Près de dix ans que l’équipe du chercheur en neurosciences Pierre Gagnepain amorçait sa plongée dans les dédales du cerveau des survivants des attentats du 13-Novembre. Depuis 2015, nombre d’entre eux souffrent d’une forte anxiété et restent hantés par des pensées intrusives – également appelées flashbacks – d’images, de sensations, de sons ou d’odeurs associés au traumatisme. Cela se traduit souvent par des troubles de l’humeur, de l’attention, de la concentration ou du sommeil. Mais dans le monde scientifique, ce trouble de stress post-traumatique (SSPT) reste entouré de mystère. Pourquoi certaines personnes le développent et pas d’autres ? Que se passe-t-il réellement dans le cerveau ?
Dans l’espoir d’apporter des réponses, une centaine de volontaires ont accepté de se soumettre, trois fois en dix ans, à une série d’examens cérébraux sous l’impressionnant appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Le 8 janvier, les chercheurs de cette étude baptisée Remember – qui s’inscrit dans le cadre du programme plus vaste 13 novembre mené par l’Inserm et le CNRS dont l’objectif est d’étudier les mémoires collectives et individuelles des attentats – ont publié leurs derniers résultats dans la revue Avancées scientifiques. Si les images de l’activité cérébrale ont permis de découvrir que les personnes atteintes de ce trouble sont celles qui ne parviennent pas, via des mécanismes de contrôle, à inhiber les pensées intrusives, elles ont surtout révélé que ce dysfonctionnement n’est pas permanent. : chez les personnes guéries, la plasticité de ces mécanismes redevient normale et fonctionne à nouveau. Pour Pierre Gagnepain, chercheur en neurosciences au centre d’imagerie Cyceron de Caen et responsable scientifique du programme Remember, cette étude pourrait notamment ouvrir la voie à de nouvelles thérapies.
Jusqu’à présent, que savait-on du syndrome de stress post-traumatique ?
Au départ, cela était perçu comme une difficulté d’apprentissage : imaginez que vous avez peur des araignées et qu’un matin, vous tombez nez à nez avec une araignée dans votre cuisine. Vous aurez peur, mais le lendemain, en revenant, vous vous rendrez compte qu’elle n’est plus là. Votre mémoire sera donc mise à jour avec ce nouveau contexte sans danger. Pour une personne dont l’apprentissage fonctionne normalement, ces nouveaux souvenirs (de l’absence de l’araignée et du danger) écraseront les anciens. Le SSPT serait alors un problème d’effacement de cette mémoire de peur par de nouvelles situations. Mais cette théorie n’explique pas pourquoi certaines personnes développent ce trouble et d’autres non.
Notre hypothèse s’est plutôt portée sur la difficulté du cerveau à bloquer et à inhiber l’image intrusive. Exemple : si vous travaillez et que d’un coup vos souvenirs de vacances viennent vous perturber, vous aurez besoin d’un mécanisme pour vous recentrer et ignorer ces pensées. C’est une forme d’oubli actif. Et si, chez les personnes qui développent un SSPT, l’émergence de souvenirs négatifs dans des contextes inappropriés provenait d’une incapacité à les bloquer et à les faire taire ?
Comment avez-vous fait pour étayer cette hypothèse ?
Nous avons implémenté une tâche « penser/ne pas penser », également appelée tâche de suppression de mémoire. Le principe est simple : on demande aux gens d’apprendre par cœur des paires de stimuli, par exemple le mot « table » avec l’image d’un ballon. Ainsi, si l’on présente le mot « table », c’est l’image du ballon qui surgit automatiquement. Pendant la condition « penser », les gens doivent visualiser l’objet associé avec autant de détails que possible. Dans la condition de « non-pensée », au contraire, ils doivent tout faire pour maintenir l’attention sur la parole et empêcher que l’image surgisse en vidant leur esprit. En 2016, nous avons observé que cette fonction d’inhibition cérébrale était parfaitement préservée chez les personnes n’ayant pas développé de SSPT, mais qu’elle était complètement altérée chez les personnes qui en souffraient.
-Mais selon les résultats de votre étude publiés le 8 janvier, cette altération n’est pas immuable…
Il a en effet été observé que ces mécanismes revenaient à la normale chez les personnes en rémission. Sauf qu’il était difficile de savoir précisément s’il s’agissait d’une cause ou d’une conséquence. D’après nos résultats, il semble que l’amélioration de ces mécanismes présage de la réduction future des souvenirs intrusifs du traumatisme.
Au-delà de la réduction des symptômes, la résilience est aussi la capacité du cerveau à limiter les effets négatifs du stress. En s’intéressant à l’hippocampe, région très sensible aux effets du stress, il a été observé que chez les personnes souffrant d’un ESPT chronique, son volume avait tendance à diminuer. Autrement dit, être stressé et avoir peur tout le temps pendant cinq ans avait réduit la taille de l’hippocampe, ce qui permet de bien séparer les souvenirs et d’éviter que le souvenir de la peur surgisse dans des situations apparemment évidentes. sûr. Mais on a surtout découvert que son atrophie s’était interrompue en même temps que le SSPT. Au fond, rien n’est gravé dans le marbre. Nous n’allons pas souffrir toute notre vie. Et si ces mécanismes sont dynamiques, cela signifie que nous pouvons les développer et les renforcer pour nous protéger.
Ce qui signifie que l’on pourrait imaginer de nouvelles approches dans le traitement du SSPT ?
Assez. Actuellement, la plupart des traitements se concentrent sur la réexposition au traumatisme. Nous cherchons à revivre l’événement traumatisant pour en modifier le sens et atténuer la réponse émotionnelle. Nos résultats suggèrent que nous pourrions compléter ces traitements existants en stimulant les mécanismes de contrôle et d’inhibition, sans avoir besoin de nous référer à des images émotionnelles ou traumatisantes.