Aux prises avec un système immunitaire « devenu fou », Emmy Vande Rosieren a découvert de l’intérieur les limites d’un système de santé souvent débordé.
Emmy Vande Rosieren
Étudiant en journalisme à l’Université de Montréal
Le trou noir, ce sentiment que le monde m’aspire : c’est ainsi que je me suis retrouvé sur une civière à l’Hôpital général de Montréal, un mercredi à minuit.
Le tri, première étape : vous recevez un code de priorité, une couleur qui détermine la gravité de votre état. Me voilà assise dans un fauteuil roulant, reléguée dans un coin, aux côtés d’une femme qui, l’air livide, expulse péniblement son souper dans une bassine.
Après 10 heures d’attente et quelques analyses de sang, un premier médecin apparaît, ou devrais-je dire un automate ? Serait-ce l’intelligence artificielle qui aurait pris le dessus ?
Tout est mécanique : chaque phrase semble calculée pour être efficace. Je passe des examens sans un mot d’explication. Un autre tour d’horloge, puis un gastro-entérologue frappe à la porte. Des mots qui se veulent rassurants sortent de ses lèvres : « Tu es trop jeune pour le cancer, je doute que ce soit ça… » Rassurant, ai-je dit ? Mon estomac ne semble pas d’accord alors qu’il accueille la descente de mon cœur. Après 20 heures d’attente, une coloscopie prévue le lendemain, je quitte enfin les lieux.
C’est d’une main rassurante que tombe le diagnostic : colite ulcéreuse. On m’a prescrit les premiers soins, pas moins de 13 comprimés par jour !
Me voilà de retour chez moi, seul face à mon casemate et à mon diagnostic. Les jours passent et mon état se dégrade. Un samedi matin, je me suis réveillé, incapable de bouger, en proie à une violente fièvre. Mon copain doit me porter aux toilettes. Le sentiment de mourir m’envahit, la panique monte : vais-je tenir jusqu’à mon rendez-vous de lundi ? D’après le 911, je n’ai pas le choix.
Retour à l’hôpital
Une coquille vide, c’est probablement à quoi je ressemblais à mon arrivée à l’Hôpital général de Montréal. Je déambule dans les couloirs en fauteuil roulant, poussée par mon copain qui a les mêmes cernes que moi. Encore cette main rassurante : « Nous allons vous hospitaliser. » Un sourire m’échappe, vite remplacé par la désillusion de ce qui suit : un retour au triage, en attente d’une chambre.
Une infirmière au ton sec prend le relais. Sans un mot, il me met brutalement un cathéter. Il échoue, recommence. Mes larmes coulent sans retenue.
Des bleus commencent à apparaître sur ma peau, témoins du temps qui s’étire à l’infini. La perte de sang augmente, mais toujours aucune trace de pièce. Quinze heures plus tard, une femme me suit jusqu’aux toilettes : « Je suis le médecin, nous allons parler. » Épuisé, mon copain s’effondre : « Ça fait presque 20 heures qu’on attend, il nous faut une chambre. » Avec un dédain glaçant, elle rétorque : « Regardez autour de vous, tout le monde attend. » Deux heures plus tard, on me trouva une chambre provisoire en ambulatoire. Enfin un peu de répit…
Je n’ai jamais excellé dans l’art de la séduction, mais lorsque cinq départements se présentent devant vous, il faut retrousser ses manches et tenter de les convaincre de vous emmener à leur étage. « Tu es trop jeune. » « Tu perds trop de sang. » » Ce sont les propos lâchés, presque innocemment, par des résidents qui, sans le savoir, ignorent encore l’impact que leurs propos peuvent avoir sur un patient. Après deux jours passés sur une civière, entre une chambre improvisée et les couloirs bondés de l’hôpital, les mots tant attendus tombent enfin de la bouche d’un vieil homme : « Vous avez une chambre, en médecine interne. » Je reviens à la vie, brûlant d’impatience à l’idée de quitter ce sous-sol sans lumière. Adieu les urgences.
« Avez-vous lu mon dossier ? » Ce sont les premiers mots qui passent sur mes lèvres en découvrant le réduit qui me sert de chambre en médecine interne.
Quatre murs, pas de fenêtres, et surtout pas de toilettes, pour un patient qui doit s’y rendre huit fois par jour pour se vider de son sang.
La dépression nerveuse éclate. Infirmières et médecins partent en guerre contre l’administration : comment une telle situation a-t-elle pu arriver ?
Une chambre se libère enfin, mais ici, une bonne nouvelle pour l’un cache souvent une mauvaise nouvelle pour l’autre. Cette fois, il appartenait à un vieil homme qui était rentré chez lui pour ses derniers jours. Merci, inconnu.
Les jours suivants ont été colorés avec des perfusions, des transfusions et des IV. Ils m’expliquent qu’une version de moi est testée en laboratoire, dans l’espoir d’arrêter mon système immunitaire devenu fou. Pendant ce temps, ma chambre devient une plaque tournante des étudiants en médecine. Un véritable épisode de L’anatomie de Greysauf que cette fois, le patient star, c’est moi.
Une semaine plus tard, je repartais avec un nouveau colocataire pour la vie : la colite ulcéreuse. Heureusement, je suis armé d’un traitement, l’infliximab, capable d’empêcher mon propre corps de se détruire. Cette expérience, bien que marquée par des soins compétents, m’a également confronté aux limites d’un système public surchargé, où chaque étape devient une épreuve d’endurance.
Rectocolite hémorragique
La colite ulcéreuse est une maladie inflammatoire chronique qui touche le tube digestif. Il provoque des ulcères et des inflammations, entraînant des symptômes tels que des douleurs abdominales, des diarrhées sanglantes et une fatigue intense. Bien qu’incurable, elle peut être gérée grâce à des traitements médicaux et à des ajustements du mode de vie.
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