Les démences neurodégénératives sont un groupe de maladies dans lesquelles on observe la mort progressive des neurones, associée à une profonde modification des fonctions cognitives. Parmi elles, la démence frontotemporale (DFT) : elle touche environ 1 à 10 personnes sur 100 000 et est marquée par une dégénérescence du lobe frontal et parfois temporal, associée à des troubles de la personnalité, du comportement et du langage.
Dans la mesure où les patients ignorent leur état et ne recherchent pas de soins, la maladie est difficile à détecter. Il est désormais nécessaire de mieux comprendre les processus dégénératifs qui sont à l’origine de la grande variété de symptômes cognitifs et comportementaux observés chez ces patients, dans le but de diagnostiquer le plus tôt possible et d’éviter de confondre la DFT avec des maladies psychiatriques (dépression, trouble bipolaire, TOC, etc. .) ou d’autres démences.
L’organisation des réseaux cérébraux
« L’émergence de fonctions cognitives et comportementales – comme la prise de décision, le langage ou la réponse à des stimuli sensoriels – n’est pas simplement due à l’activation de certains réseaux cérébraux, mais à leurs synergies », explique Arabella Bouziguesdoctorant. « Or, ces interactions sont modifiées dans la neurodégénérescence, et notamment dans la FTD. Nous voulions comprendre comment. »
Au Brain Institute, Arabella Bouzigues, Lara Migliaccio et leurs collègues ont entrepris d’explorer l’organisation de ces réseaux chez 77 patients et 52 sujets sains, à l’aide de méthodes d’IRM fonctionnelle qui permettent d’étudier des « gradients ». » – c’est-à-dire les transitions spatiales entre les différents réseaux cérébraux – et leur hiérarchie au sein du fonctionnement cérébral.
Les chercheurs ont ainsi observé que, chez les individus sains, un premier gradient distingue clairement le réseau sensorimoteur, chargé d’optimiser les mouvements et d’interpréter les sensations, du réseau dit « mode par défaut », qui se produit lorsqu’un individu est au repos. Ensuite, un deuxième gradient sépare le réseau visuel et le réseau dit de « saillance », qui priorise les informations pour sélectionner celles qui sont pertinentes pour mener une action.
A l’inverse, chez les patients atteints de démence frontotemporale, cette organisation est fortement perturbée, avec des dynamiques différentes selon la forme de la maladie. Dans les variantes dites « linguistiques » de la FTD, les altérations fonctionnelles étaient focales, et principalement localisées au niveau des gradients limbiques et sensorimoteurs. En revanche, dans la variante dite « comportementale », toute la hiérarchie des gradients était affectée. Enfin, dans toutes les formes de la maladie, le réseau visuel semble compenser les déficits cognitifs et comportementaux.
De nouveaux biomarqueurs de la maladie ?
“L’un des aspects les plus surprenants de ces résultats est que la répartition des réseaux altérés ne se superpose pas à celle de la dégénérescence cérébrale”, explique Arabella Bouzigues. « En d’autres termes, c’est l’incapacité des différents réseaux à collaborer qui détermine la gravité des symptômes, et pas seulement la mort des neurones provoquant une atrophie cérébrale. »
A terme, on peut espérer que ces marqueurs fonctionnels de la démence frontotemporale permettront de détecter précocement la maladie, de suivre son évolution, voire de définir de nouvelles cibles thérapeutiques.
« Cette perspective est très enthousiasmante dans la mesure où les choses progressent sur le plan thérapeutique dans diverses maladies neurodégénératives : thérapie génique pour la sclérose latérale amyotrophique, nouveaux traitements anti-amyloïdes récemment approuvés en Europe pour la maladie d’Alzheimer… le diagnostic précoce prend enfin tout son sens, » conclut Lara Migliaccio. « Comprendre l’organisation du cerveau va désormais au-delà des simples connaissances théoriques : elle peut orienter directement le développement de nouveaux traitements, et servir de marqueur pour évaluer leur efficacité. »
Financement
Cette étude a été financée par la Fondation Recherche Alzheimer et la Fondation Vaincre Alzheimer.
Image d’en-tête
Giorgio de Chirico, Hector et Andromaque, 1970. Collection du Palais Pallavicini.