Le blog du professeur Dominique Savary – médecin urgentiste, réanimateur
TRANSCRIPTION
Bonjour à tous, je suis le Professeur Dominique Savary, j’exerce au service de médecine d’urgence du CHU d’Angers et je vous donne rendez-vous pour un traditionnel exercice de fin d’année qui est le choix des articles qui ont selon moi marqué le année 2024. J’ai d’abord choisi 2 articles français publiés dans de belles revues.
CASTING : anticoagulation prophylactique ciblée basée sur le score TRiP(cast) chez les patients immobilisés au niveau des membres inférieurs
Le premier article est l’article de Delphine Douillet sur l’étude FONDERIE publié dans le Lancette 2024. [1] L’étude s’est concentrée sur l’impact de la stratégie de prescription préventive d’anticoagulations qui serait guidée par un score, le TRiP(cast), pour les patients ayant subi un traumatisme des membres inférieurs et nécessitant une immobilisation.
Comme vous le savez, cette situation est extrêmement courante en France puisque chaque jour plus de 12 000 patients se présentent avec un traumatisme d’un membre inférieur nécessitant une immobilisation. Ces patients, on le sait, risquent de développer une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire. Cependant, ce risque est généralement faible, autour de 2% et il varie selon les individus, il est donc classique et il a été démontré que l’anticoagulation par injection quotidienne montrait son efficacité dans cette situation. Mais étant donné le faible risque que courent les patients, on peut dire que cela est discutable.
Le but de cette étude est d’éventuellement remettre en question cette pratique systématique à l’aide du score TRiP(cast). Ce score a été publié dans la littérature il y a 2 ou 3 ans et il intègre des critères concernant le traumatisme, l’immobilisation et les patients. Nous considérons qu’une anticoagulation préventive est nécessaire lorsque ce score est supérieur ou égal à 7.
Dans CASTING, les auteurs ont recruté 2 120 patients entre juin 2020 et septembre 2021, et uniquement les patients ayant un score TRiP(cast) >7 ont reçu cette anticoagulation préventive et bien sûr le critère de jugement de ce travail était la survenue d’événements thromboemboliques veineux, avec cependant un seuil de sécurité qui a été fixé à moins de 1 % avec la limite supérieure de l’intervalle de confiance à 2 %.
L’application du score TRiP(cast) permet une réduction des prescriptions d’anticoagulations préventives de 26%
Les résultats de cette étude sont particulièrement importants puisque les auteurs montrent que l’application du score TRiP(cast) permet une réduction des prescriptions d’anticoagulation préventive de 26%, ce qui est considérable et qui est également associé à un seuil de sécurité qui est en effet bien inférieur. plus de 1 % ; il est donc prudent de ne pas le faire lorsque le score est faible. Je pense que cette étude va changer nos pratiques.
Effet de la gestion non invasive des voies respiratoires chez les patients comateux présentant une intoxication aiguë
La 2ème étude que j’ai sélectionnée est sortie fin 2023 — mais je n’ai pas pu l’intégrer à la rétrospective de 2023 car elle n’était pas encore disponible. Il s’agit d’une étude française publiée dans le JAMA par Jonathan Freund. [2] Son objectif était de déterminer si une stratégie de non-intubation des patients présentant une altération de la conscience due à un coma toxique améliorait les résultats de ces patients.
Comme vous le savez, l’intubation oro-trachéale est plutôt recommandée lorsqu’on traite des patients qui présentent un trouble de la conscience avec un score de Glasgow inférieur à 9 et on peut donc se poser la question quand le trouble de la conscience est sévère. étiologie toxique, si finalement nous disposons de suffisamment de preuves pour le faire systématiquement. Les auteurs ont mené un essai contrôlé randomisé 1 : 1 dans une vingtaine de centres d’urgence et de soins intensifs. Le procès se déroule bien entendu sans procédure aveugle. Ils se sont intéressés au critère principal qui comprenait : la proportion de patients ayant bénéficié d’une ventilation mécanique, la proportion de patients ayant été admis en soins critiques, la survenue de patients ayant eu une pneumonie ou des complications de l’intubation, sachant que parmi les patients recrutés, ceux présentant des indications claires d’intubation trachéale – patients ayant subi un traumatisme crânien ou une détresse respiratoire – ont été exclus. Concernant les substances toxiques, les auteurs ont exclu les patients intoxiqués par des médicaments cardiotropes, des benzodiazépines ou des opioïdes. Il y avait donc 2 groupes : un groupe d’intervention, un groupe sans intervention, et au total 237 patients ont été randomisés dans ces 2 bras. Le principal toxique retrouvé était bien entendu l’alcool (environ 70 %).
Au final, il n’y a pas eu de différence particulière. C’est un essai pragmatique et de grande qualité que je vous invite à lire. C’est très intéressant et confirme l’innocuité de ne pas intuber systématiquement ces patients comateux ayant ingéré ces toxiques, quel que soit le niveau de leur score de Glasgow. C’est donc aussi une étude qui va probablement changer nos pratiques dans les structures d’urgence.
CHAUD-ICU : oxygénation restrictive ou libérale chez les patients atteints de BPCO et d’insuffisance respiratoire hypoxémique aiguë en soins intensifs
Une étude internationale publiée dans le JAMA en 2024 s’est intéressé à la traumatologie et en particulier à l’oxygénation des patients gravement traumatisés.[3 ]Il s’agit d’une étude randomisée portant sur la stratégie d’oxygénation restrictive ou libérale de ces patients. Aujourd’hui, de manière générale, chez les patients polytraumatisés, on tend à avoir une stratégie d’oxygénation libérale. L’idée de cette étude était donc de déterminer si une stratégie précoce d’oxygénation restrictive par rapport à une stratégie libérale réduisait le nombre de décès et de complications respiratoires majeures. Cet essai multicentrique, contrôlé et randomisé a permis de recruter des patients adultes traumatisés dans de grands centres de traumatologie, notamment au Danemark, aux Pays-Bas et en Suisse.
L’objectif principal était un critère de jugement composite : décès et complications respiratoires. Au total, 1 979 patients ont été randomisés. Chez ces patients souffrant de traumatismes sévères, la stratégie d’oxygénation restrictive, qui reposait sur des objectifs de saturation en oxygène de 94 %, a été comparée à la stratégie libérale avec une oxygénation à 12 à 15 litres d’oxygène par minute. comme cela se pratique habituellement en France. Cela n’a pas réduit de manière significative les décès et les complications respiratoires majeures en 30 jours. Donc là aussi, pas de différence, cela peut nous interpeller dans la prise en charge de nos patients.
Réanimation préhospitalière avec ballon d’occlusion aortique pour hémorragie sous-diaphragmatique chez les patients exsangues
La dernière étude que je voulais partager avec vous est parue dans le JAMA chirurgical en 2024 et a été réalisé par les équipes de L’ambulance aérienne de Londres qui s’est intéressé à la mise en place d’un ballon d’occlusion aortique, c’est-à-dire un REBOA, en cas d’hémorragie sous-diaphragmatique, en réanimation préhospitalière chez des patients exsangues.[4]
Cette étude de cohorte observationnelle et prospective a recruté plus de 2 960 patients traumatisés de plus de 16 ans entre juin 2020 et mars 2022. Quand on regarde les patients qui avaient les critères d’atteinte sous-diaphragmatique et les patients exsangues, ce sont 16 patients qui ont pu être inclus. pendant la période d’étude et pour qui un accès artériel fémoral a été tenté avec montage de ballon au-dessus du tronc coeliaque.
La première chose que l’on peut dire est que la canulation a été possible pour 13 des 16 patients. Il n’y a que 3 échecs REBOA. Donc en termes de faisabilité, installer un REBOA est possible. Il s’agissait de patients traumatisés mais parmi eux, 8 étaient en arrêt cardiaque traumatique. Chez ces derniers, les auteurs ont noté une reprise de l’activité circulatoire pour la majorité d’entre eux, et pour tous les patients, une amélioration significative de la pression artérielle systolique à l’arrivée au service d’accueil, au service de sortie. ou aux urgences.
Les données de mortalité présentées dans cet article sont essentiellement les mêmes que celles que nous connaissons, avec une mortalité à 30 jours qui était d’environ 82 % (donc une mortalité élevée).
Nous avons donc une technique possible, avec 2 patients qui ont survécu précocement. Mais dans la mesure du possible, cela ne signifie pas nécessairement que des REBOA doivent être installés sur ces patients dans ces situations, car en effet, l’étude indique clairement qu’il existe des contraintes techniques de placement. qui sont particulièrement liés à l’accès vasculaire ; l’identification du niveau d’occlusion est également compliquée, et surtout, la nécessité d’une intervention chirurgicale rapide après la pause, idéalement dans les 20 minutes, est également compliquée à réaliser.
Alors même si plusieurs équipes françaises s’intéressent à ce sujet, je pense qu’en l’état actuel des choses, il semble que cette technique ne puisse pas être recommandée, ou du moins pas généralisée.
Voilà, j’espère que cette vidéo vous intéressera. Je vous souhaite une merveilleuse fête de fin d’année et je vous retrouve à la rentrée sur Medscape France.