Serge Perrot est rhumatologue et médecin de la douleur à la tête du Centre d’évaluation et de traitement de la douleur de l’hôpital Cochin AP HP à Paris. Professeur de Thérapeutique à l’Université Paris-Cité, il mène également des recherches sur la physiopathologie des douleurs articulaires et les mécanismes d’action des analgésiques au sein du Laboratoire de Physiopathologie et Pharmacologie Clinique de la Douleur (Inserm U987, Boulogne -Billancourt).
Comment décririez-vous votre activité au sein du CETD de l’hôpital Cochin ?
Serge Perrot : Comme je le dis fréquemment à mes étudiants : on ne soigne pas les pathologies, il faut pratiquer une médecine transversale centrée sur l’humain et non sur une somme de paramètres biologiques. Nos patients sont touchés par des maladies complexes, ils arrivent très souvent chez nous au terme d’un parcours compliqué, certains ont même été rejetés par d’autres spécialités. L’enjeu et l’intérêt de mon activité est de donner du sens au parcours de ces patients souvent désespérés. La douleur qu’ils endurent leur apparaît comme un non-sens ou une privation de sens : ils ne comprennent pas pourquoi ils en sont arrivés là, quel est le diagnostic et la cause de la douleur, pourquoi rien ne marche. Je m’efforce de donner du sens à leur parcours, de construire avec eux des soins thérapeutiques qui font sens par rapport à ce qu’ils ont vécu et à qui ils sont. Cela nécessite également d’appréhender et de comprendre les aspects somatiques : quelle est la maladie sous-jacente et son contexte, un cancer évolutif ? en rémission? – quelles sont les dimensions psychologiques ? En effet, de nombreux patients souffrant de douleurs sont des personnes dont le parcours de vie, parfois l’enfance, a été marqué par des traumatismes importants qui sont réactivés par le vécu de la maladie, qu’il s’agisse d’un cancer, de la fibromyalgie, d’une polyarthrite. , etc.
Quel regard portez-vous sur la gestion de la douleur telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en France ?
PS : De nombreux progrès ont été réalisés dans la reconnaissance de l’importance de la douleur et de la nécessité de sa gestion. Des progrès notables ont également été réalisés concernant l’acceptation des traitements opioïdes. Or, on estime aujourd’hui que les centres de traitement de la douleur traitent environ 300 000 personnes, ce qui est finalement très peu comparé aux 8 à 10 millions de personnes souffrant de douleur en France, selon les études. En fait, la médecine de la douleur reste construite comme une médecine de fin de cursus. On voit trop tard des patients qui souffrent de douleurs complexes et réfractaires.
Comment pourrions-nous changer la situation ?
PS : Je pense qu’il faut inverser ce modèle pour que le traitement de ces patients complexes ait lieu beaucoup plus tôt. Les médecins généralistes ont ici un rôle important à jouer en amont. L’évaluation de la douleur prend du -, 30 à 40 minutes, cet exercice doit donc être valorisé au même titre que les consultations spécifiques de médecine générale qui concernent le diabète ou l’insuffisance rénale. Notre organisation des soins doit donc être profondément modifiée pour favoriser une détection précoce avec un recours accru aux outils de dépistage ainsi qu’à la téléconsultation qui peuvent contribuer à atténuer le problème des déserts médicaux et d’une démographie médicale de plus en plus problématique. En effet, le manque de médecins et de personnel paramédical adéquatement formés ainsi que les difficultés budgétaires que nous rencontrons contribuent à ce que ces soins soient encore considérés comme secondaires. Le manque de jeunes médecins véritablement motivés par cette activité constitue pour moi une source d’inquiétude importante pour l’avenir de la médecine de la douleur mais plus largement de la médecine.
Quelle est la place des interventions non pharmacologiques dans la gestion de la douleur ?
PS : On sait aujourd’hui que plus la douleur est chronique, moins les médicaments sont efficaces. Le recours à des interventions non médicamenteuses est reconnu comme pouvant jouer un rôle important car, lorsqu’elles sont utilisées de manière appropriée, elles peuvent aider à calmer le cerveau et à réactiver le corps. Les techniques de thérapies cognitivo-comportementales, hypnose, méditation… associées à une activité physique adaptée permettent de gérer efficacement la souffrance et la détresse psychique et de réactiver les corps meurtris et devenus non fonctionnels.
Related News :