– Œdipe, marionnette tragique de son propre destin
Sur la scène de la rue Rodo, le héros mythologique est une marionnette docile manipulée par six mains réunionnaises selon la technique japonaise du bunraku.
Publié aujourd’hui à 17h04
Un magnifique défi relevé par le Marionnettes de Genève: ouvrez les yeux des pré-adolescents sur un épisode clé de la mythologie grecque. Pour cela, la scène de la rue Rodo accueille une troupe réunionnaise, la Théâtre Albertavec qui « Œdipe, etc. », détourne le texte de Sophocle au profit d’un spectacle empruntant à la tradition japonaise du bunraku. Comprendre : la manipulation par trois marionnettistes à vue d’une poupée qui actionne autant de baguettes discrètes.
« Tu es le père et le frère de tes enfants, le fils et le mari de ta mère, le meurtrier de ton père. »
Le devin Tirésias s’adressant à Œdipe
Œdipe parle à tout le monde, et pas seulement à cause du complexe universel que Sigmund Freud y a identifié. Si le metteur en scène Vincent Legrand donne à la tragédie une lecture de marionnette, c’est parce qu’il souligne avant tout sa portée fatidique. « Le héros fait tout pour échapper à son cruel destin, et, en voulant l’éviter, il y parvient », résume l’adaptateur. Brisant les carcans du déterminisme, tout spectateur âgé de 9 ans et plus a, à juste titre, de quoi s’inquiéter.
Prophétie fatale
Tout le drame du jeune homme est en fait dû à l’oracle prononcé à sa naissance. Celui qui prédit au souverain de Thèbes et à sa femme Jocaste que leur bébé assassinera son père et s’unira à sa mère. Sans cette prophétie, ses parents effrayés n’auraient pas abandonné leur fils. Cette dernière n’aurait pas été collectée par le roi et la reine de Corinthe. Ayant appris le présage, l’adolescent n’aurait pas fui pour épargner ses parents adoptifs. Enfin, il n’aurait pas commis dans l’ignorance le parricide et l’inceste qui donneraient raison au présage.
Pythie, sphinx et devin contrôlent donc ensemble le destin du pauvre Œdipe. En traduction scénique, les devins s’appellent Agnès Bertille, Alexis Campos et Damien Lazartigues, qui donnent vie, souffle et mouvement à la marionnette du destin. Mais les trois acteurs, les « etc. du titre, font bien plus que filer un destin. Dans un décor évoquant l’Antiquité, ils interprètent tous les autres personnages de l’intrigue, en assurent la narration chorale avec humour et distance, et utilisent poétiquement les coiffes, masques et autres accessoires mis à leur disposition par les dieux du plateau.
Or, parce que nous sommes au théâtre, cette relecture du mythe s’adresse principalement aux sens, qui jouent également un rôle crucial dans les aventures œdipiennes. L’aveuglement du criminel ne s’explique-t-il pas avant tout par le silence de ses aînés ? Si Œdipe n’a rien vu venir, c’est qu’il n’avait pas le droit d’entendre ! Il doit attendre d’avoir commis le pire pour que Tirésias le révèle : « Tu es le père et le frère de tes enfants, le fils et le mari de ta mère, l’assassin de ton père. » Ne cachez jamais leur histoire aux enfants ! semble recommander entre les lignes la fable immémoriale.
La pépite de l’océan Indien ne l’oublie pas. Aussi, pour l’oeil, il baigne les matières premières de la scénographie et des costumes de lumières chaudes au point d’être palpables. Tandis que pour l’oreille, son trio d’interprètes ponctuent le récit de chants polyphoniques capables de résonner à travers les époques et les territoires. Il est certain que les jeunes ont un impact.
« Œdipe, etc. »jusqu’au 11 février. au Théâtre de Marionnettes de Genève, www.marionnettes.ch
Katia Berger est journaliste à la section culturelle depuis 2012. Elle couvre l’actualité du spectacle vivant, notamment à travers des critiques de théâtre ou de danse, mais traite aussi parfois de la photographie, des arts visuels ou de la littérature.Plus d’informations
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