après traitement de sauvetage : respectivement 74 Gray contre 78 à 93 Gy).
Une culture à acquérir
« L’Académie salue les résultats qui montrent que les chirurgiens urologues ne se contentent pas de manier le scalpel » transmet le Dr Hubert Johanet, secrétaire permanent de l’Académie nationale de chirurgie. Il applaudit « l’aboutissement de la validation d’un très long travail, débuté en 2010 ». Le chirurgien viscéral décrit l’étude comme un “beau succès” mais regrette qu’il faille quatorze ans de processus d’évaluation, trop long par rapport à la rapidité du progrès médical. « Nous devons réfléchir aux moyens de faire progresser plus rapidement les innovations majeures »tout en garantissant la sécurité des patients.
Développer le Hifu dans la pratique opératoire, « ce n’est pas une question de formation : c’est une culture »défend le professeur Rischmann. Pour lui, cette culture repose sur trois piliers : une bonne sélection des patients ; la qualité du traitement réalisé par le chirurgien et le suivi du patient qui présente un risque légèrement plus élevé de voir apparaître un autre cancer dans une zone prostatique non traitée (20 %) et pourrait nécessiter une seconde séance. « Avec 1 500 urologues dans la région, l’usage de la technique va se généraliser très rapidement ».
Le chirurgien urologue met également l’accent sur le rôle du médecin généraliste. Il constate que la pratique du toucher rectal est en déclin malgré son importance dans le dépistage. Il alerte également sur le niveau d’information des médecins concernant les évolutions techniques : « Ils n’ont pas encore réalisé l’importance de l’apport de la technologie en Hifu. Ils doivent disposer d’informations claires et leur connaissance de la technique ne doit pas être basée sur des rumeurs. Les médecins généralistes sont en première ligne, ce sont eux que les patients viennent voir, avec leurs questions et leurs inquiétudes.
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