Au Luxembourg, les besoins en soins du TDAH dépassent largement les ressources disponibles. A la Clinique de l’Attention, les admissions sont suspendues depuis 18 mois, tandis que le SCAP déborde.
Encore mal compris, voire décrit comme un « diagnostic à la mode », le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) peine à être correctement pris en charge. Pourtant, les connaissances sur ce trouble d’origine neurologique touchant 6 % des enfants et près de 3 % des adultes sont aujourd’hui solides.
La neuropsychologue Estelle Thilgen, qui a lancé en 2021 la Clinique de l’Attention – une équipe de cinq personnes – au sein du CHNP d’Ettelbruck, balaie les préjugés et invite à changer notre regard sur ce trouble.
Que savons-nous aujourd’hui du TDAH ?
Estelle Thilgen : Pendant longtemps, seule l’hyperactivité était prise en compte, mais il est désormais établi que le TDAH recouvre un ensemble de troubles des fonctions exécutives. Ceux que nous utilisons au quotidien pour réaliser des tâches, planifier, séquencer, prioriser, prendre des décisions, être flexibles ou anticiper.
Et cela inclut une dérégulation neurobiologique qui entraîne des difficultés d’attention, de concentration, d’organisation et de gestion du temps. Nous savons que l’hérédité est en cause et que de multiples facteurs influencent les symptômes et la gravité. L’éducation n’a rien à voir là dedans ! L’origine biologique ne fait aucun doute. Le TDAH apparaît également en imagerie lorsqu’on analyse les IRM d’un groupe donné : la structuration du cerveau, comme l’activation des zones, s’avèrent différentes.
Concrètement, que se passe-t-il dans le cerveau ?
En fait, les personnes atteintes de TDAH peuvent se concentrer. Parfois même de manière intense et prolongée – ce qu’on appelle hyperfocus – lorsqu’ils s’intéressent à un sujet. Ils ont simplement du mal à contrôler leur attention, un peu comme s’ils n’avaient pas le contrôle.
Leur cortex préfrontal, responsable des fonctions exécutives et de l’autorégulation, ralentit en raison d’un manque de dopamine. D’où une grande distraction ou impulsivité ou hyperactivité, trois signes du TDAH.
Pourtant, ces personnes ont un énorme potentiel, elles sont atypiques ! Même si certains de leurs symptômes peuvent être débilitants, ils possèdent de nombreuses compétences qui sortent vraiment de l’ordinaire.
Ces « symptômes« sont en réalité des caractéristiques et des qualités qui s’expriment de manière extrême. Le traitement sert également à rendre tout ce potentiel plus accessible. Ces gens ont des capacités incroyables à résoudre des problèmes, pensez « hors de la boîte« ils ont une perception différente des choses et s’impliquent à 200% dans les domaines qu’ils aiment.
Le TDAH peut-il progresser ?
Les symptômes sont présents dès l’enfance et persistent jusqu’à l’âge adulte. C’est surtout leur impact qui évoluera, avec l’âge, et selon les situations de vie. Une personne TDAH qui vit seule peut bien gérer ses difficultés.
En revanche, les choses peuvent se compliquer en couple, au travail, ou lorsqu’on devient parent, face à de nouvelles responsabilités. Là-bas, le TDAH peut devenir un handicap au quotidien. Ce qui incite alors à consulter.
Ateliers dans quatre lycées
L’association Aldic, qui promeut des initiatives dans les domaines de la jeunesse, de la culture, des arts et de l’éducation, se concentre également sur le TDAH, à travers son projet « ADHD Unmasked ». Conçu avec un psychologue, il se décline en plusieurs ateliers comprenant des jeux de rôle, des simulations ou encore des stations sensorielles.
Objectifs : briser les préjugés, favoriser le dépistage précoce du TDAH, informer sur les différentes caractéristiques du TDAH et leurs manifestations selon le sexe. De décembre à juin prochain, l’équipe visitera différents lycées de la capitale – quatre déjà fixés – pour sensibiliser les élèves, les parents et les enseignants au TDAH.
Les établissements intéressés peuvent écrire à [email protected].
Nous entendons dire que le TDAH est « une mode« . Est-ce ce que vous voyez ?
Certainement pas. Nos chiffres révèlent que 80 % des personnes qui nous consultent voient leur diagnostic de TDAH confirmé par la suite. Souvent, ils ont atteint un tel niveau de difficulté qu’ils ont désespérément besoin d’aide.
Si la demande est énorme aujourd’hui, c’est principalement parce qu’avant 2021 et la création de notre clinique, aucun service ne traitait le TDAH chez l’adulte au Luxembourg.
Est-ce cette forte demande qui a conduit à la suspension des admissions ?
Oui. Il y a un an et demi, nous avons dû fermer la liste d’attente, sachant que nous n’avons pas les ressources suffisantes pour faire face, et que certaines personnes attendent déjà depuis deux ans. Nous sommes dans une phase active de recrutement depuis plusieurs mois, afin de composer une équipe multidisciplinaire que nous espérons réunir en 2025. Nous venons seulement d’accueillir cette semaine une nouvelle psychologue.
A qui faut-il alors s’adresser ?
Vous pouvez vous adresser à des cabinets privés, ou encore contacter le Treffpunkt ADHS, qui regroupe des spécialistes bénévoles du TDAH, dont je suis membre, et sensibilise le public. Là aussi, nous sommes submergés de demandes d’informations et d’orientation vers des professionnels. C’est une tendance que l’on observe partout, pas seulement au Luxembourg.
Comment traite-t-on le TDAH ?
Le traitement est très efficace. Cela comprend l’administration d’un médicament, le méthylphénidate, et un coaching pour apprendre à mieux gérer votre TDAH. La psychoéducation permet de savoir comment fonctionne votre cerveau et comment le motiver, grâce à des stratégies de compensation.
Le médicament est un psychostimulant qui permettra de mieux utiliser la dopamine disponible afin que le cortex préfrontal fonctionne bien. Ce qui a aussi un effet protecteur, car cela empêche de rechercher une stimulation par des addictions : alcool, drogues, sucre, jeux, recherche de risques, etc.
Les médecins sont-ils correctement formés ?
Non, malheureusement, il reste encore beaucoup de travail d’information à faire pour mieux comprendre ce qu’est le TDAH dans la vie quotidienne des gens, comment il se manifeste selon les âges et les formes qu’il prend chez la femme. . Il existe de nombreuses idées fausses.
On a dit aux patients qu’ils ne pouvaient pas souffrir de TDAH parce qu’ils avaient bien réussi à l’école, par exemple. Nous organisons des événements dédiés aux professionnels de santé, et ils connaissent un certain succès. On observe une réelle envie de se former sur le sujet.
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Plus de 1 000 demandes cette année
A la SCAP, capable d’accueillir 150 à 200 enfants par an, la situation est de plus en plus tendue.
Quant à la prise en charge des enfants atteints de TDAH, centralisée au Service de consultation et d’accompagnement pour les troubles de l’attention, de la perception et du développement psychomoteur (SCAP), la situation devient critique. L’équipe fait tout son possible pour absorber les nouvelles demandes, mais manque de ressources.
Alors qu’en 2023, la SCAP comptait 400 à 500 demandes d’admission, celles-ci sont passées à plus de 1 000 cette année. Bien au-delà des 150 à 200 familles que l’équipe est capable de prendre en charge. « Nous avons décidé de ne plus maintenir de liste d’attente, mais d’ouvrir les admissions une fois par trimestre. En quelques minutes, toutes les places sont occupées», explique Eva Bodenröder, directrice adjointe de la SCAP.
Face à cet afflux, couplé à la difficulté de recruter du personnel – le secteur psychosocial est frappé par une grave pénurie de main d’œuvre –, le service tente de s’adapter tant bien que mal. « Nous sommes toujours à la recherche de personnel supplémentaire et nous sommes également en train de repenser notre concept, pour voir quelles thérapies ont le plus d’impact, mais cela prend du temps. » En attendant, les parents peuvent toujours contacter le SCAP pour obtenir de précieux conseils et orientations.
Des soirées d’échanges ouvertes à tous sont également organisées régulièrement pour que les familles puissent discuter avec l’équipe et se sentir moins seules. La prochaine réunion dédiée aux troubles de la concentration chez l’enfant est prévue le mardi 12 novembre à 18 heures au SCAP, 21 rue Léon-Laval à Leudelange (inscription en ligne).
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