Il y a cette remarque qu’entend parfois Caroline Papelier lorsqu’elle mène des interventions en milieu carcéral : « Nous ne sommes pas des pédés, pourquoi proposez-vous des préservatifs ? » Guide de santé communautaire à l’antenne des Aides de Strasbourg depuis six ans, la trentenaire explique comment, en une à deux heures, évolue le discours des détenus qu’elle rencontre. « Et à la fin de notre intervention, ils sont tous là !renchérit sa collègue Aline Primus, de l’antenne Aides de Mulhouse. “Ils nous disent qu’ils ne partageront plus leurs tondeuses entre eux et qu’ils reviendront se faire tester”ajoute-t-elle.
Depuis 2018, Aides intervient dans trois établissements pénitentiaires d’Alsace dans le but d’appliquer une dimension inscrite dans l’ADN de l’association : la santé communautaire. « C’est l’idée d’impliquer les gens dans la réflexion, de pouvoir analyser leurs besoins grâce à eux et avec eux. Une forme d’autonomisation en matière de santé »traduit par Riad Drissi, coordinateur d’Aides en Alsace et membre de l’association depuis dix ans.
« Il y a urgence que la loi soit appliquée »
Dans la prison centrale d’Ensisheim, au centre pénitentiaire de Lutterbach et au centre de détention d’Oermingen – où les détenus purgent des peines de plus de deux ans – Aides Alsace, qui compte sept salariés et une quarantaine d’agents, mène des actions dans des lieux où les personnes incarcérées ne sont plus seulement un numéro de prison. “Un nom, un prénom, c’est plus valorisant”souligne Riad Drissi. Des actions qui tentent également d’établir des protocoles de réduction des risques (RDR), dont le principe d’équivalence des soins entre milieux ouverts et fermés a été inscrit dans la loi santé de 2016… Huit ans plus tard, le décret d’application n’a toujours pas été publié, suscitant 17 les associations, dont Aides, à réagir. En janvier dernier, devant le ministère de la Justice, ils ont manifesté pour réclamer l’application du volet pénitentiaire de la loi.
Pour Florian Valet, administrateur d’Aides et référent prison au sein de l’association, il s’agit « une question d’urgence sanitaire ». « Malheureusement, en prison, nous savons que les gens ont six à dix fois plus de risques d’être infectés par le virus VIH. Parce que le virus circule et qu’il y a beaucoup de comportements à risque”il décrit. Et pour continuer : « Un tiers des personnes qui entrent en prison ont un problème de dépendance autre que le tabac. Il est urgent que la loi soit appliquée.» En Alsace, les actions des Aides en milieu carcéral sont subventionnées par le coordonnateur régional de lutte contre l’infection par le VIH (CoreVIH Grand Est), qui a répondu en 2017 à l’appel à projets de l’agence régionale de santé sur « la réduction des risques et des nuisances en détention provisoire ». centres ». Le projet bénéficie d’un financement dédié de 450 000 euros. En France, le Grand Est est la seule région à proposer un tel dispositif dans les vingt-quatre établissements pénitentiaires répartis entre l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne.
« Un travail de longue haleine »
Malgré cette coordination régionale, l’application du RDR derrière les barreaux ne doit parfois son salut qu’à la bonne volonté des administrations pénitentiaires et des unités de soins. « Que nous mettons à disposition un kit « Roulez votre paille »» [quinze feuilles destinées à être roulées pour sniffer, ndlr] ou un kit de seringues stériles, cela peut être vu comme une incitation, là où la prison se concentre davantage sur le sevrage »soupire Caroline Papelier. « Le débat se cristallise autour du programme d’échange de seringues même si en détention, il ne touche finalement que peu de personnes »complète le Riad Drissi. Il note un “un travail de longue haleine” au personnel pénitentiaire : « Aujourd’hui, les superviseurs sont plus disposés à parler de réduction des risques. Et ils comprennent mieux le sens de notre arrivée en prison, nous disent-ils.
Il n’en reste pas moins que les conditions d’accès à cette réduction des risques en détention ne sont pas suffisantes. Et pour les militants, les obstacles ne se cachent pas dans les difficultés financières : “Un kit de seringues stériles ne coûte que 83 centimes pièce, c’est définitivement un problème politique”estime Riad Drissi. Sa collègue Caroline Papelier coupe court : « La prison est censée être un espace de privation de liberté et non un lieu de punition supplémentaire. »
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