Dans son dernier ouvrage, La tyrannie du cerveauJean-Jacques Hublin explore les chemins suivis par l’évolution humaine à travers le prisme de l’étude du cerveau humain. Il soutient la thèse selon laquelle l’augmentation de la taille du cerveau nécessitait une quantité toujours croissante d’énergie pour le nourrir, ce qui obligeait l’homme à modifier considérablement son environnement pour extraire cette énergie. Que nous apprend l’étude du cerveau sur notre espèce et nos comportements ?
Le paradoxe du cerveau humain
Jean-Jacques Hublin met en évidence un paradoxe : l’être humain est le primate qui possède le plus gros cerveau à l’âge adulte et en même temps celui qui, à la naissance, en possède le plus petit en proportion. Le paléoanthropologue voit dans ce paradoxe une forme de « compromis » trouvé par la sélection naturelle qui consiste à échelonner la croissance du cerveau pour assurer ses nombreux besoins énergétiques. Le besoin de cet apport énergétique considérable rend l’espèce particulièrement dépendante de ressources alimentaires riches en calories : « ce qui veut dire que nous aimons le gras, le sucre, que nous mangeons de la viande et que nous nous sommes transformés en primates prédateurs. Pendant longtemps, les hommes ont chassé des proies bien plus grosses qu’eux, ce qui n’est « pas le cas des chimpanzés par exemple »note Jean-Jacques Hublin. De la même manière, les outils en pierre et la cuisine ont transformé « Nos singes prédateurs deviennent des singes cuisiniers. C’est aussi une des clés pour économiser de l’énergie sur la digestion et la mastication, énergie qui a été immédiatement réinvestie dans notre cerveau »ajoute-t-il.
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La coopération au service des besoins du cerveau
La grande quantité d’énergie requise par le cerveau explique également pourquoi les humains ont une consommation d’énergie au repos bien plus élevée que celle trouvée chez les autres grands primates. Avec la croissance prolongée des enfants, poursuit Jean-Jacques Hublin, « Les adultes des sociétés de chasseurs-cueilleurs sont obligés d’extraire de l’environnement bien plus d’énergie qu’ils n’en ont personnellement besoin. Un chasseur-cueilleur extrait environ deux fois plus d’énergie de l’environnement pour subvenir aux besoins des enfants et des personnes âgées. ». Si l’on suit le paléoanthropologue, la sélection naturelle s’est appuyée sur la coopération et le partage pour que l’homme redistribue les fruits de sa récolte et contribue à la perpétuation de l’espèce. Donc, « Les hommes sont capables, pour le meilleur ou pour le pire, de développer des réseaux de coopération. Localement d’abord, puis, au cours de l’évolution humaine, ces réseaux s’étendent de plus en plus pour que nous nous sentions solidaires de personnes que nous ne connaissons pas, que nous ne connaîtrons jamais, mais avec qui nous partageons des croyances, des valeurs, une langue, une religion, etc..
L’être humain, architecte et victime de sa propre évolution biologique
Cependant, le destin évolutif a poussé l’homme à transformer son environnement à tel point qu’il crée aujourd’hui les conditions de sa propre destruction. Avec son œil de paléoanthropologue, Jean-Jacques Hublin trouve néanmoins extraordinaire qu’en quelques générations « Les hommes ont pu prendre conscience du changement climatique et agir ». Ce qui le fascine, c’est que les transformations de l’environnement que l’homme génère rétroagissent sur son évolution biologique. « Par exemple, le développement de l’agriculture a modifié notre génome. De ce point de vue, on peut dire que l’homme a, d’une certaine manière, machiné l’évolution de son propre cerveau. »il maintient.
Ce faisant, il estime que la réduction de la taille du cerveau observée chez l’homo sapiens au cours des derniers milliers d’années est liée au développement de sociétés hiérarchisées et complexes, dans lesquelles existe une grande division des tâches. « Nous sommes passés d’un monde où les peintres des grottes de Lascaux possédaient tout le savoir et le savoir-faire de l’époque, à un monde où chaque individu possède une petite partie du savoir-faire et du savoir ». Le passage d’un mode de fonctionnement individuel à l’intelligence collective serait donc pour Jean-Jacques Hublin la raison pour laquelle le cerveau humain a diminué de taille.
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